L'infirmière Magazine n° 366 du 01/12/2015

 

FORMATION

CAS PRATIQUE

Hélène Trappo  

Confronté à une insuffisance récurrente de linge, le centre hopsitalier d’Arpajon, en région parisienne, décide à la suite d’un événement indésirable grave de remettre à plat la gestion du linge. Les services de soins ont été largement associés à la démarche.

L’HISTOIRE

→ En juin 2011, un patient amené par le Samu à l’hôpital n’a pas pu être pris en charge dans le service de réanimation et a dû être transféré dans un autre établissement. La cause : l’impossibilité de lui préparer une chambre en raison du manque de linge.

→ Cet événement indésirable grave (EIG) fait l’objet d’une déclaration. Il survient à la suite d’autres incidents notamment l’utilisation de casaques jetables (transparentes) ne permettant pas de respecter la pudeur du patient, un patient amené au bloc directement sur le matelas faute de drap.

→ Par ailleurs, le service gestion des risques constate que le linge a fait l’objet de pas moins de 25 fiches de signalements en peu de temps.

→ Face à une situation devenue très critique, la décision est prise de mettre en œuvre un comité de retour d’expérience (Crex). Le service gestion des risques informe la direction générale de la situation et de la démarche entreprise.

→ Une rencontre avec l’équipe d’encadrement est décidée afin de lui exposer la situation et de démarrer au plus vite un groupe de travail (voir p. 43) ;

→ Des mesures à court terme sont prises :

– prêt à titre gracieux de 1 000 draps par le prestataire jusqu’à obtention d’une autre dotation ;

– achat de matériels supplémentaires (500 serviettes de toilette, taies et serviettes gaufrex, 300 torchons, 100 couvertures, 100 housses de matelas) ; – suivi des signalements au quotidien.

ANALYSE

Le travail effectué en Crex a permis de dégager :

– les conditions latentes et les facteurs contributifs généraux à l’origine d’une insuffisance de linge, et favorisant ainsi les conditions propices à l’erreur ;

– les facteurs déclenchants et les facteurs contributifs spécifiques qui influent sur la pratique clinique, et génèrent des erreurs ou des violations et des dérives.

1. LES CONDITIONS LATENTES

Le contexte institutionnel

Outre la politique économique, marquée par des restrictions financières, des lacunes dans la gestion ont été révélées. Impossible en effet de connaître la dotation réelle et effective de linge globale pour l’ensemble de l’établissement. « D’un côté, les services ignoraient leur dotation, de l’autre on ne connaissait pas les besoins précis, précise Maryline Gautier, responsable assurance qualité, risk manager au CH d’Arpajon. De manière récurrente, on constate un manque de linge dans les trois mois qui suivent l’obtention de nouvelles dotations. » De fait, l’absence d’un logiciel spécifique à la gestion du linge, à l’époque des faits, ne facilite guère la réalisation d’un suivi statistique.

Autre constat : le manque d’harmonisation des pratiques entre les Ehpad concernant le linge de toilette personnel, certains établissements demandant aux résidents de l’apporter, d’autres non. Dans les USLD (Unités de soin de longue durée), où le manque de serviettes de toilette est criant, les résidents sont censés apporter leur linge. Or, le contrat ne le prévoit pas dans le trousseau lors de l’admission.

Facteurs organisationnels et de gestion

Ils sont de plusieurs ordres.

→ Absence de définition des besoins réels par service d’où un manque de certains matériels ou un surplus selon les cas. « La réception journalière moyenne de draps correspond à environ 50 % des besoins réels, assure Maryline Gautier. Les draps sont achetés, mis en circulation puis envoyés en blanchisserie. Sur les 800 pièces, je n’en recevais que 500. »

→ L’absence d’harmonisation des pratiques concernant la réfection de lit. Aucun protocole n’est rédigé. Selon les services, on utilise deux, trois draps, certains servant d’alèse, d’autres de traversin… Du linge est utilisé en « mode dégradé » comme en néonatalogie où les draps servent à la confection de cocons (voir le tableau p. 44). Autant dire qu’il est très difficile pour la lingerie d’évaluer les besoins globaux.

→ Absence de procédure et de moyens de traçabilité de la gestion du linge, encore moins des demandes supplémentaires.

Facteurs liés à l’environnement de travail

La perte de linge est un phénomène récurrent à l’hôpital, pour différentes raisons.

→ Du linge est emporté lors des transports extérieurs à l’occasion de sorties ou transferts de patients. Il arrive aussi que ce dernier quitte sa chambre d’hôpital en emportant des serviettes de toilette (cas le plus fréquent) dans ses bagages, volontairement ou non.

→ Autre matériel voué à la disparition : les bandeaux de lavage. Une étude réalisée par la responsable logistique révèle que les disparitions sont hétérogènes selon les services, avec 100 % de retours pour certains, 80 % pour d’autres, sachant que le prestataire de lavage est mis hors de cause. « Nous achetions 3 000 bandeaux tous les deux mois alors que l’on fonctionne normalement avec 2 000 bandeaux », rapporte Maryline Gautier.

Facteurs d’équipes

La communication au quotidien entre les services et la lingerie passe mal. Le responsable logistique souffre du manque d’informations tels que le nombre de lits ouverts, les nouvelles organisations de services, les dotations spécifiques sur des jours donnés. « Par exemple, une nouvelle organisation génère un mercredi sur deux une augmentation des besoins en alèses, suite aux interventions chirurgicales pédiatriques. Leur nombre étant insuffisant, on utilise des draps, ce qui diminue d’autant la possibilité de réfection des lits adultes, la lingerie n’ayant pas été prévenue de ce changement… », explique Maryline Gautier.

Facteurs individuels

→ Le non-respect des procédures relatives au retour de linge est une autre cause de pénurie. C’est le cas lorsqu’un drap est mis au déchet parce que trop souillé, usé, sans que la lingerie n’en soit informée. Il arrive aussi que des mélanges de linge se produisent lors de l’envoi au prestataire qui travaille avec plusieurs établissements et ne traite pas ce problème.

→ On note encore des formes d’utilisation inappropriée de linge. Par exemple, des casaques destinées aux patients sont endossées par les soignants comme protection thermique (voir tableau p. 44). Cette pratique concerne surtout les équipes de nuit, les services « à courant d’air » tels les urgences.

Facteurs liés aux tâches à effectuer

→ Plusieurs facteurs sont en jeu, notamment l’absence de système autre que l’intervention manuellle pour :

– identifier le linge par la responsable logistique. Depuis, un système de code barre et d’étiquette unique a été instauré (lire l’article p. 45) ;

– vérifier chaque jour le linge propre lors de la récupération du prestataire et du retour dans les armoires.

De plus, il est impossible de réaliser des statistiques, en l’absence de logiciel approprié.

→ Certaines formes d’utilisation du linge sont aussi source de pénurie car non comptabilisées : utilisation d’alèses supplémentaires dans certaines situations, par exemple, lors de la mise au fauteuil en USLD.

→ Autre pratique affectant le circuit du linge : l’absence de fermeture des sacs de linge sale, condition sine qua non pour le ramassage interne (à heure fixe), ce qui retarde son départ vers la blanchisserie.

→ Des pertes de temps et financières sont également liées au traitement manuel des tenues professionnelles qui rend fastidieuse la recherche des blouses manquantes, en particulier celles non restituées lors du départ de l’établissement.

Facteurs liés aux patients

La lingerie n’est pas informée d’un besoin supplémentaire de matériel exigé dans le cas de certaines pathologies et selon la dépendance du patient.

2. FACTEURS DÉCLENCHANTS/CONTRIBUTIFS SPÉCIFIQUES

L’insuffisance et/ou une mauvaise gestion du linge liée aux facteurs évoqués ci-dessus ont des conséquences dans la durée et à différents niveaux.

→ Elle crée des conditions productrices d’erreur ou de violation des bonnes pratiques :

– la non-réfection des lits souillés, ce qui peut entraîner, par exemple, une hausse des risques d’escarre ;

– l’utilisation de linge inapproprié par rapport aux soins effectués ;

– l’absence de change vestimentaire ou l’utilisation de casaques jetables (transparentes) ;

– le non-respect du protocole de préparation préopératoire conduisant à des actes à risques ou à des dérives (cas du refus d’un patient amené par le Samu).

Autant de conditions qui nuisent à la qualité des soins car elles conduisent à une hygiène insuffisante.

→ Des effets sont visibles à plus long terme : désorganisation du travail et des équipes, difficultés relationnelles entre les services et la lingerie, pertes financières, image dégradée des soins effectués dans l’établissement. Des conséquences potentielles sont aussi dégagées : risques infectieux, perte de la qualité des soins et plainte écrite des malades et des familles, voire du représentant des usagers.

3. ACTIONS ET RECOMMANDATIONS

Le Crex propose différents axes d’amélioration, s’appuyant sur les travaux des groupes de travail.

→ Actions en terme d’équipement :

– une augmentation de la dotation globale de linge a été décidée : achats de 3 000 draps, 400 couvertures polaires, 500 taies d’oreiller, 2 000 serviettes de toilette éponge, 1 000 bandeaux, 500 chemises longues, 300 tenues professionnelles ;

– des actions nécessitant une étude ont été identifiées. Exemples : recours à des draps housse adultes et couveuses, à des draps jetables, cocons pédiatriques ;

– demande d’un logiciel de traçabilité des tenues professionnelles et de la dotation des armoires.

→ Actions nécessitant un rappel d’informations : une information des équipes par les cadres s’est avérée nécessaire portant sur les procédures de linge et tenues professionnelles, celles relatives aux commandes de linge, à l’utilisation des nids d’abeille ou gaufrex, aux bons de réforme pour le remplacement du linge usé, à l’habillement du personnel.

→ Actions nécessitant un protocole : réfection de lits, gestion des transferts et déplacements de patients, gestion des brancards après utilisation par les ambulanciers, hygiène des fauteuils et des mouilleurs, maintien des patients lors de soins en consultation externe. Enfin, un document de dotation de linge par service et des supports de communication entre les services et la lingerie ont été prévus.