Les IDE, proies faciles des labos ? - L'Infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

PRATIQUES SOUS INFLUENCE

DOSSIER

SANDRA MIGNOT  

À l’image des médecins, les infirmières ne sont pas à l’abri des tentatives d’influence des industriels de la santé. Loin d’être si malléables, les IDE peuvent au contraire contribuer à les contrecarrer.

Les infirmières sont-elles sous l’influence des industriels de la santé ? Les études sur cette thématique sont, en France, quasi inexistantes. À l’international, la littérature scientifique montre pourtant que les IDE figurent parmi les cibles du marketing des industries de santé et seraient même considérées comme des « proies faciles »(1). La plupart des soignantes interrogées déclarent avoir des contacts réguliers avec les représentants commerciaux de l’industrie. Souvent, elles reçoivent l’information sur les derniers produits mis sur le marché directement de la part du fabricant. Une grande majorité considère les échantillons comme très ou plutôt utiles pour découvrir une nouveauté. Et un très grand nombre considère comme éthiquement acceptable de participer à des repas ou des évènements financés par l’industrie dont les intervenants sont également rémunérés par Big Pharma. Des liaisons qui peuvent s’avérer préjudiciables si l’on considère, comme le mentionne l’OMS/Europe depuis plus de vingt ans, qu’il existe un conflit entre « les objectifs commerciaux légitimes des fabricants et les besoins sociaux, médicaux et économiques des fournisseurs de soins et du public de sélectionner et d’utiliser les médicaments de la façon la plus rationnelle. »

8,04 millions d’euros distribués

Lorsque l’on interroge les professionnels français sur la question, ils ont tendance à s’estimer peu concernés, parce qu’ils ne prescrivent pas ou peu. « Peut-être que j’ai une vision un peu utopique de la question, mais l’infirmière me semble plus proche du patient et donc peu concernée par l’aspect commercial des relations avec les laboratoires », observe Martine Sommelette, présidente du Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres). Et en effet, nombres des études citées ci-dessus sont réalisées dans des pays où les infirmières ont une autonomie plus grande que leurs alter ego françaises, notamment aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Pourtant, selon la base de données publiques Transparence-santé, dont les données ont été analysées par l’association Regards citoyens, en France, 8,04 millions d’euros ont été distribués par les industries de la santé aux infirmières françaises, sous forme d’avantages, tous modes d’exercice confondus, entre janvier 2012 et juin 2014. Ces chiffres n’incluent donc pas les frais ou rémunérations pris en charge dans le cadre de conventions signées avec l’industrie. En comparaison, les médecins ont, eux, bénéficié d’une enveloppe de 196,34 millions d’euros. Mais ce n’est pas nécessairement le montant de l’avantage qui fait sa capacité d’influence. Des études ont montré combien les objets promotionnels – ces post-it, stylos et autres gadgets laissés aux soignants – pouvaient jouer en faveur de la prescription d’un médicament. « Nous sommes faits de telle sorte que chaque attention portée par l’autre nous place dans une position de gratitude, relève Anne Chailleu, secrétaire du Formindep(2). Quel qu’en soit le montant, un cadeau aura cet effet là. De nombreuses études l’ont prouvé. » Et même si les infirmières ne prescrivent pas, elles participent à la décision médicale. Ainsi, une étude britannique(3) réalisée auprès d’infirmières n’ayant pas le droit de prescription a montré que 80 % d’entre-elles rapportent recommander des traitements au médecin et donner aux patients des conseils sur les médicaments en libre service… « Nous contribuons également à la formation des internes qui nous demandent régulièrement conseil sur les décisions à prendre », ajoute Nathalie Dallard, infirmière aux urgences d’Aubenas (07) et administratrice du Formindep. Autant de raisons pour que, même si elles sont moins souvent ciblées, les infirmières ne soient pas pour autant ignorées par les laboratoires.

Innovations rarissimes

Les stratégies des industries de santé pour séduire le professionnel sont nombreuses. La visite promotionnelle (ou visite médicale) est souvent considérée comme le moyen le plus direct d’obtenir de l’information sur les nouveaux produits. « C’est évidemment le fabricant qui connait le mieux son produit, remarque David Guillon, infirmier libéral dans les Alpes-Maritimes et conseiller départemental. Nous pouvons aussi les découvrir en allant en congrès, mais s’ils viennent à nous, pourquoi pas ? » Sur le plan du médicament pourtant, l’analyse de ces nouveautés montre que l’innovation est devenue rarissime. La revue Prescrire(4), qui établit chaque année le palmarès des innovations médicamenteuses, est ainsi restée six ans (entre 2007 et 2014) sans attribuer sa désormais fameuse pilule d’or… Et lorsque l’on écoute Isabelle Fromantin, infirmière experte à l’Institut Curie (Paris) et vice-présidente de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations, chaque année à la conférence nationale Plaies et cicatrisation, elle n’est pas plus fréquente dans le secteur des pansements. Désormais, les nouveaux produits mis sur le marché sont le plus souvent des reformulations, de nouveaux modes d’administration ou des formats différents pour les pansements. Quant aux vraies nouveautés, elles comportent rarement une réelle amélioration du service rendu mais peuvent, en revanche, présenter des risques de sécurité faute de recul sur leur emploi. Parmi les récents exemples, citons l’aventureuse mise sur le marché de la dronédarone, en 2010, un antiarythmique utilisé pour prévenir les récidives de fibrillation auriculaire, dont les effets secondaires sévères (des atteintes hépatiques) ont conduit à une restriction de ses indications en 2011, puis à son déremboursement par l’Assurance maladie. Autant de raisons qui devraient inciter les établissements de santé à limiter leurs contacts avec les représentants médicaux ou technico-commerciaux des laboratoires.

Depuis quelques années, certains établissements de santé ont donc mis un peu d’ordre dans leurs relations avec les laboratoires, poussés par la réglementation (lire encadrés p. 23 et 26), mais aussi par des impératifs d’économie. À l’institut Gustave Roussy de Villejuif (94), Claude Cotto et Christine Herbinier, IDE de coordination du groupe plaies et cicatrisations, se souviennent : « Avant, les visiteurs médicaux venaient quand ils voulaient dans le service, ils donnaient des échantillons ici et là pour que les soignants les testent. La pharmacie n’avait pas son mot à dire, et les infirmières pouvaient commander ce qu’elles voulaient. » Le résultat : des services qui utilisent des dispositifs différents. « Nous nous sommes même aperçues que nous n’avions pas les mêmes pansements en hospitalisation et en consultation, observent les deux professionnelles. Et en même temps, le panel de dispositifs dont nous disposions ne couvrait pas tous nos besoins. » L’équipe découvre même des stocks de produits non utilisées car, malgré une présentation commerciale alléchante, ils s’étaient avérés peu efficaces.

La pharmacie en première ligne

Les impératifs de qualité du soin, d’économie et de sécurité amènent alors l’équipe à lancer une grande enquête et à réorganiser les relations avec les industriels en 2009. La première étape consiste à éloigner les représentants commerciaux du service. « Quand ils ont quelque chose à présenter, ils le font auprès du pharmacien, qui, si le produit lui semble intéressant, nous propose de les rencontrer dans un deuxième temps, explique Catherine Herbinier. Ensuite, nous décidons ou non de le recevoir, dans deux rendez-vous distincts. Si le produit nous intéresse vraiment, ce qui n’est pas si fréquent, nous lançons une phase de test, mais nous n’acceptons toujours aucun échantillon direct. Tout doit passer par la pharmacie, afin d’être enregistré et traçable. » Les nouveaux produits sont enfin testés sur une phase de six mois à un an, analysés grâce à des fiches d’évaluation spécifiquement élaborées. « Certes, les laboratoires ont des documents de présentation, mais nous n’avons pas les mêmes critères, explique Claude Cotto. Nous sommes plus précis sur la tenue, les potentielles réactions allergiques, l’emballage, etc. Nous prenons également en photo l’évolution des plaies, c’est très parlant. » Conséquence : dans les établissements de santé qui ont opéré cette évolution la présence directe des représentants des industriels auprès des prescripteurs n’est probablement plus aussi bénéfique à leur chiffre d’affaires. L’influence s’exerce donc de plus en plus par d’autres biais.

Pour la dénicher, il faut observer les secteurs dans ?lesquels l’industrie investit désormais au contact des professionnels. C’est le cas de l’éducation thérapeutique. En 2010, la loi HPST est néanmoins venue encadrer leur implication : les industriels sont autorisés à financer des programmes mis en œuvre par les soignants – sans toutefois pouvoir participer à leur élaboration ou à leur dispensation, ni entrer en contact « direct » avec le patient. Or, comment définir clairement le contact direct ? Et que signifie l’autorisation implicite d’un contact indirect ? Est-ce, par exemple, ce qui permet que des livrets portant le logo d’une firme conçevant des lecteurs de glycémie et fabricant des traitements – certes élaborés par des soignants parfaitement compétents et légitimes dans ce rôle – soient proposés aux jeunes patients diabétiques pour les aider à gérer leur affection ? Le professionnel n’est-il pas lui-même le véhicule d’une influence industrielle, même s’il la considère modérée, lorsqu’il remet ce type d’outil ? À l’Afdet (Association française de développement de l’éducation thérapeutique), qui est signataire de plusieurs conventions avec des industriels, dans le strict respect de la loi, on considère qu’un tel financement n’a pas d’influence. « On va prochainement travailler pour élaborer un programme d’un goûter débat avec Janssen, détaille Catherine Gilet, infirmière et secrétaire adjointe de l’association, mais ça n’aura rien à voir avec les produits qu’ils vendent. » En 2007, un rapport Igas(5) avait plutôt recommandé l’interdiction de toute « démarche directe ou indirecte d’information, de formation ou d’éducation à destination du public relative à un médicament prescrit. (…) confier cette tâche (à une entreprise pharmaceutique) transgressant un principe fondamental de la sécurité sanitaire : le principe d’impartialité. » Quant au rapport Charbonnel sur l’éducation thérapeutique, il avait proposé qu’un fond public soit constitué pour le financement de ces activités, à même de réunir différents financements, dont ceux des industriels, et dont l’usage serait piloté par les ARS.

L’observance thérapeutique, un filon en or

Les rédacteurs de la revue Prescrire avaient appuyé la proposition de l’Igas. Car les exemples sont nombreux où l’industriel pousse à la consommation, sans connaître les effets complets de l’usage de son produit. « Rappelons-nous de la mesure de l’hémoglobine glyquée dans le cas du diabète, observe Bruno Toussaint, médecin et rédacteur en chef de la revue. Les industriels nous ont longtemps poussés à obtenir une hémoglobine glyquée de plus en plus basse, donc à augmenter la consommation de médicaments. Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive, via des essais, que cela conduisait aussi à une surmortalité. » Catherine Gilet, elle, n’est pas embarrassée de voir les industriels s’engager dans des programmes d’accompagnement de l’observance : « Je ne sais pas si c’est leur rôle, mais personne d’autre ne le fait en France. » Une ouverture en or pour des industriels qui veulent désormais apparaître comme un acteur de santé publique… « Les entreprises du médicament sont responsables de l’usage qui est fait de leurs produits, observe Sylvie Paulmier-Bigot, directrice publicité, information médicale et bon usage du Leem (Les entreprises du médicament). Donc il est indispensable pour eux de s’assurer que le patient connaisse au mieux sa maladie et son traitement. » Et quoi de mieux pour connaître le patient que de s’assurer le concours de l’infirmière ? « Nous avons vocation à être des acteurs de santé publique. À ce titre, nous devons développer les outils qui vont avec les traitements, observe Sylvie Coumel, en charge du programme Connecting Nurses chez Sanofi. Et nous avons besoin d’être proche des infirmières, car elles sont proches de nos patients. » Une conception de son rôle qui a amené le laboratoire à réunir les professionnelles autour d’une plate-forme web, où elles peuvent publier et mettre en commun leurs initiatives. « Elles ont toutes réagi en disant “Enfin on s’occupe de nous” », assure Sylvie Coumel.

Les KOL, l’arme fatale

Autre biais d’influence, le rapprochement avec certaines personnalités qualifiées. « Maintenant, les laboratoires utilisent surtout les KOL (Key Opinion Leader, ou relais d’opinion principaux). Ce sont des professionnels de santé avec une grande influence auprès de leurs pairs, voire une aura médiatique dans le grand public ; ce sont ceux qu’on entend dans les congrès, ceux qui participent à la rédaction des recommandations établies par les sociétés savantes par exemple, et qui sont souvent sous contrats multiples avec l’industrie du médicament », résume Anne Chailleu. Jean-Marie Vailloud(6), cardiologue au centre cardio-vasculaire de Valmante (Marseille), a ainsi montré comment, à chaque sortie d’un nouveau produit dans l’arsenal thérapeutique de sa spécialité, le panel constitué pour élaborer les recommandations des sociétés savantes évolue, mais conserve toujours une forte proportion de professionnels ayant des liens avec le laboratoire concerné. Et chaque nouvelle molécule est systématiquement recommandée, même si les autorités de régulation nationales sont ensuite souvent amenées à prendre des positions inverses. « Les KOL c’est l’arme fatale, le couteau suisse de l’influence, poursuit Anne Chailleu. Outre leur participation aux recommandations, ils ont une discours médiatique sur les maladies et les produits de santé, ils s’adressent directement aux patients et participent aux instances de fixation des prix des produits. »

Pas d’intérêt personnel

Parmi les infirmières, certaines expertes peuvent être considérées comme des KOL, même si leur pouvoir est un peu différent (aucune ne participe aux décisions fixant les tarifs ou les taux de remboursement des produits même si un infirmier intègrera prochainement les travaux du Cnedimts, la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé relevant de la HAS. Pascale Dielenseger, cadre infirmier du département des innovations thérapeutiques et essais précoces à l’Institut Gustave Roussy et présidente de l’Afic (Association française des infirmières en cardiologie), le reconnaît et l’assume parfaitement. « C’est surtout via mon implication dans le secteur associatif que je peux être considérée comme une KOL, admet-elle. Les laboratoires vont venir me chercher pour prendre la parole lors d’une journée de formation… Mais ce n’est pas un problème, car je ne suis pas personnellement rémunérée pour cela, je n’ai donc pas de conflit d’intérêt(7). » Isabelle Fromantin affiche un positionnement proche : « Je ne perçois pas d’émoluments de la part des laboratoires, car j’estime que je n’en ai pas besoin. En revanche, les rémunérations qu’ils me proposent sont versées directement à mon unité et les fonds permettent d’améliorer nos conditions de travail ou d’acheter un matériel utile à notre activité, etc. » Pas d’intérêt personnel en somme pour ces deux professionnelles. Pourtant ces choix les libèrent-ils totalement de toute influence industrielle ? « Qu’il n’y ait pas d’enrichissement personnel n’exonère pas les professionnels, assure Anne Chailleu. Il y a une vulnérabilité qui se créé. C’est la carotte et le bâton. Une fois habitué à recevoir ces financements, l’institution devient dépendante et ne peut plus s’en passer. » Les propos de Gisèle Hoarau, cadre de pôle en hématologie (Pitié-Salpétrière) et présidente de l’Afitch-OR (Association française des infirmières de thérapie cellulaire, hématologie, oncologie et radiothérapie) le disent autrement : « Lorsque l’industrie peut m’apporter un appui méthodologique ou m’aider dans la conduite de projets, je travaille avec elle. Si elle peut par exemple financer la formation de soignants à l’éducation thérapeutique dans le cadre de mon projet de service, cela m’intéresse. Aujourd’hui, le financement des projets dans les hôpitaux est compliqué. Alors, on pourrait se dire qu’il ne faut pas que l’industrie entre dans les services, mais c’est impossible. Donc nous l’acceptons, mais en encadrant ces collaborations, par la réglementation et par la réflexion éthique. »

Poser des limites

Conscientes des risques que la proximité avec l’univers industriel peut faire peser sur leurs pratiques et donc sur la santé du patient, ces expertes ont néanmoins l’habitude de poser des limites. « Pour ma part, je travaille surtout sur l’évaluation de la faisabilité des protocoles de recherche, observe Pascale Dielenseger. Et je m’en tiens à évoquer les spécificités d’administration d’un produit plutôt qu’un autre. » Ailleurs, la présence des représentants de l’industrie dans le service sera strictement limitée aux moments au cours desquels le personnel est formé au bon usage des dispositifs médicaux. De son côté, Isabelle Fromantin prend soin de conserver son droit de publier même sur les essais défavorables à un dispositif. « Pour toute recherche organisée avec un industriel, nous signons un contrat dans lequel je demande à rester libre des résultats que je publierais, précise-t-elle. Même si le résultat est défavorable au produit utilisé, je peux donc l’écrire. L’industriel conserve un droit de lecture. Donc il va essayer de me demander d’arrondir les angles. En général, cela signifie que l’abstract sera rédigé de manière un peu plus complète. Je ne vais pas édulcorer, mais au moins préciser pourquoi ça n’a pas fonctionné. C’est juste une histoire de présentation. » Mais une histoire qui révèle bien l’existence d’une influence « douce » dont tout professionnel doit être conscient…

1- « Soft Targets: Nurses and the Pharmaceutical Industry », A. Jutel, D.-B. Menkes, Plos Medicine, 5 février 2008.

2- Formindep regroupe « des professionnels de santé, des patients et des citoyens soucieux de favoriser une formation professionnelle et une information indépendantes auprès du public ».

3- « Nurses’reported influence on the prescription and use of medication », A. Jutel, D.-B. Menkes, International Nursing Review, mars 2010, 57(1):92-7.

4- La revue Prescrire a été fondée en 1980 par des médecins et pharmaciens dans le but d’élaborer une information fiable et indépendante sur les médicaments et les stratégies diagnostiques ou thérapeutiques.

5- Encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux financés par les entreprises pharmaceutiques, rapport Igas, août 2007.

6- http:// bit.ly/1LgIW37

7- Dans le secteur de la santé, on parle de conflit d’intérêts lorsqu’un profes-sionnel est rémunéré par celui qui conçoit le médicament ou produit de santé qu’il est censé prescrire ou recommander à son patient.

VISITE MÉDICALE

Une pratique encadrée, mais…

Afin d’encadrer la visite promotionnelle (encore appelée visite médicale), une charte a été élaborée en 2004 par le Comité économique des produits de santé et Les entreprises du médicament. Remanié en 2014, le texte dispose que l’information promotionnelle doit être « une information scientifique, encadrée et validée favorisant la qualité du traitement médical, (…) dans le souci d’éviter le mésusage du médicament (…) et de participer à l’information des professionnels de santé ». La remise d’échantillons y est formellement interdite sauf pour une démonstration. Les cadeaux sont également proscrits, ainsi que les avantages non intégrés dans le cadre d’une convention soumise au préalable aux Ordres des pro?fessionnels concernés. Le laboratoire doit présenter avec ses produits l’avis de la commission de la transparence et les recommandations de bonne pratique de la HAS(1). Est-ce bien le cas dans tous les établissements ? La charte actuelle n’étant juridiquement pas contraignante, la question demeure…

1- La HAS a développé une procédure de certification, fondée sur cette charte pour les entreprises mettant en œuvre la visite médicale.

SAVOIR PLUS

Revues et ouvrages

→ « Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre – un manuel pratique ». Projet collaboratif OMS/Action internationale pour la santé, disponible en ligne sur le site de la HAS (http://bit.ly/1KF9yaM).

→ « Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ? » La Troupe du rire, disponible en ligne sur le site du Formindep (http://bit.ly/1Gp0pQR).

→ La revue Prescrire, totalement indépendante des financements de l’industrie et de l’État, synthétise, à travers des processus de rédaction et de relecture collectifs, l’actualité du soin.

→ « Interactions entre l’industrie pharmaceutique et les infirmières », Anne-Sophie Grenouilleau, Hervé Nabarette, Soins n° 784.

→ Les blogs www.voiesmedicales.fr et grangeblanche.com.

→ Les dossiers du Formindep.

Formation

→ Les formations en ligne proposées par Prescrire. L’un de ses programmes est destiné aux infirmières. Non reconnue au titre du DPC (développement professionnel continu), cette formation a néanmoins été validée par plus de 1 300 professionnels depuis sa création en 2011Le programme « Questions de pratiques », créé en 2013 pour l’ensemble des professionnels de santé, est validable au titre du DPC ; une trentaine d’infirmières l’ont suivi.

BONNE CONDUITE

CONTRECARRER L’INFLUENCE DE L’INDUSTRIE

Il existe, au quotidien, des moyens simples et des attitudes permettant aux infirmières d’exercer leur regard critique afin d’avoir du répondant face à la parole des laboratoires. Revue de détails.

En premier lieu, il faut être conscient de ces tentatives d’influence et apprendre à développer un regard critique sur tout ce qui nous est présenté », note Nathalie Dallard, infirmière aux urgences d’Aubenas (07) et administratrice au Formindep. L’infirmière a commencé à se poser de sérieuses questions après le décès par hémorragie massive de sa mère, sous anticoagulants oraux, avant que les nouvelles molécules qu’on lui avaient prescrites soient placées sous surveillance renforcée par l’Agence nationale de sécurité du médicament. « J’ai fait des recherches et je me suis demandé pourquoi on avait pu prescrire ce médicament qui n’était recommandé qu’en deuxième intention. »

La professionnelle réalise alors qu’elle n’a jamais appris à connaître le circuit du médicament, ce qui régit sa mise sur le marché, etc. « Donc la deuxième recommandation que je formulerais, c’est de toujours chercher à s’informer et de manière indépendante des laboratoires pharmaceutiques », ajoute-t-elle.

L’IDE, une sentinelle

Depuis qu’elle s’est engagée auprès du Formindep, l’IDE a également tenté d’influer sur les pratiques de son service : « Nous pouvons inciter les internes à aller lire les recommandations de la HAS, au lieu de prescrire uniquement en suivant l’exemple du médecin, nous pouvons interpeler nous mêmes les visiteurs médicaux lorsqu’ils présentent des produits qui n’apportent rien de neuf à l’arsenal thérapeutique. » Surtout, l’infirmière est à même d’ouvrir la discussion avec le médecin sur les prescriptions qu’il formule si quelque chose l’alerte. « Aucune IDE ne devrait se contenter d’être dans l’exécution d’une prescription, insiste Gisèle Hoarau, cadre de pôle en hématologie (Pitié-Salpétrière) et présidente de l’Afitch-OR(1). Précisément, c’est aussi parce qu’elle ne prescrit pas à l’hôpital qu’elle est dans une forme de liberté à l’égard des industriels et qu’elle peut se permettre de questionner le médecin. »

Enfin, l’observation clinique particulière à l’infirmière doit également être l’occasion de prendre pleinement sa place dans la déclaration des effets indésirables auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). « L’infirmière est au plus près du patient, c’est elle qui observe ces effets indésirables, explique Nathalie Dallard. Trop souvent, elle ne les déclare qu’au médecin qui peut ne pas donner suite… Alors que nous pouvons contribuer à remplir les formulaires auprès de l’ANSM qui éviteront à des produits dangereux de demeurer sur le marché. »

1- Association française des infirmières de thérapie cellulaire, hématologie, oncologie et radiothérapie.

DU CÔTÉ DE LA LOI

DES RÈGLES MAL RELAYÉES

Selon la loi, l’ONI est tenu de viser préalablement toute convention conclue entre un industriel et une IDE. Mais comme seules 175 000 infirmières y sont inscrites, un certain nombre échappe à son examen.

En France, deux lois limitent les possibilités d’influence des industries sur les professionnels de santé (dont les IDE). Depuis 1993, une loi dite « anti-cadeaux » interdit de recevoir des avantages de la part d’industriels commercialisant ou produisant des dispositifs remboursés par l’Assurance maladie, hors activités de recherche ou d’évaluation scientifique et de formation continue. Ce même texte impose aux ordres professionnels de viser préalablement toute convention conclue entre un industriel et un professionnel de santé.

L’indépendance prime

« En 2014, nous avons reçu 6 281 projets de convention – un chiffre en augmentation constante, explique Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre national infirmier (ONI). 92 % sont relatives à l’hospitalité, c’est-à-dire des invitations à assister ou prendre la parole à des conférences ou des congrès, pouvant inclure les repas, le transport, l’hébergement. » Des demandes concernant des opérations non nationales sont également adressées aux Ordres départementaux, dont la mission ordinale ne semble pas toujours bien comprise : tel comité départemental interpèle ainsi les IDE non inscrites à l’Ordre concernées par une convention afin qu’elles « régularisent » leur situation ; tel autre affirme n’avoir jamais reçu la moindre convention. Au niveau national, après lecture par le service juridique, les projets sont visés par le bureau.

« Nous vérifions que ces collaborations correspondent aux compétences infirmières, qu’elles ne prêtent pas à compérage et qu’elles cadrent à l’indépendance professionnelle », poursuit Karim Mameri.

Mise en œuvre floue

L’ordre n’émet d’avis que pour les IDE inscrites au tableau. Seules 175 000 infirmières sur 617 000 étant inscrites, un certain nombre de conventions échappent donc à son examen… « Lorsque nous émettons un avis défavorable, nous pouvons formuler des recommandations, observe Karim Mameri. Mais nous ne savons pas quelles sont les suites données à notre avis. » Pourtant depuis une seconde loi datée de 2011, dite de « transparence », les industriels doivent indiquer à l’Ordre si la convention soumise préalablement a été mise en œuvre… Ce texte oblige aussi l’industrie à rendre publics les avantages (supérieur à 10 €) procurés aux mêmes professionnels de santé (mais aussi aux établissements, aux associations, aux étudiants, à la presse médicale…) et les conventions concluent avec eux. Depuis 2013, ces informations sont mises en ligne par le ministère de la Santé avec un degré de précision relativement limité. Le montant des conventions est jusqu’à présent exclu de la publication. Ce qui pourrait prochainement changer, un amendement à la loi de santé prévoyant qu’ils soient également rendus publics.