« On peut exercer son esprit critique ? » - L'Infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

INTERVIEW MARYSE VÉRON FORMATRICE À L’IFSI DE MONTÉLIMAR, RÉDACTRICE À LA REVUE PRESCRIRE

DOSSIER

Maryse Véron, formatrice à l’Ifsi de Montélimar (26), tente au fil des jours d’amener les étudiants à développer un regard critique et à se préserver de l’influence des laboratoires.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment mettez-vous en pratique votre engagement contre l’influence des industriels dans votre activité de formatrice ?

MARYSE VÉRON : J’ai en charge le cours de santé publique. Son programme me permet d’aborder de nombreuses thématiques sur lesquelles je peux amener les étudiants à s’interroger sur les pratiques qui leurs sont transmises. Ainsi, lorsque je parle de la surconsommation de médicaments en France, j’observe que nous sommes également le 3e producteur européen de médicaments et qu’il y a peut-être un lien de cause à effet… Par ailleurs, en montant le programme de e-learning en pharmacologie avec les pharmaciens de l’université de Grenoble, je me suis assurée que les médicaments étaient désignés par leur dénomination commune internationale (DCI). On s’assure aussi que ce sont bien les traitements recommandés en première intention qui sont mentionnés, et non les traitements de deuxième ligne souvent plus chers et avec des effets indésirables moins bien documentés.

L’I. M. : Existe-t-il une influence des industriels sur les étudiants dès l’Ifsi ?

M. V. : Oui. Quand je suis arrivée dans cette école, il y a six ans, il y avait des supports de cours préparés par les laboratoires, notamment ceux qui fabriquent des pansements. Parfois, leurs représentants intervenaient en cours à la demande des formateurs. Idem pour les démonstrations d’usage des glucomètres. Je m’y suis opposée dès mon arrivée. Car cela impliquait qu’un futur professionnel soit influencé par l’industriel lui-même. C’était déjà mettre dans sa tête le nom de produits, la marque et des pratiques discutables. Par exemple, aujourd’hui, on peut prévenir les escarres par l’usage de produits spécifiques (et coûteux) que sont les « secondes peaux », vantées par les labos. Alors que ce qui est officiellement recommandé, cela reste une toilette et un séchage attentifs, éviter les plis des draps, utiliser des effleurages, éviter toutes pressions, repositionner le patient toutes les deux heures, etc. Bref, du soin infirmier.

L’I. M. : Les enseignements sont-ils désormais plus indépendants ?

M. V. : Maintenant c’est une IDE spécialisée plaies et cicatrisations qui dispense ces cours. Bien-sûr, beaucoup d’enseignants viennent de l’hôpital et nous ne leur demandons pas leur déclaration publique d’intérêt. Certains médecins ne parlent pas en DCI. Mais lorsque j’assiste à leurs cours, j’essaye de montrer qu’on peut exercer son esprit critique. Ainsi, récemment, sur la prise en charge de la bronchiolite, j’ai entendu l’un d’eux recommander la kinésithérapie respiratoire. Or, ce n’est pas la préconisation qui ressort de l’analyse de la littérature internationale. En tant que formatrice et IDE, je me suis permis de le questionner gentiment. Histoire de montrer aux étudiants qu’ils peuvent s’interroger et interpeler leurs collègues, même médecins. Autre exemple, un médecin qui est venu parler de l’ostéoporose et qui a cité des traitements inutiles, voire dangereux, que la revue Prescrire a classé dans la liste des médicaments à écarter. Il évoquait également l’ostéodensitométrie systématique que la HAS ne recommande pas. Mais même auprès de mes collègues, ma démarche n’est pas facile à présenter. Parce qu’on a tous été formés comme ça, sans regard critique.

L’I. M. : Qu’est-ce qui vous a amené à adopter cette démarche ?

M. V. : J’ai beaucoup travaillé en cancérologie. Ce sont des services où les expérimen?tations sont nombreuses, ; quand on y travaille, on est très proches des laboratoires pharmaceutiques. Ensuite, je suis partie gérer un service d’HAD. Là, on soignait également des patients atteint de cancers, de sida… Et j’ai commencé à m’interroger sur tous ces médicaments qu’ils devaient avaler, la multiplication des ordonnances entre leurs séjours hospitaliers… J’ai continué à me former en obtenant un DESS en santé publique. Et dans ma pratique, j’ai commencé à lire Prescrire. Des médecins qui y travaillaient m’ont conseillé d’y participer aussi. Tout ce cheminement m’a amenée à devenir rédactrice et responsable de la formation que nous y avons développé pour les infirmières.