Face à la maltraitance infantile, l’infirmière doit jongler entre devoir d’assistance et respect du secret professionnel. Le point sur ses obligations et sur la méthode à suivre pour dénoncer les cas d’enfance en danger.
Nul ne peut fermer les yeux sur la maltraitance d’un enfant, encore moins un professionnel de santé. Et la maltraitance infantile est plus fréquente qu’on ne le croît. « Quand je travaillais en lien avec l’association Enfance et partage, c’est un à deux dossiers d’enfants maltraités que je devais traiter tous les mois », confie Delphine Allain-Thonnier, avocate au barreau du Val-de-Marne et spécialisée en droit de la famille, droit des mineurs et droit des victimes. Le code de la santé publique confère un rôle à l’infirmière dans la détection et l’évaluation des risques de maltraitance. La loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 lui procure aussi des moyens d’action. Mais l’infirmière doit encore savoir identifier les cas de maltraitance, connaître les procédures à suivre et les circonstances de la levée du secret professionnel.
Sévices, privations, humiliations… De quoi parle-t-on exactement ? La maltraitance de l’enfant n’est pas définie en droit français. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) y inclut « toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité, dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir ».
Un consensus international a vu le jour sur les cas concrets de maltraitance. Il en distingue quatre formes
→ Les violences physiques, identifiables en présence d’ecchymoses, d’hématomes, de plaies, de brûlures, de fractures, etc. Et qui peuvent, dans les cas les plus extrêmes, entraîner la mort de l’enfant.
→ Les violences sexuelles : viols, autres agressions sexuelles…
→ Les violences psychologiques graves : humiliations verbales ou non verbales, menaces verbales répétées, marginalisation ou dévalorisation systématique, exigences excessives ou disproportionnées par rapport à l’âge de l’enfant… Ces violences se traduisent par une exposition répétée de l’enfant à des situations dont l’impact émotionnel dépasse ses capacités d’intégration psychologique. Ses effets se traduisent par un trouble des conduites sociales et du comportement, et par des sentiments d’autodépréciation.
→ Les négligences lourdes, qui concernent souvent les jeunes enfants. Elles entraînent notamment une dénutrition, une hypotrophie staturo-pondérale ou encore un nanisme psycho-social.
En France, la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a inclu la maltraitance dans la définition plus large de l’« enfance en danger ». Depuis, les professionnels peuvent alerter les autorités en l’absence de diagnostic médical systématique. Un enfant est en danger, ou en risque de danger, lorsque sa santé, sa sécurité, sa moralité sont en péril ou lorsque son éducation, son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromis
Pour pouvoir agir, l’ASE doit-elle encore avoir identifié le danger. Il appartient donc à chacun de signaler les cas de maltraitance qu’il a découvert. C’est une obligation. Le code pénal punit de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, la personne qui avait connaissance d’un crime et qui ne l’a pas dé-noncé alors qu’elle aurait pu en prévenir les effets, les limiter, ou éviter que de nouveaux crimes soient commis. La même peine est applicable à celle qui s’abstient de dénoncer les privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles infligés à un enfant de moins de quinze ans. Quant à celui qui renonce à empêcher une infraction ou à porter secours à une personne en péril alors qu’elle en aurait les moyens, elle risque 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Ces délits sont prévus par le code pénal
Comment, donc, concilier ces obligations ? Face à la maltraitance d’un enfant, « la loi n’oblige pas l’infirmière à rompre le secret professionnel, mais elle l’y autorise, tranche Delphine Allain-Thonnier, avant de souligner que les professionnels de santé sont les mieux placés pour déceler les coups et les hématomes ». Pour elle, « ils devraient ainsi profiter de ce positionnement privilégié pour les détecter et les dénoncer ». Le dépistage et l’évaluation des risques de maltraitance entrent d’ailleurs dans les missions propres de l’infirmière
Mais à ce jour, « 5 % seulement des signalements émanent des professionnels de santé », déplore Delphine Allain-Thonnier. À l’appui de ces omissions, « une méconnaissance du mode d’emploi à suivre » et « une crainte des représailles plus ou moins fondée », rapporte l’avocate. Certes, des établissements hospitaliers se sont déjà vus condamnés pour avoir signalé de mauvais traitements qui n’en étaient pas. En 1995, la petite Camélia, 22 mois, amenée à l’hôpital, était enlevée à ses parents car elle présentait plusieurs fractures. Le bébé était en fait atteint de la maladie d’ostéogenèse imparfaite, dite « maladie des os de verre ». Enzo, en 2000, ou encore Terry, en 2007, furent victimes de la même erreur. Ces bébés se sont vu placer durant plusieurs années auprès des services de l’aide sociale à l’enfance, avant que le bon diagnostic ne soit enfin posé et que les parents, innocentés, en récupèrent la garde. Les hôpitaux employant les médecins fautifs ont dû répondre des erreurs d’appréciation commises par les médecins, et dédommager les parents pour le préjudice qu’ils avaient subi.
Jusque-là, les médecins risquaient aussi une condamnation pour dénonciation calomnieuse. Mais la loi du 5 novembre 2015 a supprimé ces risques juridiques ; elle stipule qu’alerter les autorités sur une situation de maltraitance « ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ».
Certes, un risque d’erreur persiste. Pour l’éviter, l’échange entre professionnels est primordial. Avant d’agir, une réflexion partagée est de mise. Le code de la santé publique autorise cet échange – sur accord du patient –, quand il a pour but d’améliorer la prise en charge sanitaire
L’alerte peut concerner tous les sévices ou privations que l’infirmière a « constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises », précise le code pénal
La « transmission d’informations préoccupantes » sert à alerter le président du conseil départemental de la situation d’un mineur en danger ou risquant de l’être
En cas d’extrême urgence, ou d’extrême gravité (suspicion d’infractions à caractère sexuel, violences graves nécessitant une intervention rapide, etc.), la Crip transmet l’information préoccupante au parquet des mineurs qui peut décider de déclencher une enquête. L’infirmière peut aussi alerter directement le procureur de la République. Du fait de leur activité, cette situation est probablement la plus fréquemment rencontrée par les infirmières hospitalières. Delphine Allain-Thonnier les encourage alors vivement à privilégier la voie judiciaire en réalisant un signalement dans les formes (voir encadré p. 55). « Les délais d’actions – poursuite des maltraitants, placement provisoire de l’enfant… – sont beaucoup plus rapides », assure-t-elle, se remémorant, à l’appui de son conseil, l’accablante histoire de la petite Marina. Maltraitée par ses parents, la fillette avait succombé à ses blessures en 2009, à l’âge de 8 ans. Elle était suivie par l’aide sociale à l’enfance, mais « la lenteur de la procédure administrative n’était pas adaptée à l’urgence de la situation », analyse l’avocate. Et comme en témoigne le guide pratique publié par le ministère
Si la situation requiert une intervention immédiate, l’infirmière peut joindre par téléphone le tribunal de grande instance ou, en dehors des heures d’ouverture, le 17. Elle complètera son appel d’un signalement écrit dont elle transmettra, dans tous les cas, une copie à la Crip… Avant d’être informée des suites : engagement de poursuites, procédure alternative ou classement sans suite.
1- HAS, « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir », octobre 2014 ; et Enfance et partage, « Agir contre la maltraitance, guide juridique à l’usage des professionnels de l’enfance », septembre 2014.
2- articles 375 du code civil et L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles.
3- Articles 434-1, 434-3 et 223-6 du code pénal.
4- Article 226-13 du code pénal.
5- Article R. 4311-5 du code de la santé publique.
6- Article R. 4312-7 du code de la santé publique.
7- Article L. 1110-4 du code de la santé publique.
8- Article 226-14 du code pénal
9- Article R. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles.
10- Article L. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles.
11- Ministère de la santé et des solidarités, « La cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation, guide pratique, protection de l’enfance ».
La transmission d’information préoccupante ou le signalement d’un cas de maltraitance ou d’enfance en danger doivent être précis. Ci-dessous les mentions à inclure, si possible.
→ Informations relatives au signalant
– Identité : nom, prénom, âge.
– Service d’activité et qualité.
– Lien avec la victime.
– Façon dont il a eu connaissance des faits.
→ Informations relatives à la victime
– Identité : nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse.
– Identité de chacun des parents ou titulaire de l’autorité parentale : noms, prénoms, dates et lieux de naissance, adresses.
– Modalités des droits de visite et d’hébergement en cas de séparation.
→ Énoncé des faits
– Objectif, sans jugement de valeur.
– Précis (date des évènements, description des lésions ou des troubles du comportement avec certificat médical éventuel, répétition ou apparition isolée des faits, suivi éventuel de l’enfant, et par quel service, propos de l’enfant et/ou parent cités entre guillemets…).
→ Date et signature