L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

FORMATION

L’ENSEIGNEMENT

LISETTE GRIES  

Depuis 2007, les Esi siègent dans les conseils pédagogiques et disciplinaires des Ifsi. Une représentation jugée utile, dans bien des situations, mais qui pourrait être encore plus efficace si plus de moyens y étaient consacrés. Trois élus étudiants livrent leur ressenti et leur analyse.

J’ai senti que j’étais utile aux autres étudiants. » « Pendant mes trois ans de formation, j’ai été heureuse de tenir ce rôle important. » « J’ai trouvé cette expérience très enrichissante. » Mehdi Laghouati, Chaïmaa Lahlou et Sophie Hoarau ont des parcours différents : tout jeunes diplômés ou en cours de formation, déjà parents ou non, riches d’une première vie professionnelle ou en formation initiale… ils sont à l’image de leurs promotions d’étudiants en soins infirmiers (ESI). Ce qui les rassemble, c’est d’avoir représenté leurs camarades, pendant un an ou plus.

Depuis la réforme des Ifsi en 2007, des étudiants sont élus par leurs pairs pour les représenter et défendre leurs intérêts au sein des conseils pédagogiques et de discipline. « Les étudiants sont les premiers concernés par la formation, il est donc primordial qu’ils puissent participer aux décisions les concernant », souligne Lisa Cann, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Concrètement, les étudiants de chaque promotion élisent à la rentrée, et pour un an, deux représentants titulaires et deux suppléants (voir encadré ci-contre).

Implication personnelle

Depuis la rentrée de septembre 2011, ils participent aussi au conseil de la vie étudiante. Cette dernière instance est consultative, et traite de sujets relatifs à la vie étudiante au sein de l’institut de formation. Elle réunit au moins une fois par an les six représentants étudiants, le directeur de l’Ifsi et au moins trois membres de l’équipe administrative et pédagogique. Ce mois de septembre, comme à chaque rentrée, les mandats ont donc été donc remis en jeu. Pourtant, dans de nombreux Ifsi, les candidats ne se bousculent pas au portillon. « Quand j’ai été élu la première fois, au début de ma deuxième année, j’ai été désigné candidat par les autres, raconte Mehdi Laghouati. J’étais réticent, je ne voulais pas m’afficher devant mes professeurs. » Pour la Fnesi, l’un des freins principaux aux candidatures spontanées est la présentation erronée que les instituts font de la fonction. « L’accent est trop souvent mis sur les tâches administratives, récupérer les feuilles d’émargement, voire faire les photocopies,déplore Lisa Cann. Or, ces missions ne devraient pas être du ressort des élus étudiants. Ils sont de vrais représentants de la promotion, pas des délégués comme dans l’enseignement secondaire. » « C’est un rôle qui demande beaucoup de temps et d’implication personnelle », souligne pour sa part Sophie Hoarau, qui vient de terminer sa première année. Assister aux conseils exige parfois de manquer des cours ou de s’absenter de stage. Si ces absences ne sont pas comptabilisées, des rattrapages informels (photocopies des notes de cours, etc.) doivent souvent être organisés pour le bon suivi de la formation.

Valeur ajoutée aux débats

Pour autant, les élus rencontrés disent tous leur satisfaction d’avoir pu porter la voix des étudiants dans ces instances gouvernantes. « Nous établissons vraiment le lien entre la promotion et les formateurs. Nos arguments ont pu peser sur plusieurs décisions », insiste Mehdi Laghouati. « On apporte le ressenti des élèves. C’est une valeur ajoutée au débat. Les formateurs ont parfois une idée faussée de ce que nous pensons ou vivons, apprécie Chaïmaa Lahlou. Et dans le cas de ruptures de stage, notre avis compte, car nous connaissons nos camarades. » Ainsi, quand le comportement incriminé ne correspond pas du tout à la personnalité qu’ils côtoient tous les jours, les représentants peuvent le signaler, dire que le problème est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît. « En tant qu’étudiants, on sait que faire des erreurs pourrait nous arriver aussi, on peut se mettre à la place de ceux qu’on représente », ajoute Mehdi Laghouati.

Ce rôle de porte-parole semble relativement bien accueilli dans les conseils pédagogiques et de discipline, surtout si les représentants gardent une part d’objectivité. « J’ai défendu tous les cas du mieux que j’ai pu, du moins quand ils étaient défendables, explique Sophie Hoarau. Notre point de vue était écouté, considéré comme un complément d’information important. » Il arrive que le comportement de l’étudiant ne soit pas excusable. « Il ne faut pas oublier qu’en tant que futurs infirmiers, on a la santé des patients entre les mains », rappelle Chaïma Lahlou. Mais même dans cette situation, entendre une autre parole que celle de professionnels expérimentés enrichit la discussion.

Coulisses

La qualité du contact avec les autres étudiants est primordiale. Pas toujours facile, quand deux personnes doivent en représenter quatre-vingt, sur leur temps libre… « Après avoir reçu une convocation, je laisse toujours quelques jours à l’étudiant concerné pour venir me rencontrer. S’il ne le fait pas, je l’aborde pour entamer la discussion, recueillir sa version des faits, voir ce qu’il a essayé de faire pour améliorer sa situation », détaille Sophie Hoarau. Avec les équipes pédagogiques, l’ambiance varie selon les instituts. Mais pour les élus, c’est aussi l’occasion d’aller voir en coulisses comment s’organise leur formation. « C’est intéressant d’observer les questionnements des professionnels sur les étudiants, qu’ils considèrent comme de futurs collègues. On comprend différemment certaines exigences », ajoute-t-elle.

Les représentants ont donc un rôle de maillon entre la promotion et les formateurs. C’est à eux que revient souvent la responsabilité d’expliquer à leurs camarades pourquoi une sanction a été décidée. Ils peuvent aussi proposer des solutions de compromis au sein des conseils où ils siègent : adosser le rattrapage d’un stage rompu à un complément théorique, par exemple. « Notre rôle est essentiel au bon suivi de la formation », affirment-ils tous. Pourtant, étudiants comme formateurs attendent parfois d’eux des choses qui ne sont pas de leur ressort.

Vers des élus formés ?

« Une meilleure définition et une plus grande reconnaissance de ce rôle permettraient de fluidifier les choses, plaide Lisa Cann. D’une part, les élus ne seraient plus sollicités pour des missions qui ne les concernent pas. D’autre part, ils auraient aussi les coudées plus franches pour s’exprimer sans craindre d’être eux-mêmes stigmatisés par leurs formateurs. » Les élus sont aussi inégalement armés pour faire face à toutes les situations. « Il y a des cas difficiles, notamment quand une exclusion est envisagée », reconnaît Mehdi Laghouati. La Fnesi expérimente cette année des petits modules de formation à destination des élus, pour leur donner quelques outils et des pistes de réponses à apporter aux questions les plus fréquentes. Mais la plupart des élus apprendront leur rôle sur le tas, sans forcément faire l’économie d’une certaine frustration. « On arrive souvent trop tard, regrette ainsi Chaïmaa Lahlou. Défendre des cas devant les conseils, c’est bien, mais la rupture est déjà actée. Ce serait intéressant qu’un comité d’étudiants, formé à ces questions, puisse accompagner les ESI dès leurs premières difficultés pour éviter qu’un stage ne tourne vraiment au vinaigre. »

FNESI

Une campagne mobilisatrice

En novembre dernier, suite à la parution d’une enquête qu’elle a menée sur la souffrance des étudiants en soins infirmiers, notamment pendant les stages, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) lançait une campagne intitulée « Je veux que ma voix compte ». La mobilisation a porté ses fruits, puisque deux groupes de travail ministériels ont été constitués : l’un sur la gouvernance des Ifsi, l’autre sur la formation des tuteurs. « Nous sommes contents d’avoir été entendus, se félicite sa présidente, Laura Cann. Nous espérons désormais que ces groupes pourront aboutir sur des solutions concrètes. Concernant la gouvernance, nous appelons ainsi de nos vœux la mise en place de véritables conseils d’administration, où siègeraient toutes les parties concernées. »

REPRÉSENTATIVITÉ

Des instances où siéger

→ Le conseil pédagogique se réunit au moins deux fois par an. 6 étudiants élus par leurs pairs y participent (2 titulaires par promotion). Il est consulté pour le projet pédagogique, le règlement intérieur, l’effectif du personnel, l’utilisation des locaux, le rapport d’activité, les situations individuelles (difficulté pédagogique, redoublement, reprise de formation, mutation d’Ifsi, actes incompatibles avec la sécurité du patient…).

→ Le conseil de discipline est convoqué pour émettre un avis en cas de faute disciplinaire. 3 représentants tirés au sort parmi ceux élus au conseil pédagogique (un par promotion) y participent. Dans le cas d’actes incompatibles avec la sécurité du patient ou de conseil de discipline, l’étudiant reçoit préalablement communication de son dossier. Il peut formuler des observations orales ou écrites et être assisté d’une personne de son choix.

→ Le conseil de vie étudiante est un organe consultatif qui traite de sujets relatifs à la vie étudiante au sein de l’institut. Il est composé de 10 membres dont les 6 étudiants élus au conseil pédagogique. Il se réunit au moins une fois par an sur proposition des étudiants ou du directeur.

→ Les étudiants sont également représentés dans les commissions spécialisées des groupements de coopération sanitaire-Ifsi (circulaire interministérielle DHOS/RH1/DGESIP n° 2009-202 du 9 juillet 2009) et dans les commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques des établissements publics de santé (décret n° 2010-449 du 30 avril 2010).

Lire aussi p. 51 et Savoir plus p. 62.