La pratique réflexive pour former les IDE de demain - L'Infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

FORMATION

L’ENSEIGNEMENT

ANITA DURUPT  

Avec l’évolution des technologies et des thérapeutiques, l’infirmière d’aujourd’hui doit développer de nouvelles compétences tout au long de sa carrière. Un besoin de professionnalisation auquel répond la posture réflexive.

Pour répondre au besoin grandissant de professionnalisation, le dispositif s’est modifié avec le dernier référentiel de formation du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État infirmier. On est passé d’un modèle linéaire modulaire à un modèle intégratif où le formateur n’est plus seulement chargé de la transmission des savoirs en direction de formés, mais devient facilitateur/accompagnateur en direction d’apprenants. Il est question « d’amener l’étudiant à devenir un praticien autonome, responsable et réflexif »(1).

1. CHOIX PÉDAGOGIQUE DE LA RÉFORME

Référentiel d’activités et de compétences

Depuis 2009, les études en soins infirmiers ont intégré le système licence-master-doctorat. La formation est dorénavant caractérisée par l’utilisation d’un référentiel d’activités et de compétences, et s’inscrit dans la théorie du socioconstructivisme. L’étudiant infirmier assiste à des cours magistraux universitaires tout en bénéficiant d’une formation en alternance. Il est encadré en stage au quotidien par des professionnels de proximité, un tuteur de stage représentant la fonction pédagogique et un maitre de stage occupant la fonction organisationnelle et institutionnelle. Les professionnels de terrain occupent une place prépondérante dans la formation, il leur appartient de valider ou non l’acquisition des compétences mobilisées sur le terrain de stage par l’étudiant.

Le diplôme d’État et le grade licence s’obtiennent après l’acquisition des 180 ECTS(2) et le développement des dix compétences nécessaires à l’exercice de la profession.

La posture reflexive, une exigence et un enjeu

Le référentiel de formation utilise l’alternance et le modèle du praticien réflexif comme leviers pour aboutir à une professionnalisation. Il s’agit d’inciter l’étudiant à revenir sur sa pratique, à la décortiquer, à la questionner, à l’analyser et à lui donner du sens. Le formateur l’accompagne dans le développement de son sens de l’observation, sa capacité de recherche et de raisonnement dans ses expériences.

→ La posture réflexive est déclinée dans le référentiel de formation comme une « exigence de la formation permettant aux étudiants de comprendre la liaison entre savoirs et actions, donc d’intégrer les savoirs dans une logique de construction de la compétence »(1).

Il s’agit d’un nouveau principe pédagogique adopté par le formateur, mais également d’une posture à acquérir par l’étudiant à l’issue d’un entrainement : « Cette posture consiste (…) à positionner des travaux cliniques ou pratiques dans la formation mais surtout à revenir sur les acquis, les processus et les stratégies utilisées pour en dégager les principes transposables. »

→ L’analyse de pratiques professionnelles (APP) est utilisée dans la formation comme outil au service du développement de cette pratique réflexive afin qu’elle devienne un « habitus » pour l’étudiant. L’enjeu est d’amener le futur professionnel à utiliser cette pratique au quotidien dans la perspective d’améliorer la qualité des soins et de construire de nouvelles compétences. « Cette pratique réflexive va permettre au praticien d’analyser ses actes au travers d’une auto-observation pour ensuite les expliquer et les comparer sur la base de modèles théoriques. »(3)

2. DÉVELOPPER LA POSTURE RÉFLEXIVE EN IFSI

Le concept du praticien réflexif place l’action au cœur de l’apprentissage et s’appuie sur le fait qu’elle est source de connaissances. Cette pratique est née aux Etats-Unis des travaux d’Argyris (1947) suivis de ceux de Dewey, Lewin et Schön dans les années 80. Selon ces auteurs, il s’agit d’une réflexion rigoureuse et scientifique qui s’opère en deux temps : la difficulté de compréhension à l’origine de la réflexion avec l’élaboration d’une hypothèse provisoire, puis une phase de résolution du problème avec la nécessité d’être guidé dans cette démarche.

Il existe deux types de réflexion : dans et sur l’action. La réflexion dans l’action débute en cours d’action ou immédiatement après, alors que la réflexion sur l’action s’effectue à distance. Toutes deux développent la capacité du praticien à construire une représentation de sa pratique afin de s’adapter à des situations nouvelles.

Les professionnels de proximité en collaboration avec les formateurs jouent un rôle fondamental dans le développement de la posture réflexive par l’étudiant.

Réflexion dans l’action

C’est sur le lieu de stage et en utilisant les situations variées et complexes rencontrées par l’étudiant que le professionnel de terrain accompagne ce dernier. Cela demande de la part de l’encadrant qu’il soit en capacité de guider l’apprenant dans l’analyse de sa pratique. Il ne s’agit pas d’apporter une façon de faire type, mais plutôt d’amener l’étudiant à trouver des solutions aux problèmes qu’il rencontre au fur et à mesure de son stage.

→ Exemple : un étudiant doit réaliser un pansement pour lequel il a oublié de prendre du matériel sur son chariot. Plutôt que de lui dire ce qui manque, le professionnel lui posera des questions afin que l’étudiant s’en rende compte seul et qu’il réajuste : « Que penses-tu de la préparation de ton chariot ? De quoi as-tu besoin précisément pour effectuer ce soin ? Comment comptes-tu t’y prendre ? De quelle manière ? Pour quelles raisons ? »

Bien évidemment, l’analyse dans l’action est limitée par la réalisation de l’action elle-même ainsi que par la confrontation au patient : certaines questions ne peuvent pas être posées devant lui au risque de perdre sa confiance.

Réflexion sur l’action

Pour la réflexion sur l’action, les professionnels tout comme les formateurs à l’IFSI aideront l’étudiant à sa mise en œuvre. En service, le tuteur peut réaliser des debriefings après le soin afin de guider l’étudiant dans cette analyse et lui démontrer ainsi l’utilité de prendre du temps a posteriori. L’objectif est de l’amener à identifier ce qui est satisfaisant dans sa pratique, ce qui reste à améliorer et de quelle manière il peut y parvenir. Ainsi, l’ESI atteindra le pallier « transférer » préconisé dans le référentiel et parviendra à mieux gérer une situation similaire dans un autre contexte : « L’étudiant conceptualise et acquiert la capacité à transposer ses acquis dans des situations nouvelles. »(1).

Dans les Ifsi, deux formes d’analyse de pratiques professionnelles sont utilisées pour développer la réflexion sur l’action : l’APP individuelle et l’APP groupale.

L’APP individuelle

Le référentiel de formation exige que l’étudiant produise deux APP écrites par période de dix semaines de stage. Le fait d’écrire sa pratique lui permet une prise de distance nécessaire à l’approfondissement de son analyse. Il prend alors le temps de se remémorer le déroulement du soin et identifie des pistes d’analyse auxquelles il n’aurait pas pensé sur le moment. Au fur et à mesure qu’il devient à l’aise dans cet exercice, il étoffe son analyse en mobilisant ses connaissances théoriques.

→ Cas pratique. Léa, étudiante infirmière en 2e année, a choisi d’analyser la solitude d’une personne âgée démente rencontrée en Ehpad, en permanence dans la « recherche d’attention ». Elle décrit précisément l’attitude de la patiente et son propre malaise par rapport à cette situation. Puis elle s’interroge : « Quel est le rôle du soignant dans une telle situation ? Comment répondre à ce sentiment de solitude ? Pareil sentiment ne relève-t-il pas d’un défaut de prise en charge ? Qu’est ce qui favorise ce sentiment ? Le projet de vie individualisé est-il un moyen de lutter contre cette solitude  »

• Dans son analyse, Léa aborde différents concepts : le sentiment de solitude, le vieillissement, le soin (care et cure), la relation soignant-soigné. Elle identifie qu’elle n’a pas pris en compte l’aspect moral et social de la solitude. Elle met ce sentiment en relation avec le vieillissement, la perte des repères, l’institutionnalisation et la perte du rôle social de la patiente. Elle s’appuie alors sur le projet de vie individualisé pour lui permettre le retour à une certaine autonomie afin qu’elle ressente un « mieux être ». Léa termine en abordant le « prendre soin » et s’interroge sur les difficultés des soignants à mettre en place ce type de soins.

• Cet exemple montre que l’approfondissement de l’analyse par l’étudiante permet l’articulation de sa pratique avec la théorie.

L’APP en groupe

Selon Claudine Blanchard-Laville(4), l’APP groupale permet pour les participants de « (…) travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques et/ou l’amélioration des techniques professionnelles ; et conduisant à une élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent groupale, qui s’inscrit dans une certaine durée et nécessite la présence d’un animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques analysées, garant du dispositif en lien avec des référence théoriques affirmées. »

→ Déroulement et organisation

• L’APP groupale à l’Ifsi se déroule au retour de stage en petit groupe d’une dizaine d’étudiants animé par un formateur/accompagnateur. Chaque séance dure environ deux heures et s’appuie sur un dispositif-cadre validé par l’équipe pédagogique. Chacun des étudiants apporte une description écrite d’une de ses pratiques en stage et qui l’a interpelé.

• L’animateur de ce type de séance doit être formé au préalable. Il est le garant du respect du dispositif utilisé et de la sécurité émotionnelle de chacun des participants. Il ne se positionne pas en tant qu’expert mais plutôt en tant que facilitateur/médiateur et régule la prise de parole dans le groupe.

• La séance se déroule dans un endroit calme, les participants ainsi que l’animateur sont assis en cercle. L’animateur ouvre la séance et rappelle les règles à observer ainsi que le dispositif. Dans un premier temps, un tour de table est réalisé où chacun des participants présente succinctement le thème de la pratique qu’il a décrite.

• Le groupe choisit la situation sur laquelle il veut travailler parmi les étudiants volontaires pour exposer leur situation à l’oral. Le narrateur expose la situation telle qu’elle s’est déroulée aux autres membres du groupe qui l’écoutent. Puis le groupe lui pose des questions afin de mieux comprendre la situation.

• À l’issue de ces éclaircissements, le groupe formule des hypothèses ou propositions de compréhension. Le narrateur écoute et ne doit pas intervenir. En fin de séance, la parole lui est rendue, il réagit par rapport aux hypothèses proposées en amont.

• La séance est conclue par l’animateur qui réalise une synthèse des thèmes abordés et un bilan du vécu de la séance par le groupe. Il vérifie que le narrateur n’a pas été perturbé par la séance d’analyse.

→ Cas pratique. Magali, étudiante infirmière de 2e année, présente une situation qui l’a interpelée durant son stage en pédiatrie. Elle-même maman de jeunes enfants, elle a rencontré des difficultés pour effectuer un aérosol chez un bébé âgé de 4 mois hospitalisé en pédiatrie pour bronchiolite. Le bébé était agité et pleurait ; la maman, très inquiète, a posé beaucoup de questions à l’étudiante. Celle-ci n’était pas à l’aise et s’est interrogée sur ses compétences et sa légitimité à effectuer ce soin seule.

• Les participants au groupe pointent qu’il manque des précisions dans la description du soin : la prescription détaillée de l’aérosol, le poids de l’enfant, la présence ou non des parents durant le soin, depuis quand l’enfant est traité, quelles sont ses réactions habituellement durant le soin, pourquoi l’étudiante n’est pas allée chercher de l’aide auprès des autres professionnels alors qu’elle était en difficulté… Le groupe fait préciser son ressenti par l’étudiante durant le soin et les réactions de l’enfant. Magali précise que la maman était présente durant le soin et qu’elle tenait l’enfant sur ses genoux. Elle paressait stressée car (selon l’étudiante) le soin était réalisé pour la première fois par une élève. L’étudiante explique qu’elle n’a pas pu répondre à toutes ses questions par manque de connaissances sur le traitement. Cependant elle a proposé à celle-ci de participer au soin en main?tenant le masque sur le visage de son bébé durant l’aérosol. L’enfant s’est progressivement calmé pendant le soin. La maman a paru plus détendue.

• Les hypothèses de compréhension émises par le groupe ont abordé plusieurs thèmes :

– la difficulté à gérer son stress et à mettre en place une distance professionnelle pour l’étudiante ;

– l’enfant est une personne vulnérable avec des besoins spécifiques. Il est nécessaire de connaître les compétences de l’enfant de 4 mois afin d’adapter sa prise en charge ;

– la mise en œuvre d’une relation triangulaire est nécessaire en pédiatrie ;

– l’exercice professionnel en pédiatrie nécessite le développement de compétences spécifiques liées au savoir-faire et à l’expérience ;

– le travail en équipe et la collaboration entre soignants permet une prise en charge des pateints de meilleure qualité.

• Cette séance a amené les autres participants à faire part de leur expérience en pédiatrie ou en néonatalogie avec un ressenti similaire quant à la difficulté à garder une distance professionnelle dans la relation soignant-soigné. À la fin de la séance, Magali confiait qu’elle n’avait pas identifié tous les axes d’analyse abordés, notamment celui de la distance professionnelle et la nécessité d’avoir des connaissances théoriques sur le développement de l’enfant pour mieux comprendre ses réactions. Elle explique également qu’elle se sent soulagée d’avoir pu partager son ressenti avec les participants au groupe. À l’issue de cette séance, le groupe s’est questionné sur la place des parents en pédiatrie et la difficulté à les associer ou non aux soins de leur enfant.

3. TRANSPOSITION À L’HÔPITAL ?

La posture réflexive a toujours été utilisée dans la pratique infirmière. Cependant, le dernier référentiel de formation met davantage l’accent sur son développement. Avec le recul, on observe que les étudiants adhèrent facilement à cette nouvelle méthode pédagogique. Au fil de leurs années de formation, ils développent leur capacité d’analyse. Néanmoins, les étudiants ayant des lacunes au niveau théorique se retrouvent dans l’incapacité d’approfondir leur analyse.

Aujourd’hui, Il serait intéressant de mettre en place cette pratique en service. Il s’agirait alors d’envisager l’hôpital comme une organisation apprenante avec une question à laquelle il faudrait répondre : qui animera ces groupes et avec quelle formation ?

1- Formations des professions de santé, Profession infirmier. Recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diuplôme d’état et à l’exercice de la profession, Coll., Sedi, 2013, p. 71-72.

2- ECTS : European Credit Transfer and Accumulation System.

3- Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant, P. Perrenoud, ESF éditeur, 2010, 5e édition, p. 76.

4- Au risque d’enseigner, C. Blanchard-Laville, PUF, 2013.

EN PRATIQUE

L’APP groupale sur le terrain, un outil au service de la qualité au service du soin

→ L’analyse de pratiques professionnelles (APP) en groupe peut être utilisée en service afin d’améliorer la qualité des soins. Par les échanges qu’elle induit autour de la pratique dans un climat de bienveillance, elle favorise la prise de parole de certains professionnels qui resteraient en retrait. Elle conduit à une réelle prise en compte des difficultés rencontrées et participe à la diminution du stress professionnel. L’APP groupale reste cependant peu utilisée dans le domaine paramédical du fait des difficultés dans sa mise en œuvre. En effet, chaque séance demande du temps, elle doit être réalisée au calme, sans interruption, avec des participants volontaires. L’animateur de la séance est un professionnel formé à cette pratique et sans lien hiérarchique avec les participants.

→ Il m’est arrivé d’animer un groupe d’APP en médecine, un après-midi après les transmissions. J’avais réuni les trois étudiants en stage sur ce pôle (de 2e et 3e année) et l’un d’entre eux a souhaité analyser la pratique d’un bilan sanguin effectué la veille. Il était très perturbé par le fait qu’il n’avait pas réussi à prélever le patient au premier essai. L’infirmier qui l’avait encadré sur ce soin a souhaité participer au groupe d’analyse. Je lui ai proposé de coanimer la séance avec moi, c’est-à-dire qu’il donnait la parole aux étudiants et qu’il a conclu la séance par une synthèse des axes d’analyse abordés. À l’issue de cette séance, l’étudiant a identifié qu’il avait bien respecté les grands invariants de la ponction veineuse : identitovigilance, respect de la conformité de la prescription, respect de la procédure d’acheminement des tubes, asepsie, ergonomie, relation soignant-soigné… Finalement, il a pris conscience qu’il avait bien intégré cette pratique, mais qu’il lui fallait encore un peu de temps pour acquérir de la dextérité. Ce jour-là, je suis restée volontairement en retrait et j’ai trouvé intéressant que ce soit le professionnel de proximité qui guide l’étudiant dans cette démarche. L’infirmier s’est senti satisfait de la façon dont la séance s’est déroulée ; il m’a confié que cette participation avait dédramatisé l’APP pour lui.