« La laïcité, c’est d’abord une liberté » - L'Infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

INTERVIEW NICOLAS CADÈNE RAPPORTEUR GÉNÉRAL DE L’OBSERVATOIRE DE LA LAÏCITÉ

DOSSIER

Créé en 2007 et mis en place de manière effective en avril 2013, l’Observatoire de la laïcité conseille et assiste le gouverne- ment dans son action visant au respect du principe de laïcité. Son rapporteur général, Nicolas Cadène, nous rappelle les enjeux dans le secteur hospitalier.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Lors de son audition auprès de l’Observatoire de la laïcité, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a mis en avant une approche de la laïcité « ouverte et bienveillante ». Existe-t-il différents types de laïcité ?

NICOLAS CADÈNE : Il peut y avoir différentes conceptions de la laïcité intellectuellement, mais il n’y en a qu’une définie par la loi. La laïcité telle que définie juridiquement s’est construite dans un esprit dit « libéral », selon la conception des pères fondateurs de la laïcité, Aristide Briand, Ferdinand Buisson et Jean Jaurès, en particulier. Elle se situe dans une logique de vivre ensemble, elle est donc forcément bienveillante et non excluante. C’est cela, je pense, que la ministre souhaitait rappeler. Et effectivement, il est important de dire que la laïcité est d’abord une liberté. Néanmoins, c’est aussi un cadre qui fixe certaines limites pour, justement, garantir la liberté d’autrui.

L’I. M. : Après les événements tragiques du 13 novembre, on a beaucoup parlé de laïcité. Serait-il nécessaire de recadrer les choses autour de ce terme ?

N. C. : Au-delà du débat qu’elle suscite, il est promordial de rappeler le cadre légal de la laïcité. Il y a un besoin très fort de formation sur cette notion et ses implications sur le terrain. C’est un principe qui se vit au quotidien, qui n’est pas et ne doit pas être déconnecté ni simplement traduit par une expression intellectuelle un peu « hors-sol ». Ceux qui la connaissent ou devraient la connaître le mieux sont évidemment ceux qui sont concernés au quotidien : les mouvements d’éducation populaire, qui accueillent des jeunes de tous horizons, l’école, les agents publics et, évidemment, les hôpitaux. Ces secteurs sont prioritaires à former et à informer.

L’I. M. : Pouvez-vous nous rappeler ces règles de droit que vous évoquez ?

N. C. : Pour donner une définition simple – ce qui n’est pas toujours évident –, on peut rappeler que la laïcité repose sur trois principes. Tout d’abord, c’est une liberté, la liberté de conscience, qui est garantie par la loi de 1905, et la liberté de culte. La liberté de croire ou de ne pas croire, d’exprimer ses convictions, qu’elles soient de l’ordre de la croyance, de l’athéisme ou de l’agnosticisme. Le second principe, c’est bien entendu la séparation des organisations religieuses et de l’État, car la loi ne saurait émaner d’une quelconque organisation religieuse ni être sous une pression religieuse.

Le troisième principe, c’est l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens face à l’État et au service public, quelles que soient les convictions de chacun. C’est pour cette raison que les agents publics et ceux qui sont délégataires d’une mission de service public sont soumis à la neutralité religieuse, mais également politique. Bien entendu, dans notre sens, elle ne s’applique pas aux usagers et aux citoyens, qui se voient garantir par la laïcité leur liberté de conscience…

L’I. M. : Quel regard portez-vous sur la pratique de la laïcité à l’hôpital ?

N. C. : Dès notre installation, en 2013, nous avons demandé à toutes les administrations un état des lieux précis dans leur champ de compétence. Dans le domaine sanitaire, nous avons également sollicité le secteur hospitalier privé. Il est ressorti de cette étude que la situation est globalement sous contrôle, apaisée, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. De manière générale, les professionnels gèrent ces questions sans démissionner et sans constater une multiplication des conflits. Cela a sans doute été rendu possible, notamment, par la circulaire de 2005, qui rappelle les règles en matière de laïcité. Cependant, le moindre problème peut créer une forte crispation et un conflit important. Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et d’Internet, il peut être très vite médiatisé. Cela peut créer des polémiques fortes, des replis, des peurs, et dans l’autre sens, des provocations, injustifiées contre l’institution hospitalière. Comme le moindre cas peut créer des conflits, et des polémiques inutiles, il s’agit vraiment de l’éviter et de faire de la préventionet de la formation. Nous voulons éditer un guide pratique sur la laïcité et le fait religieux pour le secteur hospitalier. Pour cela, nous allons auditionner l’administration et le secteur privé. Nous espérons que ce guide pourra être diffusé dans le secteur hospitalier début 2016.