L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

CANCER

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CLARISSE BRIOT  

Un rapport de la Cour des comptes pointe leur perte de spécificité et recommande des rapprochements avec les CHU, voire des fusions dans certains cas. Des critiques rejettées en bloc par les acteurs concernés.

Longtemps à l’avant-garde de la prise en charge des malades, les Centres de lutte contre le cancer (CLCC), établissements privés non lucratifs nés en 1945, auraient vécu. C’est, grosso modo, l’hypothèse avancée par la Cour des comptes dans son rapport sur la Sécurité sociale, publié le 15 septembre. Dressant un panorama de l’activité des 18 CLCC, les Sages relèvent « la place spécifique » qu’ils occupent encore dans l’offre de soins en cancérologie, mais notent dans le même temps que le « modèle de prise en charge globale et pluridisciplinaire qui fonde leur originalité s’est généralisé, sous l’effet notamment des plans cancer successifs ». Et que, par conséquent, leur singularité tend à « s’estomper ».

Un constat diversement accueilli sur le terrain. « C’est un rapport équilibré, estime pour sa part Thierry Conroy, directeur général de l’Institut de cancérologie de Lorraine. Il met à l’honneur la contribution des centres à l’organisation des soins, leur rôle pivot dans la coordination de l’offre et leurs apports dans les différents plans cancer. Je ne l’ai pas vécu comme conflictuel ou désagréable, au contraire. » Ce n’est pas l’avis de Khaled Meflah, directeur général du centre François Baclesse de Caen (14), qui y a vu, à l’inverse, « un rapport très sévère et pas très objectif ». Selon lui, le modèle des centres décrit par les Sages correspond à celui des années 2000, au moment du premier plan cancer. « Depuis, les centres ont continué à évoluer et innover, s’agace le professeur. Et ils sont plus que jamais à l’avant-garde ! »

Culture de l’innovation

Un point de vue partagé par le groupe Unicancer, qui réunit l’ensemble des centres, et qui se dit « déçu » du rapport de la juridiction de la rue Cambon. « Les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), les dispositifs d’annonce ou encore les soins de support cités par la Cour des comptes font effectivement partie de la cancérologie aujourd’hui, explique Pascale Flamant, sa déléguée générale. L’avenir, c’est de caractériser les tumeurs, d’organiser des services de biopathologies, de monter des RCP moléculaires, de se lancer dans la radiologie interventionnelle, la protonthérapie(1), etc. Autant de pratiques qui figurent dans le 3e plan cancer et dans lesquelles les centres continuent à être pionniers. » Ainsi, au centre Léon Bérard, de Lyon, on dit s’engager pleinement dans la recherche sur la médecine moléculaire, qui base le diagnostic sur l’analyse du génome tumoral et permet de proposer à chaque patient des médicaments spécifiques. Le centre de Caen dispose, quant à lui, d’un équipement de pointe en radiothérapie. « En 2017, nous ferons l’acquisition d’un équipement de protonthérapie de 2e génération, précise Khaled Meflah. Nous allons également développer un nouvel accélérateur pour faire de la carbonethérapie(2). Ce sera le premier du genre au monde. »

Lorsque l’on interroge les centres, la liste des équipements et thérapeutiques de pointe mis en avant est longue. Mais suffisent-ils à les démarquer des autres établissements, sachant que certains centres, comme le relève la Cour des comptes, ne sont pas aussi bien pourvus ? « Les CLCC, c’est un état d’esprit et une culture de l’innovation partagés par les professionnels, argue Sophie Beaupère, directrice générale adjointe du centre Léon Bérard. On se demande en permanence ce que l’on peut faire pour innover. C’est une vraie force des centres, que j’ai moins vu ailleurs. » Cet état d’esprit, Nicolas Chopin, chirurgien gynécologue et sénologue dans le centre lyonnais – et qui est passé par l’hôpital public – en atteste. « Il y a dans les CLCC une qualité de la prise en charge et un confort de travail qui est évident. Tout roule dans le même sens, du diagnostic jusqu’au traitement, et tout est toujours professionnel. » Et selon le chirurgien, c’est la taille modeste des structures qui le permet. « Nous sommes plus petits, donc réactifs et plus innovants, sur les thérapeutiques mais surtout sur le parcours de soins », constate-t-il.

Nouveaux métiers

Parmi les innovations organisationnelles portées par les CLCC figure le développement de la chirurgie ambulatoire. En 2014, selon Unicancer, un quart des actes de chirurgie du cancer du sein ont en effet été réalisés en ambulatoire dans les CLCC, contre 16 % au niveau national. Et le réseau vise les 50 % à l’horizon 2020. Au centre Léon Bérard de Lyon, ce taux a d’ores et déjà été atteint. « Les réflexions en cours portent sur le lien entre hôpital et ville, explique Nicolas Chopin. Il s’agit de ficeler le parcours du patient, avant le bloc et après l’opération, avec de la pédagogie et de l’organisation. Nous réfléchissons en particulier au rôle du médecin traitant et à des applis permettant de maintenir un lien à la sortie qui soit fort. »

À l’Institut Curie, à Paris, le développement de l’ambulatoire ainsi que la chronicisation de la maladie ont également conduit à innover sur le suivi des patients. « Nous développons de nouveaux métiers comme la mise en place depuis février dernier d’une cellule de coordination du parcours patient composée d’une infirmière et d’une assistante sociale, explique Sylvie Arnaud, la directrice des soins. Cette cellule a pour but de repérer les difficultés psychologiques, sociales ou liées à l’âge du patient, afin d’anticiper, en amont, son retour à domicile. » Depuis octobre, un autre métier a vu le jour : celui d’infirmière régulatrice de flux au bloc opératoire. Autant de nouveautés que la directrice des soins explique par l’organisation transversale des centres et la facilité « à mettre tout le monde autour de la table pour réfléchir ». Avec la volonté ouverte, ajoute-t-elle, de « fidéliser les équipes, de ne pas lasser les professionnels et de garder les meilleures compétences ».

Face au constat des Sages selon lequel les CLCC auraient perdu un peu de leur rang d’éclaireurs, les centres martèlent donc leur ambition : innover constamment, pour garder une longueur d’avance. « Charge à nous de continuer à être moteurs pour tirer notre épingle du jeu », conclut Nicolas Chopin, conscient que le défi reste donc à relever.

1- Technique de radiothérapie envoyant des protons sur la tumeur, et non des photons et électrons comme dans une radiothérapie conventionnelle.

2- Radiothérapie reposant sur l’envoi de faisceaux d’ions carbone.

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