L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

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Caroline Coq-Chodorge  

Récit de la nuit tragique du 13 au 14 novembre par des sapeurs-pompiers, des soignants de l’AP-HP et des hôpitaux militaires. Face à l’effroi, ils ont réagi avec professionnalisme, sang-froid et organisation. À l’AP-HP, le plan blanc a cependant connu des ratés dont il faut rapidement tirer les leçons.

Le bilan de 130 morts est très lourd. Mais nous devons rester positif sur cette action de secours, nous avons sauvé des vies. Maintenant, il faut aussi déterminer ce qui peut être amélioré » : c’est l’état d’esprit des sapeurs-pompiers de Paris, au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis, résumé par le major Christophe Lamache, cadre de santé de la brigade. Grâce à un maillage serré de 78 casernes disséminées sur Paris et la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), les pompiers sont arrivés les premiers sur les différents sites des attaques. Dès 21 h 25, le 13 novembre, ils ont déclenché leur plan rouge Alpha. Ce dispositif permet « d’ajuster les moyens, si besoin sur une attaque multisites », explique le major. « Nous avons reçu plusieurs appels de personnes témoignant d’explosions au Stade de France. Nous avons envoyé plusieurs camions de pompiers, avec des moyens de secouristes, et une ambulance de réanimation avec un médecin et une infirmière. Je participais à l’intervention, au commandement, en tant qu’officier du Centre de mise en œuvre de la chaîne santé (CMO). » À Saint-Denis, 4 décès sont constatés, dont 3 se sont avérés être des terroristes, et une dizaine d’urgences absolues sont prises en charge. Sapeurs-pompiers et Samu, déclenchés de leur côté, sont parfaitement coordonnés : « Le premier médecin arrivé sur place, Samu ou pompier, organise et dirige un poste médical avancé », explique le major.

Arsenal thérapeutique

Très vite informée des attaques à Paris, la chaîne de commandement du CMO prend la direction du Bataclan et mobilise de suite tous ses moyens médicaux. « Nous avons rappelé nos médecins et nos infirmières, ainsi que tous nos réservistes. D’ordinaire, nous fonctionnons avec 6 véhicules de réanimation. Mais ce soir-là, ce sont 21 équipes médicales que nous avons mobilisées, à 70 % installées au Bataclan. » La prise en charge est protocolisée : d’abord, l’équipe médicale procède au triage des victimes, entre les décès, les urgences absolues et relatives ; puis c’est le « damage control », qui consiste à « stopper les hémorragies, à s’assurer de l’intégrité des voies aériennes, en stabilisant si nécessaire l’état du patient, avant d’évacuer au plus vite la victime ». Le poste médical avancé est installé rue Oberkampf, sous la sécurité de la police. Pendant les trois heures de l’assaut, les secours n’ont pas eu accès aux rues entourant le Bataclan et y ont découvert des victimes décédées.

Le major Lamache évoque pudiquement « l’horreur de la situation ». Mais il assure que les pompiers n’ont pas été surpris pas les blessures : « 17 % de nos interventions concernent déjà des polytraumatisés et des blessures par balles, hélas familières en milieu urbain. » Un anesthésiste-réanimateur, présent sur le lieu d’une fusillade dans le XIe arrondissement, s’est ému dans Le Quotidien du médecin du manque d’équipement des camions pompiers. « Il y a des garrots et des pansements compressifs, précise le major Lamache. Nous allons compléter cet équipement avec des garrots tourniquets, plus simples d’utilisation, et des trousses de damage control, plus complètes. Mais les véhicules de premier secours ne peuvent pas contenir tout l’arsenal thérapeutique des véhicules de réanimation pompiers, que ne sauraient pas utiliser des secouristes, ni même des médecins non expérimentés présents sur site. »

Pour les pompiers comme pour le Samu, de nouvelles questions de sécurité se posent après ces attentats. La révélation de la localisation du téléphone portable d’Abdelhamid Abaaoud, le commanditaire présumé des attentats, à proximité du Bataclan pendant la prise d’otage et la prise en charge des victimes, est glaçante. L’urgentiste Christophe Prudhomme, intervenu au Stade de France, décrit une intervention risquée : « Nous avons roulé sur des morceaux de cadavre et nous avons entendu la deuxième explosion, puis la troisième. Une personne qui se présentait comme une victime aurait pu être un terroriste. » Il faut, selon lui, repenser les messages à adresser au public : « Il faut dire à la population qu’elle ne doit pas attendre les secours, mais transporter, autant que possible, les victimes jusqu’à eux. Les soignants ne peuvent pas aller sur les lieux de l’attentat sans l’autorisation de la police, ils restent dans une zone sécurisée par le Raid. Seuls les pompiers premiers arrivés sur place apportent, sur le site des attaques, les premiers secours. Puis ils les transportent jusqu’à nous. » Côté pompiers, « une réflexion sur la sécurité est en cours », révèle le major Lamache, qui ne peut pas en dire plus. Mais il explique que le commandement pompier travaille déjà de manière rapprochée avec la police. Pour l’urgentiste Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), « il faut que le système fusionne totalement entre les urgences, le Samu et les pompiers, en lien étroit avec la police ».

Rappel du personnel

Au Bataclan, ce sont les pompiers qui ont, dans un premier temps, tenu le poste médical avancé. Parce qu’ils sont militaires, ils ont naturellement envoyé les victimes vers les deux hôpitaux militaires franciliens, où tous les médecins pompiers se sont exercés : 42 victimes ont été prises en charge à l’hôpital Bégin à Saint-Mandé (94), à quelques kilomètres de là, et 17 à l’hôpital Percy, à Clamart (92).

L’hôpital Bégin a déclenché son plan Mascal (massive casualties), une procédure d’afflux massifs de blessés appliquée en opération extérieure. Il comprend « le rappel du personnel et la mise en configuration des locaux, en particulier l’ouverture des salles de bloc opératoire », explique Béatrice, la cadre de santé d’astreinte ce soir-là. « Personne n’était préparé à ce que nous avons vécu, raconte-t-elle. Mais nous le sommes, indirectement, car nous sommes toujours prêts à partir en opération extérieure. » La mission cardinale du service de santé des armées est en effet de soutenir les troupes lors de ses opérations extérieures. Béatrice a ainsi participé à une mission en Bosnie en tant qu’IDE.

La cadre de santé décrit un rappel du personnel planifié et raisonné : « À la demande du coordonnateur de la cellule de crise de l’hôpital et en collaboration avec la cadre de santé supérieure d’astreinte, j’ai d’abord rappelé 4 à 5 IDE, puis d’autres encore afin d’être en adéquation avec le nombre de blessés que nous allions prendre en charge. J’ai pris en compte leurs compétences et privilégié les soignantes qui ont participé à des opérations extérieures, car elles connaissent les plaies par balles et savent gérer un afflux massif de blessés. Tout le monde était volontaire, certains se sont même présentés spontanément. Lundi matin, certaines m’ont reproché de ne pas les avoir rappelées. Mais il fallait anticiper la continuité de la prise en charge, jusqu’au lundi et au-delà, et donc assurer un turn-over suffisant pour ne pas épuiser le personnel, tant sur le plan physique que moral. »

S’ouvrir aux familles

La cadre de santé décrit des urgences rapidement « remplies par l’afflux des victimes, trois fois supérieur aux capacités d’accueil normales ». Des services restés vides le week-end ont été rouverts pour accueillir convenablement l’ensemble des victimes. Des secrétaires ont également été rappelées pour répondre aux appels des familles, qui recherchaient leurs proches. « Nous en avons reçu 800 sur le week-end. Et nous avons ouvert nos portes aux familles, sans limitation. » Elle montre les couloirs qui séparent son service du bloc et de la réanimation. « J’ai fait installer des chaises en plus. La restauration a été mobilisée pour préparer des cafetières. Pour faire fonctionner non-stop 25 blocs, le personnel affecté à la stérilisation et à la pharmacie a été sollicité, ainsi que d’autres services, comme le magasin, qui a dû répondre aux demandes de matériels divers, comme les draps. »

Béatrice a été impressionnée par la « sérénité et l’organisation » qui a régné dans son hôpital. « Ce week-end-là, tout a fonctionné naturellement », assure-t-elle. Mais elle en est sortie épuisée, n’ayant dormi que « quelques heures dans la nuit de samedi ». Elle a ensuite enchaîné la semaine avant de prendre un repos seulement jeudi. « Le mercredi, j’ai senti que j’étais arrivée au bout de mes limites, je n’arrivais plus à absorber. Faire face à la douleur des familles est le plus difficile. »

Même nuit tragique, vécue cette fois par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le soir du 13 novembre, l’urgentiste Patrick Pelloux a très vite été informé que des attentats étaient en cours à Paris. Il a rejoint le centre de régulation du Samu, au sein de l’hôpital Necker. Toute la soirée et une partie de la nuit, « nous avons géré, du mieux possible, 400 blessés, dont une centaine d’urgences absolues ». La direction de l’AP-HP a déclenché son plan blanc à 22 h 34(1). Les 40 hôpitaux de l’AP-HP ont été mobilisés. Deux autres « réservoirs » ont également été mis en alerte : des hôpitaux proches, mais également des CHU plus distants, disposant de 10 hélicoptères pour transporter des blessés. Le dernier bilan dressé par l’AP-HP le 26 novembre fait état de 670 personnes prises en charge par ses hôpitaux suite aux attentats, en incluant celles ayant subi un choc psychologique. « Nous avons sauvé de la mort une soixantaine de personnes, assure Patrick Pelloux. Nous ne sommes pas des héros, nous avons fait notre job d’une manière efficace ».

Effervescence

En interne pourtant, des critiques sont formulées, relayées par Régine Linard, secrétaire de la CGT à l’hôpital Saint-Antoine : « Nous n’avons pas été débordés parce que nous avons de bons professionnels, mais nous étions mal préparés. » Cette désorganisation, sauvée par la mobilisation spontanée, affleure à travers les témoignages vidéo de soignants diffusés sur le site de l’AP-HP. « Il y a assez vite un réseau qui s’est créé. On s’envoyait tous des messages pour savoir qui était disponible pour revenir. Il y a eu un élan de volontaires assez naturellement. Quand je suis arrivé, il y avait pas mal de monde, c’était l’effervescence », raconte Jérôme Marlin, IDE aux urgences de Saint-Antoine. À l’AP-HP, le plan blanc n’a en réalité que partiellement fonctionné. « Les listes des personnes n’étaient pas à jour, explique Régine Linard. Le personnel en charge de la stérilisation n’a été rappelé que le samedi matin, nous avons manqué de linge. À Saint-Antoine, une seule personne était au standard et a été incapable de prendre les appels des familles. » La direction de l’AP-HP n’a pas souhaité répondre à ces critiques et juge « prématuré » tout questionnement sur le fonctionnement de son plan blanc.

1- Le déploiement du plan a été relaté dans « The medical response to multisite terrorist attacks in Paris », un article co-signé par le directeur général et 14 professeurs de l’AP-HP, publié le 24 novembre dans le journal médical britannique The Lancet : Martin Hirsch, Pierre Carli, Rémi Nizard, Bruno Riou, etc.

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