L'infirmière Magazine n° 366 du 01/12/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

Corinne Drault  

Les conditions dans lesquelles est utilisé le linge en milieu hospitalier en font un vecteur potentiel de maladies nosocomiales. De ce fait, la maîtrise de l’hygiène à toutes les étapes est un enjeu prioritaire pour les structures de soins.

Literie du patient, tenues professionnelles… Le linge est partout dans l’hôpital. Son rôle est primordial tant dans la protection des personnels que pour la sécurité et le confort des patients. Alors qu’en Europe, 80 % des établissements hospitaliers publics externalisent l’approvisionnement, l’entretien et la distribution du linge – ce que les spécialistes nomment la « fonction linge » -, en France, ce chiffre tombe à 20 %(1). À raison de 2 à 3 kg de linge par jour et par lit(2), la blanchisserie hospitalière traite en moyenne 1,5 tonnes de linge par jour et par structure. Un volume colossal qui nécessite pour chaque établissement une installation adaptée aux besoins quotidiens des services.

En France, selon les données du ministère de la Santé, 5 % des personnes hospitalisées sont touchées par des infections nosocomiales, et 4 000 en meurent. Selon les hygiénistes, les infections nosocomiales ayant pour origine le linge sont peu nombreuses. Ce risque existe néanmoins, car les textiles ont la capacité de se contaminer ; des germes peuvent ainsi proliférer sur le linge sale et se transmettre, en particulier quand le linge « propre » est mal traité. Peu de travaux scientifiques ont été réalisés sur le rôle du linge dans la transmission des maladies nosocomiales. Mais quelques études décrivent néanmoins les risques liés aux blouses des soignants ou au linge des patients.

Risques liés aux blouses blanches

Une publication réalisée par une équipe de chercheurs israéliens à l’hôpital Shaare Zedek de Jérusalem a fait grand bruit en 2011(3). L’étude montrait que les blouses blanches des infirmières et des médecins hospitaliers sont pour moitié contaminées par des agents microbiens. Dans l’étude, les blouses de 135 professionnels de santé (médecins et infirmières) travaillant dans des services de chirurgie (60 %) ou de médecine interne (40 % en orthopédie, urologie, ophtalmologie, cardiologie) ont été recueillies, afin d’effectuer des analyses à divers endroits des vêtements (autour du nombril, bout des manches, poches, etc.). Résultat : pour 40 %, les prélèvements étaient contaminés par une bactérie pathogène et 10 % par deux ou trois bactéries pathogènes.

→ Les infirmières sont plus à risque de porter des bactéries résistantes aux antibiotiques que les autres professionnels médicaux en raison de leurs soins aux patients. Les auteurs de l’étude ont ainsi relevé 32 cas de staphylocoques dorés résistants aux antibiotiques sur les 238 prélèvements réalisés. À noter qu’une précédente étude(4) avait déjà mis en évidence que 65 % des infirmières ont leur tenue contaminée par le staphylocoque résistant à la méticilline (Sarm) après avoir réalisé des soins à des malades colonisés ou infectés par ce germe.

→ Plus les lavages sont fréquents, moins il y a de risques. En effet, le point le plus intéressant de cette publication était que près de 60 % du personnel soignant qui a participé à l’étude a indiqué changer de tenue chaque jour. Ce qui signifie que plus de 40 % mettaient leur blouse au moins deux jours de suite ! Or, 29 % de ceux qui changeaient de blouses tous les deux jours étaient porteurs de germes sur leur tenue, contre 8 % de ceux qui en changeaient quotidiennement. Ces chiffres éloquents montrent qu’en se changeant tous les deux jours, on multiplie par trois le risque de véhiculer des bactéries résistantes.

→ Des blouses sans poches. Une publication sur la contamination des blouses blanches médicales a montré dès le début des années 1990(4) que les poches et les poignets sont les parties les plus contaminées de la tenue médicale. La contamination est par ailleurs plus fréquente dans les spécialités chirurgicales que médicales.

Les risques liés au linge des patients

→ Risques liés au linge propre : une importante épidémie d’infections graves à Acinetobacter baumannii a été dénoncée dans plusieurs services différents d’un hôpital dans une étude datant de 1995(5). En cause : des oreillers en plumes entretenus par lavage en blanchisserie, mais insuffisamment séchés ont constitué le réservoir. Un autre travail a signalé des cas de méningites à Bacillus cereus(6). Première erreur, le linge avait été mal lavé avec un cycle de lavage comportant une phase de chaleur et un traitement chimique insuffisant pour détruire le bacille sous forme de spore. Deuxième erreur, le linge encore humide avait été stocké dans des emballages plastiques à une température élevée, ce qui avait favorisé la multiplication de la bactérie.

Enfin, deux cas d’infections ont été décrits(7), dues à du linge propre, recontaminé durant les phases de finition et préparation : un épisode d’entérocolite nécrosante dans une maternité parisienne, imputable au portage d’un Staphylococcus aureus dans la gorge d’un agent de la blanchisserie ; une apparition de pustules staphylocciques chez des nouveaux-nés, dues à des couches contaminées par les mains et le rhino-pharynx d’un agent de la blanchisserie.

• À retenir : le linge propre peut être responsable d’infections nosocomiales graves s’il n’est pas correctement traité ou géré tout au long du circuit du linge. Des micro-organismes particulièrement résistants à la chaleur ou aux désinfectants, comme le Bacillus cereus, ou des agents infectieux banaux, comme le Staphylococcus aureus, introduits en aval du lavage par une mauvaise étape de manipulation du linge propre sont souvent incriminés.

→ Linge sale de patients : l’écologie microbienne du linge sale a été abondamment étudiée. Les bactéries en cause sont des germes d’origine cutanée (Staphylococcus aureus, Staphylococcus à coagulase négative, Corynebacterium sp.) ou des bactéries d’origine digestive (Enterococcus sp., E. coli, Klebsellia). Des bacilles Gram + sont également cités (Acinetobacter baumannii et P. aeruginosas). La présence de bactéries multirésistantes est également décrite ; 60 % des draps des patients porteurs de Sarm seraient contaminés par cette bactérie(4). Or, des germes multirésistants peuvent être véhiculés par le linge des patients. Dans une étude rapportant des infections de patients infectés à Enterobacter faecium résistants à la vancomycine, on a trouvé des germes sur le linge(9).

Les risques pour le personnel

→ En blanchisserie où le linge sale est manipulé, l’infection du personnel est extrêmement rare. Les médecins du travail n’ont jamais relevé plus d’absentéisme en blanchisserie pour maladie infectieuse que dans les autres secteurs d’activité. Seule une transmission nosocomiale à trois personnes d’une blanchisserie chargée du tri du linge souillé par des selles de patients infectés de gastro-entérite à Salmonella hadar a été rapporté en clinique(9). Le port des gants n’était pas systématique lors du tri et la prise de repas s’effectuait dans la même pièce que le tri du linge sale. D’autres infections variées du personnel ont été rapportées à la suite de la manipulation du linge sale sans précautions : hépatite B, fièvre Q, variole, gale, hépatite A (10, 11).

→ Dans les services de soins, le personnel peut contaminer sa tenue lors des soins de nursing par du Sarm ou d’autres germes de la flore fécale et ainsi transmettre le micro-organisme, et ce, malgré un lavage des mains(5).

• À retenir : dans les unités de soins, le linge sale peut entraîner une contamination des mains des soignants, de leur tenue vestimentaires et de l’environnement. Ces mécanismes rendent inévitable le rôle du linge sale dans la transmission croisée de micro-organismes multirésistants aux antibiotiques.

1 - « Guide pour la mise en œuvre de la méthode Rabc en blanchisserie hospitalière », URBH, 2011.

2 - « La norme Rabc en blanchisserie », AudiTextyl, 2012.

3 - Wiener-Well Y. et al., « Nursing and physician attire as possible source of nosocomial infections », American Journal of infection control, vol 39, 2011, Issue 7, 555-559.

4 - Boyce J.-M. et al., « Environmental contamination due to methicillin-resistant Staphylococcus aureus : possible infection control implications », Infect Control Hosp Epidemiol, 1997 ; 18 :622-7.

5 - Weernink A. et al., « Pillows, an unexpected source of Acinetobacter », J Hosp Infect, 1995 ; 29 :189-99.

6 - Barrie D. et al., « Contamination of hospital linen by Bacillus cereus », Epidemiol infect, 1994 ; 113 :297-306.

7 - Tissot-Gueraz F. et al., « Le linge : un maillon de l’infection nosocomiale », Revue hospitalière de France, 1995 ; 4 :413-17.

8 - Yamaguchi E. et al., « Colonization pattern of vancomycin-resistant Enterococcus faecium »,. Am J Infect Control 1994 ; 22 : 202-6

9 - Standaert S.-M. et al., « Nosocomial transmission of Salmonella gastroenteritidis to Laundry workers in a nursing home », Infect Control Hosp Epidemiol 1994 ; 15 : 22-6

10 - Martin M., « Nosocomial infection related to patients care support services », In Prevention and control nosocomial infections, 1997.

11 - Mc Donald L. et al., « Laundry services » p. 58. In Hospital epidemiology and infection control, sous la direction de Glenn Mayhall, Éd. Wolters Kluwer/ Lippincott, William and Wilkins, 1996.

HYGIÈNE

Une norme, des décrets

Parce que le linge retient facilement les micro-organismes, l’hygiène dans la gestion du linge hospitalier constitue un enjeu capital. Les conditions de traitement, de transport, et de stockage du linge propre doivent être maîtrisées sur le plan microbiologique.

→ La norme européenne EN 14065 de 2003 et le système d’analyse des risques et de maîtrise de la biocontamination (Risk Analysis Biocontamination Control – Rabc) sont des méthodes de référence en blanchisserie pour atteindre cette maîtrise. Selon la norme européenne, le linge propre est défini comme présentant une contamination inférieure à 12 UFC/25 cm2 en fin de traitement à la blanchisserie. Quant au linge de qualité microbiologique maîtrisée, il s’agit d’un linge pour lequel on ne tolère aucun germe hospitalier à l’origine d’infections nosocomiales dans cette marge de 12 UFC/25 cm2.

→ Des décrets hospitaliers engageant la responsabilité des soignants s’ajoutent à cette norme. Notamment l’article 11 du décret n° 93-221 du 16 février 1993 stipule que « l’infirmier ou l’infirmière respecte et fait respecter les règles d’hygiène dans l’administration des soins, dans l’utilisation des matériels et dans la tenue des locaux ». Le décret n° 1995 – 1 000 du 6 septembre 1995 portant sur le code de déontologie médicale rappelle dans l’article 71 les règles d’hygiène à respecter dans la pratique médicale.

RISQUES INFECTIEUX

QUID DE LA TENUE DES SOIGNANTES

Afin de limiter le risque infectieux lié à la transmission des micro-organismes présents sur les tenues du personnel, le Cclin Sud Ouest a émis des recommandations(1). Le point avec son responsable, le Dr Pierre Parneix.

→ Tenue standard obligatoire

La tenue standard obligatoire comprend :

– une tunique/pantalon ou une blouse à manches courtes (mélange composé à 65 % de polyester et à 35 % de coton) ;

– des chaussures spécifiques garantissant la sécurité du professionnel (antidéparantes et fermées sur le dessus et facilement nettoyables) ;

– une « veste passe couloir » pour se protéger du froid lors des déplacements et des temps de pause. « Elle est souhaitable, mais seuls quelques services en proposent actuellement », indique le Dr Pierre Parneix, responsable du Cclin Sud Ouest ;

– les effets personnels sont interdits (sous-vêtements manches longues, gilet, foulard) ;

– les bijoux, y compris les montres et alliances, sont proscrits, et les cheveux doivent être attachés et propres, les ongles courts, sans vernis, ni faux ongles. « Un changement quotidien de la tenue standart est préconisé, ou immédiatement si la tenue est souillée. Dans les vestiaires, il faut éviter le contact entre les tenues civiles et professionnelles. Les vestiaires à compartiment doivent être privilégiés. »

→ Port du piercing ?

« Le piercing pose effectivement question, car les risques infectieux sont connus notamment, en cas de piercing facial avec un portage nasal de staphylocoque résistant à la méticilline (Sarm) chez les soignants. Le piercing pourrait avoir un impact sur le risque d’infections liées aux soins. Mais pour l’heure, nous ne disposons pas d’éléments pour trancher. Il convient donc de se ranger sur le règlement intérieur de chaque établissement. »

→ Quand mettre des gants à usage unique ?

Dans les précautions standard, le port de gants à usage unique est recommandé :

– en cas de risque de contact avec du sang ou des liquides biologiques ;

– en cas de contact avec une peau lésée et/ou muqueuse ;

– pour la manipulation de linge souillé ;

– et en cas de lésions cutanées chez le soignant.

Dans les précautions complémentaires, cette même protection est préconisée :

– lors de soins (sauf peau saine) ;

– en cas de gale ou Clostridium difficile.

Évidemment, il convient de retirer les gants dès la fin du soin et avant de toucher l’environnement.

→ Quand porter une surblouse ou un tablier à usage unique ?

Le port du tablier est recommandé :

– en cas de soins mouillants, souillants, exposant à des projections ;

– en cas de soins exposant au sang et liquides biologiques ;

– pour la gestion des excréta ;

– pour l’entretien et la désinfection du matériel, des locaux ;

– pour la manipulation du linge sale.

Les précautions complémentaires prévoient le port du tablier en cas de contact direct avec un patient mis en précautions complémentaires (de type air/gouttelettes). Il convient de porter une surblouse manches longues en cas de contact direct avec un patient porteur de gale et de Clostridium difficile par exemple.

→ Et les masques ?

Le port du masque chirurgical est recommandé :

– en cas de soins exposant à des projections (dyalise) ;

– ou en cas de toux supposée d’origine infectieuse chez le soignant ;

– et, précaution complémentaire, dès l’entrée dans la chambre d’un patient atteint d’une infection respiratoire, en particulier de la grippe ;

– le port d’un masque plus étanche de type FFP2 est recommandé pour entrer dans la chambre d’un patient atteint de rougeole, de varicelle ou suspecté/atteint de tuberculose (protection contre les gouttelettes en suspension dans l’air) ;

– ne pas oublier de changer les masques toutes les 3 heures, et dès qu’il est mouillé et souillé ;

– ne pas oublier d’effectuer une hygiène des mains après le retrait de ces petits matériels de protection.

1- http://bit.ly/1OabyMp