LA PAROLE AU PATIENT - L'Infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

SEXUALITÉ

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Arnaud Aurrens  

Au centre parisien de la Croix-Rouge française, l’entretien préventif d’information et d’orientation – une consultation infirmière unique en son genre – permet une prise en charge globale de la santé sexuelle des volontaires au dépistage du VIH et des IST.

L’épidémiologie de l’infection par le VIH dans les années 1980 a mené à la création de centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et de centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist), dont les missions de prévention et de soins s’inscrivent dans une prise en charge globale du patient. Si celui-ci s’y rend avant tout pour faire des analyses, le dépistage est un moment privilégié pour faire le point sur sa santé sexuelle.

Les soins éducatifs et préventifs sont une part fondamentale de la formation des IDE. C’est pourquoi le centre Valois, dans le Ier arrondissement de Paris, propose aux patients venus se faire dépister une consultation infirmière prémédicale. Ce centre emploie quatre IDE, dont une titulaire d’un DU « infection VIH et autres MST en France », une autre disposant de la double casquette IDE et psychologue et, un infirmier sexologue. Tous ont suivi des formations universitaires complémentaires, et enchaînent des formations continues, notamment à Sida info service, ou dans les centres régionaux d’information et de prévention du sida (Crips). Cet entretien préventif d’information et d’orientation (Epio) permet une prévention exhaustive et adaptée, tout en proposant une écoute attentive. Il tourne autour de trois axes majeurs : informer, conseiller, aider ; évaluer les prises de risque et autonomiser le patient ; orienter, si nécessaire.

Entrouvrir la porte pour permettre la confidence

Ce travail de prévention englobe le soin (médicocentré ou relationnel) et l’intervention psychosociologique. En 1974, l’Association mondiale pour la santé sexuelle (WAS) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont défini trois niveaux d’intervention en matière de santé sexuelle : l’éducation, le counseling et la thérapie. L’Epio se positionne à un niveau intermédiaire de conseil en santé sexuelle. Aborder la question de la santé sexuelle au travers du prisme des IST ou du VIH conduit le soignant à entrouvrir la porte, à permettre la confidence. Dès lors, la prise en charge ne s’effectue plus uniquement sur le plan de la santé physique, mais devient pluridimensionnelle. L’entretien fait ainsi appel aux compétences multimodales de l’infirmière et permet une vraie prise en charge holistique.

D’une durée de 5 à 25 minutes, la consultation infirmière aborde un grand nombre de thématiques propres à la santé sexuelle : infections sexuellement transmissibles, orientation sexuelle, addictions et prise de drogue, contraception, violences, troubles de la sexualité… Réalisée sous la forme d’un entretien semidirectif en face-à-face, elle fait appel à plusieurs supports pédagogiques : plaquettes, dépliants, graphiques et planches anatomiques. Elle exige de solides connaissances en matière de VIH, d’IST et de santé sexuelle, mais également des qualités d’empathie et d’écoute. Il faut enfin savoir garder la juste distance relationnelle.

Le patient est vu dans un deuxième temps par le médecin, qui l’examine si besoin et prescrit des examens (prise de sang et autres prélèvements bactériologiques). Il revoit ensuite l’IDE, qui réalise la prise de sang et veille au bon déroulement des prélèvements (autoprélèvement cervico-vaginal ou anal, prélèvement de gorge, etc.). Quelques jours plus tard, conformément à la loi, les résultats sont remis au patient en main propre par le médecin, au cours d’une consultation médicale.

L’entretien amène souvent, grâce à la position de professionnel de proximité de l’IDE, une communication plus informelle qu’avec le médecin. Le patient est aussi libre de choisir quelles informations il va donner et à qui, son dossier permettant de mettre en commun toutes les données utiles à sa prise en charge. Certains facteurs, tels que l’âge du soignant, son expérience ou simplement le fait qu’il soit un homme ou une femme, peuvent influer sur les informations que le patient accepte de fournir. La relation de soin est par ailleurs préservée. La première prise de contact permet au patient d’avoir un repère et de se sentir en confiance lors du diagnostic au moment de la remise des résultats. Ce lien relationnel étant déjà construit, la continuité des soins et de la prise en charge est mieux assurée.

Aylan a posé de nombreuses questions concernant les risques liés à ses comportements sexuels. Il s’est senti en confiance pour parler de sa sexualité à l’infirmière. En revanche, il n’a pas osé évoquer avec elle ses prises de drogue lors de rapports sexuels. C’est au médecin qu’Aylan posera ces questions. Dans ce cas précis, un seul interlocuteur n’aurait pas suffi à répondre à toutes les préoccupations du patient.

Les limites du « counseling »

Le counseling a longtemps été privilégié pour la délivrance d’informations de santé et l’accompagnement du patient. Pourtant, plusieurs arguments dessinent aujourd’hui les limites de cet outil : insuffisance des preuves de son efficacité sur les IST et le VIH, peu d’observance de l’usage du préservatif, temps d’entretien trop long, manque de professionnels formés à la santé sexuelle, mais aussi de moyens financiers… De plus, le counseling vise à parler de la maladie, de son acceptation et des ressources pour y faire face, et non de sexualité. La consultation infirmière s’oriente, elle, principalement vers la sexualité : santé et orientation sexuelle, nombre de partenaires, prise de risque, prévention des maladies…

Il existe aujourd’hui des outils tout aussi efficaces mais plus maniables pour les soignants. À l’image de la BCS (brève communication liée à la sexualité), une communication thérapeutique centrée sur le patient. Cet entretien adopte ses perspectives et respecte ses idées, ses émotions, ses attentes, ses valeurs. C’est lui qui est au centre de la discussion et non la pathologie. En plus des déterminants biologiques, la BCS prend en compte les dimensions psychologique et sociale de la santé sexuelle. L’entretien préventif d’information et d’orientation est un exemple de BCS.

L’IDE doit devenir un maillon incontournable dans l’offre de soins en matière de prévention et de dépistage, dans la continuité des objectifs du Plan national de lutte contre le VIH et les IST 2010-2014. L’Epio s’impose comme un outil de prévention efficace. Une enquête, réalisée en juin 2015, a mis en évidence son intérêt : après la consultation infirmière, plus de 50 % des patients indiquent avoir acquis des éléments de prévention et 67 % s’estiment plus autonomes dans la réduction des risques sexuels. L’entretien a également été jugé « indispensable » par 25 % des répondants et « utile » par 60 % d’entre eux.

CAS DE DÉPART

Jeune étudiant homosexuel, Aylan se rend à la Croix-Rouge de Paris pour se faire dépister pour la première fois. Très inquiet après un rapport sexuel non protégé, il a fait des recherches sur Internet et pense présenter des symptômes de primo-infection. Il veut donc se faire dépister rapidement. Il est terrifié à l’idée d’être séropositif et se pose des questions concernant la sexualité. Il est reçu par un infirmier sexologue pour faire le point sur ses connaissances en matière de prévention et l’aider à réduire ses risques sexuels.

HISTORIQUE DU PROJET

1970 : Lancement du dispensaire anti-vénérien et premières consultations infirmières.

1988 : Création des CDAG. Conseil et prévention en santé sexuelle sont au cœur des entretiens.

2004 : Création des Ciddist.

2013-2014 : DU « infection VIH et autres MST en France » pour Valérie Poirier, infirmière.

2014-2017 : DIU « étude de la sexualité humaine » pour Arnaud Aurrens, infirmier.

2015 : étude sur la qualité des entretiens et formalisation du concept d’Epio.

FORMATION

Trois diplômes au choix

Les enseignements en sexologie et sexualité humaine s’appuient sur un programme national et débouchent sur trois diplômes universitaires. Ceux-ci valident des connaissances théoriques et cliniques permettant d’évaluer, de diagnostiquer et de prendre en charge une difficulté sexuelle. Ils viennent en complément d’une profession qualifiante initiale mais ne sont pas professionnalisants : ils donnent un savoir-faire venant combler les lacunes des formations initiales dans le domaine de la sexualité. Le DIU de sexologie, seul reconnu par le conseil de l’Ordre des médecins, est ouvert aux médecins, mais le DIU « étude de la sexualité humaine » est ouvert à six autres professions de santé (kiné, psychologue, IDE, psychomotricien, sage-femme et pharmacien). Ces formations en trois ans s’inscrivent dans le cadre des recommandations de l’OMS et répondent à la nécessité de formation dans un but de traitement, de conseil, d’éducation et de prévention en santé sexuelle. Le DU de santé sexuelle, ouvert aux éducateurs, enseignants et conseillers conjugaux, donne des connaissances théoriques et cliniques permettant une approche des difficultés sexuelles.