À l’écoute et soignante, l’infirmière de l’éducation nationale informe et éduque les enfants à la santé, de 6 à 25 ans. Jouissant d’une certaine liberté dans ses actions, elle ne perd jamais de vue sa mission première : le bien-être et la réussite de l’élève.
Promouvoir la réussite des élèves et des étudiants (…) et participer plus largement à la politique du pays en matière de prévention et d’éducation à la santé », telle est la définition du rôle de l’infirmière de l’Éducation nationale (IEN) donnée par les textes. Un rôle ambitieux pour une population de seulement 7512IEN, pas une de plus !, selon le rapport statistique 2013-2014 du ministère de l’Éducation nationale, à 95 % en poste dans les collèges et lycées. Bien que dépendante du ministère de l’Éducation nationale, l’infirmière scolaire porte une double casquette. Qu’elles soient administratives et techniques, chacune de ses tâches comporte un volet santé et éducation : accueil, soin, écoute, prévention et orientation. Ni enseignante, ni encadrante, l’infirmière scolaire est membre de l’équipe pédagogique à part entière, elle est un pivot dans le suivi de l’élève. Sur le terrain, ce rôle étendu peut se décliner de manière très variée selon la carte scolaire, au gré des évolutions sociétales et des sensibilités de chacune grâce notamment à une grande liberté d’action.
En matière d’éducation à la santé, dans les collèges et lycée, après l’hygiène bucco-dentaire, la nutrition et la sécurité routière vient le temps des campagnes d’information sur le harcèlement, l’alcool, les drogues, la violence et la sexualité. L’un des axes de travail de Claire Toulemonde, au collège Max Jacob de Quimper (29), est l’apprentissage de la sexualité et des conduites à risque liées. Militante associative contre le sida, dans les années 1990, elle a toujours une corbeille de préservatifs masculins sur le devant de son bureau, en libre-service. « Je m’en fiche que les ados en fassent des ballons de baudruche. L’idée première est de dédramatiser l’objet pour qu’ils s’en servent en temps utile. » Quel que soit le sujet, pas de recette miracle. « À leurs âges, ils sont sans cesse bousculés, entre l’enfance et le monde des grands, souligne Claire Toulemonde. Nous n’avons pas les solutions à leur place. Notre rôle est de leur donner les clés pour comprendre le monde qui les entoure. »
« Le plus dur, c’est le post-bac », assure Dominique Omnès, infirmière à l’IUT de Lannion (22). « Dans l’enseignement supérieur, l’éducation à la santé n’est plus imposée contrairement aux premier et second degrés. On ne peut pas contraindre les étudiants à participer à nos ateliers. » En poste depuis 2001, l’IEN travaillait auparavant au lycée professionnel de Paimpol (22), la seule catégorie d’établissements où la présence infirmière est obligatoire du fait de la dangerosité des machines utilisées par les élèves. « Quand on a 18 ans, on en a marre d’écouter les conseils de l’infirmière scolaire, ironise la soignante. À cet âge, les jeunes ont envie de liberté. À nous de trouver les formules pour les capter et les sensibiliser. » Comme ses collègues du second degré, Dominique Omnès choisit ses thèmes d’actions selon sa sensibilité. « Difficile pour moi d’être crédible sur le tabagisme », concède-t-elle, la voix rocailleuse. Elle laisse la prévention « active » aux stagiaires qui l’accompagnent. « Je me concentre sur d’autres sujets. » L’un de ses préférés est la nutrition, « plus léger ». À chaque rentrée, elle organise un petit-déjeuner « du monde » pour les 800 étudiants du campus. Du thé anglais au pain noir allemand, elle passe ses messages autour d’un buffet et cela fonctionne. « Il leur faut du concret », insiste-t-elle.
D’autres campagnes sont dictées aux infirmières par la spécificité du territoire. Si aujourd’hui Alexandrine Le Goff, en poste à Douarnenez (29), s’emploie contre l’alcoolisation des collégiens et lycéens, lorsqu’elle était en poste au lycée professionnel des Minguettes, à Lyon (69), elle bataillait contre la consommation de drogues. « Chaque région est différente. Il faut en capter les problèmes de santé majeurs et donner les armes aux plus jeunes pour s’en préserver. » À Quimper, entre vingt-cinq et trente nationalités se côtoient au collège Max Jacob. L’établissement, situé dans un quartier populaire, fait partie du réseau d’éducation prioritaire (REP). Le « vivre ensemble » y est primordial. L’égalité entre hommes et femmes, un sujet de tous les jours. De nombreux ateliers participatifs destinés aux élèves sont régulièrement mis en place. Le prochain, initié par l’IEN et la mairie de quartier, portera sur la communication non-violente.
Parfois, les actions font flop. Les consultations gynécologiques hebdomadaires lancées à l’IUT de Lannion, en 2014, n’ont pas eu de succès. Elles étaient nées de l’observation faite par l’infirmière, quelques mois plus tôt, du nombre croissant de demandes de pilule du lendemain et d’oublis de préservatifs déclarés. « On peut passer à côté, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas retenter, admet-elle. Il faut bien choisir le moment des actions. »
Quand elles le peuvent, les infirmières scolaires assurent également les formations aux premiers secours. Si Alexandrine Le Goff a cessé de former les élèves de quatrième, faute de temps, Dominique Omnès encadre douze étudiants par an, pour l’obtention du PSC1 (prévention et secours civiques de niveau 1). « C’est une demande de leur part. Un bagage en plus dans leur CV qu’on ne peut qu’encourager. »
Si les IEN n’hésitent pas à solliciter les collectivités et les professionnels de la prévention (Sécurité routière et gendarmes), nombre d’entre elles préfèrent des actions participatives originales, qu’elles jugent plus efficaces. Séances de cinéma avec l’antenne douarneniste du planning familial pour Alexandrine Le Goff, saynètes sur le tabagisme avec une troupe de théâtre quimpéroise pour Claire Toulemonde. À chaque fois, elles s’appuient sur le tissu local. Dominique Omnès, elle, a participé au documentaire Jeudi soir, dimanche matin
Evoluant avec les modes et la société, des problématiques récurrentes se dessinent dans le quotidien des infirmières scolaires. Le mal-être des jeunes demeure une cause répétée de passage à l’infirmerie. « Bien souvent, derrière le mal de ventre, il y a autre chose, souligne Alexandrine Le Goff. Une situation familiale complexe, un problème d’alcool ou de drogues. Il faut savoir l’entendre. » Des angoisses somatisées et autres scarifications, Claire en voit pour sa part beaucoup sur ses 3 000 visites annuelles. Les motifs sont légion, et ce, jusqu’à l’âge adulte.
Absentéisme, retards, trouble du comportement, chutes des résultats. En coordination avec l’assistante sociale, le conseiller d’orientation, le conseiller principal d’éducation et les professeurs principaux, l’infirmière scolaire de collège ou lycée peut dresser une liste des élèves « à suivre ». L’objectif est de voir le jeune dans sa globalité et de lui apporter une solution personnalisée. Si besoin, elle dirige l’élève vers un parcours de santé adapté (centre médico-psychologique infantile, ophtalmologue, nutritionniste, etc.). Depuis peu, plusieurs IEN observent un renoncement aux soins croissant. Dans le quartier populaire de Quimper, Claire sait qu’elle est souvent le maillon unique et central du parcours de santé, « parce qu’il n’y a pas les médicaments à la maison ou par manque de ressources », glisse-t-elle. « Les familles nous consultent. Si ce n’est pas vital, elles ne vont pas vers les professionnels. » Un rôle consultatif clé qui n’est pas son préféré. Même tendance observée par Dominique Omnès, à Lannion. Sur prescription médicale, elle administre de plus en plus de traitements, vaccine, réalise des ablations de fils et autres prises de sang. « L’infirmerie étudiante ressemble parfois à un mini-service d’urgences, sans les malades graves. »
Dire adieu aux contraintes d’emploi du temps de l’hôpital, c’est l’un des avantages recherchés par les postulantes : des planning calés longtemps à l’avance, des horaires diurnes fixes, des vacances en période scolaire. Un bémol tout de même : avec l’annualisation du temps de travail, l’infirmière scolaire effectue en moyenne de 39 heures par semaine. Nombre d’infirmières avouent avoir tenté le concours de la fonction publique pour ces raisons. Alexandrine Le Goff a sauté le pas à la naissance de son enfant (lire p. 63). « J’avais besoin de temps pour l’élever, explique-t-elle. La vie en libéral n’était plus compatible. » Jeune diplômée, Dominique Omnès, elle, a fui « le rythme infernal de l’hôpital ».
On aurait tord néanmoins de généraliser les avantages de la fonction. Dominique Omnès, qui a passé quatre nuits par semaine en internat pendant cinq années, parle de « vie de famille sacrifiée ». Des contraintes que ne compense guère, estime-t-elle, l’octroi d’un logement de fonction pour celles qui assurent des permanences dans les internats. D’autres avantages sont aussi versés selon les spécificités des postes : primes aux conseillères techniques, aux IEN de réseaux d’établissements prioritaires ou d’enseignement adapté. Des plus bienvenus pour allonger une rémunération brute mensuelle qui s’élève à 2 037 € en début de carrière (échelon 4). Elle peut atteindre 2 797 € en fin de carrière (échelon 11, hors classe)
Dans le primaire, où les nombreux déplacements, source de fatigue, sont de mise, les moyens ne sont pas toujours à la hauteur de la mission. Sarah Reigner assure le suivi des CE2 et des « grande section » des écoles publiques et privées du quart nord-ouest du territoire n° 2 de Bretagne, soit une quinzaine de communes entre la presqu’île de Crozon et la pointe du Raz (Finistère). Examens biométriques, sensoriels, vérification des vaccinations et entretien, elle réalise le bilan infirmier de chaque élève dont elle a le suivi. « En début d’année, je programme mes visites selon les disponibilités des enseignants », explique Sarah Reigner. Je ne passe que ponctuellement, il faut rentabiliser les déplacements et voir le maximum d’élèves. »
Par ailleurs, comme leurs consœurs hospitalières, les infirmières scolaires sont exposées aux violences verbales et physiques, en première place des risques. De manière plus intime, elles redoutent l’attachement et les effets psychologiques induis que peut avoir leur implication dans la réussite scolaire d’un élève. D’autant que le suivi peut durer plusieurs années.
Enfin, bien intégrées dans leurs établissements, les IEN déplorent le peu d’occasions de se rencontrer sur leur territoire. À son initiative personnelle, Alexandrine Le Goff échange avec d’autres infirmières au sein de « groupes de secteur ». En parallèle, l’inspection académique du Finistère organise des formations ponctuelles, un autre moment pour échanger.
Enfin, suite aux mesures et annonces promises à l’été, les infirmières scolaires ont désormais la charge des dépistages des élèves dans leur 11e année (arrêté interministériel – ministères de la Santé et de l’éducation nationale – paru le 3 novembre, complété d’une circulaire du 12 novembre). Cette nouveauté de leur parcours de santé complète les visites médicales assurées par les médecins dans leur 6e année. Une satisfaction pour les syndicats professionnels, dont le Snies qui apprécie « la clarification des rôles de chacun ».
Ainsi, chaque enfant qui entre au collège serait vu par l’IEN. Parmi les contenus de ce dépistage : détection des troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage, entretien avec l’élève, vérification des vaccinations, examen staturo-pondéral, évaluation de la situation clinique, dépistage des troubles visuels et auditifs, hygiène bucco-dentaire. Autre nouveauté de la refonte des missions : le renforcement du suivi infirmier sur les territoires “sensibles” (REP et zones rurales notamment) ainsi que la reconnaissance des postes « interdegrés » pour les postes partagés entre un collège et des écoles d’un même territoire.
1- Jeudi soir, dimanche matin, documentaire de Philippe Lubliner, 50 minutes, 2014.
2- Données au 10 décembre 2012. Source Éducation nationale.
3- Le projet d’arrêté a été présenté, en juillet 2015, par les ministres de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, et de la Santé, Marisol Touraine.
Depuis 2011, le ministère de l’Éducation nationale a fait de la prévention du harcèlement entre élèves, l’une de ses priorités. Selon une enquête de 2014, il touche 5 % des écoliers et 6 à 7 % des collégiens.
→ Cyber-harcèlement. Vidéos postées sur Internet, photos diffusées par SMS ou commentaires laissés sur les réseaux sociaux. L’infirmière scolaire, en lien avec l’équipe pédagogique, doit identifier les situations de harcèlement verbal, physique ou psychologique.
→ Prévention. Un plan de prévention a été lancé en 2015. Au programme : stratégie d’équipe, élèves acteurs de la prévention et « justice scolaire ». Objectif : faire connaître les dispositifs existants (numéros verts et réseaux des référents « harcèlement »), mettre en place des procédures et développer la formation des encadrants.
→ Répression. Lorsque la prévention ne suffit plus, l’infirmière scolaire signale le harcèlement caractérisé à sa hiérarchie. Les mesures vont de l’avertissement à l’exclusion, selon la gravité des faits. Des mesures de responsabilisation (activités de solidarité) se développent comme alternative à la sanction.
Site Internet dédié : http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr
L’IDE qui souhaite devenir infirmière scolaire peut prétendre au concours de la fonction publique sans autre formation, ni qualification particulière.
→ Conditions. Le recrutement des IEN s’effectue par voie de concours. La candidate dépose son dossier avec copie des titres et des diplômes acquis ainsi qu’un CV détaillé. Aucune limite d’âge n’est opposable.
→ Contenu. Le concours comprend une épreuve écrite d’admissibilité : questions sur la profession d’infirmière et les missions que sont amenés à remplir les IEN, ainsi qu’une épreuve orale d’admission : un exposé de dix minutes suivi d’une discussion avec le jury. Pour être admissible, il faut obtenir la note minimale de 8. Pour être admis, il faut obtenir la note minimale de 10.
→ Statut. L’infirmière admise au concours et qui trouve un poste, devient « stagiaire » pendant une année. À l’issue de cette période, elle peut être titularisée et devient alors fonctionnaire d’État. La période de stage compte pour l’avancement. Les infirmières stagiaires qui ne sont pas titularisées peuvent être autorisés à accomplir un stage complémentaire d’une durée maximale d’un an.
À noter : les IEN sont classés en catégorie A depuis le 1er juin 2012.
Les prochaines inscriptions au concours d’IEN seront ouvertes du 2 février au 2 mars 2016. http://www.education.gouv.fr/cid1072/-infirmier-e.html