L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

SOPHIE KOMAROFF  

Le terrain de stage confronte l’ESI aux réalités de son futur métier. Quand celles-ci se conjuguent à la pression induite par la formation et à des difficultés personnelles, l’étudiant décroche parfois. Une situation qui peut avoir des conséquences lourdes tant pour lui-même que pour les patients.

Une accumulation de faits est généralement à l’origine d’un stage non validé ou d’une situation de souffrance chez un étudiant », souligne Nicole Pierre-Poulet, directrice de l’Ifsi AP-HP Tenon (Paris). La confrontation avec la maladie, la mort, la précarité sont autant d’éléments déstabilisants pour l’étudiant au début de son cursus, d’autant que les premiers contacts avec le métier vont à l’encontre de certaines idées reçues. « Être infirmier consiste davantage à soigner qu’à guérir, rappelle Loïc Martin, formateur IFCS au CHU de Rouen (76). Donc, dans certains cas, à accompagner la fin de vie. » Les insuffisances en termes de connaissances théoriques, notamment, mettent souvent en péril le bon déroulement d’un stage. « Il y a un décalage chronologique entre l’enseignement dispensé à l’Ifsi et l’arrivée sur certains terrains de stage : il est malheureusement compliqué pour les coordinateurs de stage de procéder différemment, remarque Coralie Gaubert, cadre de santé à l’hôpital Le Relais à Marseille (13). Certains ESI demandent expressément une spécialité, mais n’ont pas révisé avant ! Enfin, le niveau des études en soins infirmiers est de plus en plus exigeant, nécessite une autonomie de travail, et il n’est pas certain que toutes les personnes admises au concours soient en capacité d’y arriver. » La vingtaine d’évaluation théoriques annuelles additionnées au travail demandé en stage peuvent en effet alimenter le stress induit par la formation. Lui-même nourri par le stress des professionnels chargés de former les ESI en stage. Effectif trop important de stagiaire par rapport au nombre d’IDE, difficulté de remplacement dans les services, épuisement des professionnels, etc. « Notre charge de travail se trouve alourdie par l’encadrement des stagiaires, note Armand Grelier, IDE au service de maladies infectieuses du CHU de Rouen et tuteur de stage. Nous devons leur expliquer tout ce que nous faisons et les superviser lorsque nous les laissons pratiquer les actes. Nous avons le devoir des les accompagner, de les observer et de reprendre les choses avec eux. Cela requiert beaucoup de temps. » « Nous sommes dans un service très dynamique, renchérit Émilie Le Gouader, IDE dans la même unité. Pour que le stage soit fructueux, l’ESI doit suivre et s’accrocher ! Il est nécessaire d’intégrer rapidement les informations et de gagner en dextérité. »

De plus, le contact avec les professionnels cause parfois une situation de souffrance chez l’ESI : les équipes soignantes sont le reflet du monde du travail – manque d’affinités, difficultés à tenir les objectifs, exigences excessives, problème d’intégration voire collègues maltraitants font également partie des réalités professionnelles. S’y ajoutent parfois des éléments propres à l’ESI : problèmes de comportement, de santé, difficultés personnelles et/ou financières, etc. Enfin, la décompensation d’une maladie psychiatrique n’est pas un phénomène exceptionnel dans les promotions d’ESI.

Attention aux attitudes de fuite

Pour toutes ces raisons, la vigilance est de mise chez les professionnels de terrain et les formateurs. « Nous sommes attachés à dépister les signes classiques de stress : pleurs, enfermement sur soi, manque d’investissement, retards et/ou arrêts maladie récurrents, difficulté à se confronter aux soins, attitude de fuite, etc. », énumère Loïc Martin.

La prévention repose en premier lieu sur l’accueil du stagiaire : présentation du service, échanges sur les objectifs de stage, le projet de soin, la pratique institutionnelle, examen du portfolio et conseils utiles selon le terrain. « De plus, je mets en place un rapport d’étape en cours de stage qui consiste en l’analyse écrite d’une situation interpellante, illustre Coralie Gaubert. Cela nous donne un moyen supplémentaire de nous rendre compte si l’étudiant est en difficulté et pour quelles raisons. »

« De leur côté, les équipes sont généralement promptes à alerter leur cadre, poursuit Élodie Dapvril, IDE faisant fonction de cadre de santé à l’hôpital Armand Trousseau à Paris (AP-HP). Lorsque je rencontre un souci avec un étudiant, je contacte toujours l’Ifsi afin de savoir s’il est logique que cet ESI décroche. Je n’hésite pas à impliquer le formateur référent du terrain de stage afin de repositionner l’étudiant dans le parcours. Et nous avons des comptes à rendre à l’Ifsi, qui nous confie ses ESI. » Une visite du formateur sur le terrain est une possibilité, à la demande des professionnels, de l’ESI ou du formateur lui-même. « Les enseignants me tiennent informée dès qu’il y a un problème majeur avec un étudiant et je reçois ce dernier autant de fois que nécessaire, explique Nicole Pierre-Poulet. Ce n’est pas à prendre à la légère, car cela peut mettre en danger la vie des patients, en particulier en troisième année. Soit l’étudiant en est conscient et il donne l’alerte de lui-même. Le stage n’est alors pas validé. Soit ce danger est repéré par les formateurs ou les équipes de terrain. Certains ESI n’en sont pas conscients, minimisent celui-ci voire ne le reconnaissent pas. » « Le comportement est le point le plus critique, renchérit Florian Lataste, faisant fonction de cadre au CH de Villeneuve-Saint-Georges (94). Certains ESI n’acceptent pas les remarques et ces situations conduisent à des conflits. »

Instaurer une relation de confiance

Du côté de l’Ifsi, l’accompagnement pédagogique peut s’assortir d’une mise en relation avec la médecine du travail ou le psychologue de l’université, le Crous, un foyer de jeunes travailleurs, les travailleurs sociaux. Dans tous les cas, les solutions sont étudiées au cas par cas. L’interruption de la formation peut même être envisagée, le temps de régler les problèmes financiers ou personnels. « Malheureusement, nous sommes parfois démunis en termes de souffrance, car les difficultés de certains élèves, des problèmes relevant de la santé mentale, par exemple, nous dépassent », déplore Nicole Pierre-Poulet.

Sur le terrain de stage, le soutien constant et l’accompagnement renforcé des équipes restent la clé pour éviter les décrochages. « Je n’hésite pas à recevoir chaque semaine les ESI particulièrement fragiles, indique Coralie Gaubert. Il importe d’instaurer une relation de confiance avant que les difficultés surgissent. Je les rencontre aussi afin d’évaluer s’ils questionnent leurs difficultés, leurs échecs, leurs émotions… Nous pouvons aider et faire progresser l’étudiant s’il nous parle. Celui-ci doit savoir qu’il y a quelqu’un de disponible pour lui. Le psychologue de la structure peut également intervenir comme personne référente lors de souffrance. » Un travail s’effectue également au sein des équipes : « L’échange est indispensable pour tenter d’expliquer la situation de l’étudiant, sans trahir ses confidences, et favoriser l’indulgence », note Élodie Dapvril.

Bienveillant certes, mais exigeant

Pour remédier à ces situations, l’encadrement des tuteurs est également primordial. « Cela implique parfois une dose de travail pendant nos temps de repos, reconnaissent Émilie Le Gouader et Armand Grelier. Nous redéfinissons les objectifs selon le problème, nous répartissons différemment la charge de travail, nous revoyons le suivi pédagogique pour faire évoluer la situation… Nous ne voulons pas que le stage se traduise par un échec. »

Les événements problématiques et la non validation d’un stage conduisent à l’établissement d’un rapport circonstancié par le tuteur, le cadre et une ou deux IDE ayant accompagné l’étudiant en stage. Ce document retrace de manière factuelle ce qui est reproché à l’ESI. Lorsque la vie d’un patient est mise en danger du fait de son travail, ou quand son comportement devient trop problématique, le stage est arrêté. « Avant d’envisager l’exclusion, une mise en situation théorique ou pratique peut-être demandée, indique Nicole Pierre-Poulet. Cela peut-être une chance, mais c’est la dernière. » « Les équipes soignantes et de formateurs doivent certes être bienveillantes envers l’étudiant, mais cela s’assortit d’exigences, à la hauteur de ce que nous pouvons proposer au patient », conclut Loïc Martin.

ÉTUDIANTS EN DIFFICULTÉ

Des instances pour y faire face

→ Le conseil pédagogique est susceptible d’aborder différentes situations telles que le cas d’étudiants :

– en difficulté pédagogique pour lesquels le conseil peut proposer un soutien particulier afin de lever les difficultés sans allonger la formation ;

– « ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes soignées » à l’origine d’une suspension de stage. Dans cette situation, le conseil peut alerter l’ESI sur sa situation et lui fournir des conseils pédagogiques pour y remédier ou proposer un complément de formation. Il peut également soumettre l’étudiant à une évaluation pratique complémentaire sous la responsabilité du tuteur avant de prendre une décision sur la poursuite ou non de la formation. Le conseil pédagogique peut également exclure l’étudiant de manière temporaire ou définitive.

→ Le conseil de discipline se prononce sur les fautes disciplinaires. Les sanctions possibles sont l’avertissement, le blâme, l’exclusion temporaire (une semaine au maximum) ou définitive de l’Ifsi.

Les membres de ces conseils sont tenus au secret au regard des informations concernant les étudiants dont ils ont connaissance.

Source : arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux, lire aussi p. 61.