À la rentrée 2012, plus de 68 % des ESI étaient âgés de 20 à 29 ans
NADÈGE CONTEJEAN : Tout d’abord, il importe de souligner que cette génération est celle du multimédia. Les Y maîtrisent les technologies de l’information et de la communication et sont hyperconnectés. À la moindre question médicale, certains recherchent tout de suite la réponse et l’obtiennent rapidement, parfois même avant les professionnels plus expérimentés. La spécificité des Y est également leur grande curiosité : ils posent énormément de questions, de façon très spontanée et parfois sans y mettre les formes. D’ailleurs, lorsque quelque chose ne leur convient pas, ils n’hésitent pas à le dire. Il s’agit d’une génération qui compte un certain nombre d’enfants-rois ou uniques, qui n’est pas habituée à la frustration. Elle est dite impatiente car elle est influencée par l’instantanéité numérique.
Ces étudiants nous renvoient de nombreuses questions sur nos pratiques, car ils ont à cœur de comprendre pourquoi les professionnels agissent de telle ou telle façon. En quête de sens, ils ne prennent pas tout ce qui leur est dit pour argent comptant. Face à une prescription médicale, ils s’interrogent : pourquoi tel médicament ? pour quel effet ? quelle maladie ?
N. C. : Les Y ont réellement une vision holistique du patient, sans doute en raison de l’organisation par compétences du nouveau référentiel de formation. Ils parviennent donc à faire les liens entre les différents savoirs et la pathologie. Un patient diabétique, par exemple, n’est pas abordé sous l’angle de sa maladie mais par rapport à tout ce qui le compose. Les Y ne mettent ni les patients, ni les maladies dans des cases.
N. C. : Le rapport au travail, à la carrière et à la structure qui les emploie est important aux yeux des Y, mais leur épanouissement personnel est également indispensable. Cela pourrait se résumer ainsi : « Il n’y a pas que le travail dans la vie. » Ils tiennent à l’équilibre entre les sphères professionnelle et personnelle. Les Y pensent à eux et ne vivent pas la profession infirmière comme un sacerdoce. Ils n’hésitent pas à demander l’organisation de leur planning en fonction de leurs activités personnelles, par exemple. D’ailleurs, ils sont très à cheval sur les horaires, ce qui n’est pas forcément un point positif. J’ai déjà vu des ESI partir à 14 heures, horaire certes indiqué sur leur planning, alors que les transmissions n’étaient pas terminées ! En outre, lorsqu’un terrain de stage ou un lieu d’exercice ne leur convient pas, les Y n’hésitent pas à le faire savoir sans forcément se remettre en question. Si un stage se passe mal par exemple, certains ESI vont d’abord mettre cela sur le compte du terrain de stage avant de s’interroger sur leur propre attitude. Dans cette même lignée, la plupart des jeunes IDE demandent à quitter les services qui ne leur plaisent pas.
N. C. : Il existe un décalage entre leur représentation du métier et la pratique quotidienne. Les Y ont tendance à oublier qu’être infirmier implique une continuité de soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par conséquent, travailler la nuit et les week-end. Cela est accentué entre le rythme de l’Ifsi (avec les vacances scolaires) et celui quotidien de l’IDE (et ses cinq semaines de congés payés annuelles). Les ESI de première année, notamment, ne mesurent pas la pression inhérente au métier d’infirmier. Les étudiants sont demandeurs de tutorat et comptent donc énormément sur les IDE qui ont de l’expérience. Ils ont un grand besoin d’accompagnement et, en quelque sorte, d’un mentor.
N. C. : Avec les Y, nous sommes dans une forme de « fin d’éducation », pour reprendre le terme d’un cadre de santé que j’ai interviewé pour mon mémoire. Cela commence avec le téléphone portable. Ils sont nés avec et ne voient pas le mal à le garder en permanence dans la poche. Or, cela pose des problèmes en termes d’hygiène dans les services, de secret professionnel, voire de respect vis-à-vis des patients entre autres. Il faut donc sans cesse leur rappeler que le téléphone doit être laissé au vestiaire (et cela vaut également pour la plupart des jeunes professionnels…). Il n’est pas toujours évident pour ces personnes hyperconnectées de comprendre qu’il ne faut pas envoyer des textos pendant le travail ! Il y a également des rappels à faire concernant la présentation : il convient de travailler dans une tenue correcte et propre, avec une coiffure convenable. De même, il faut parfois expliquer qu’on ne s’adresse pas à un patient en le tutoyant ou en l’appelant pas son prénom.
N. C. : Les Y bousculent un peu les équipes, notamment les anciennes générations de soignants qui exercent depuis longtemps. Certains professionnels ont parfois tendance à oublier que les protocoles, les mentalités et les patients évoluent. Les demandes de ces derniers ne sont plus les mêmes qu’hier. Aujourd’hui, les patients sont informés et veulent comprendre leurs soins. L’hôpital est également davantage ouvert sur l’extérieur. Le soignant est plus dans l’échange avec le patient. C’est quelque chose de très naturel pour les nouvelles générations, qui n’hésitent pas à donner leur avis.
Les ESI Y apportent également au terrain de stage les connaissances dispensées dans les Ifsi ou les autres services. Ils osent davantage s’exprimer, mais sont parfois maladroits dans la façon de dire les choses. C’est là où le bât blesse : ils n’y mettent pas forcément les formes et manquent de diplomatie. Ils auront par exemple tendance à soumettre leur idée plutôt qu’à poser des questions pour amener celle-ci de manière plus fine. Enfin, les Y introduisent du dynamisme au sein des équipes, en particulier lorsque celles-ci sont à bout de souffle. Ils y insufflent des connaissances ou des nouvelles pratiques, ainsi que leur ouverture d’esprit.
N. C. : Les Y ont besoin de bien identifier qui sont leurs tuteurs, car cela les rassure. Il est nécessaire de procéder à un suivi et des bilans réguliers avec eux. Il convient donc de leur consacrer du temps pour détailler les points à améliorer. Et surtout, il importe de souligner ce qu’ils font de positif, toujours afin de les rassurer. Par ailleurs, cette génération a besoin d’être responsabilisée à court terme, avec de petites missions. Le résultat de leurs efforts doit être visible presqu’immédiatement : ils ont besoin de récolter tout de suite les fruits de leur travail. Il est donc peu utile de les emmener dans un premier temps sur des projets à moyen et long termes, car ils n’en distinguent pas la finalité.
Il convient également de prendre conscience qu’être ESI dans un service n’est pas chose aisée : il lui est constamment demandé de garder sa place de stagiaire, mais il arrive qu’il compte dans l’effectif lors d’absence de professionnels… Les stagiaires sont également confrontés à des remarques récurrentes de type « la formation était de meilleure qualité avec l’ancien référentiel ». Quelques professionnels considèrent également que certaines matières, telles que l’anthropologie et la sociologie, sont inutiles. Mais dévaloriser la formation revient à dévaloriser l’ESI.
N. C. : Il importe d’accorder une place importante aux objectifs de l’ESI lors des entretiens et d’aborder ce point très régulièrement en vue de les réajuster avec eux. Cela leur laisse le temps de mettre en œuvre les compétences pour y parvenir. En tant que cadre de santé, il convient aussi de donner du temps au tuteur dans ce but quand c’est possible. Enfin, les formateurs et les professionnels de terrain ont tout intérêt à user de diplomatie avec les Y. Il est plus utile pour un cadre d’argumenter ses propos plutôt que de vouloir les imposer sous prétexte de la hiérarchie. Pour cette génération, le chef n’est pas chef grâce à son statut, mais surtout par son positionnement, par ses prises de décisions. Même s’il n’est pas d’accord avec la décision prise, le Y l’acceptera si cette dernière est assortie d’explications.
1- Source : Drees, avril 2014.
2- La génération Y regroupe les personnes nées entre la fin des années 70 et le milieu des années 90.