La liberté de conscience et de culte, côté patients, est reconnue et encadrée par la loi. Les professionnels de santé des établissements publics sont quant à eux soumis à un devoir de neutralité.
Depuis la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’état, la religion est considérée comme une affaire privée. Tout comme pour les opinions politiques ou philosophiques, la liberté de conscience et de culte est sous garantie institutionnelle et juridique. Comme le souligne Isabelle Poirot-Mazères, professeur de droit public et directrice du master 2 Droit de la santé et protection sociale à l’université Toulouse-I Capitole, « les règles et obligations qui découlent de ces principes fondateurs s’imposent à tous et en particulier aux établissements de soins qui doivent garantir l’accueil et la prise en charge de tout patient sans considération aucune de ses croyances. Elles valent également lors de la délivrance des soins par les professionnels de santé ».
• Ces droits ne valent que dans la mesure où préceptes et rites religieux ne viennent pas s’immiscer dans le fonctionnement des services ni perturber les choix thérapeutiques. À condition également, que les patients ne tentent pas d’imposer leur religion comme pouvoir autonome autorisant à s’affranchir des règles communes.
• C’est cet équilibre que rappellent la circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé et celle du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics. La circulaire de 2005 se réfère à la charte du patient hospitalisé du 6 mai 1995, actualisée le 2 mars 2006. Il y est stipulé que « dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires…). Toutefois, l’expression des convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches. Tout prosélytisme est interdit, qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole ».
• La loi prohibe tout signe ostentatoire d’expression de convictions religieuses pour les agents du public. La « neutralisation des convictions » conduit à interdire tout comportement ou propos révélateur de l’adhésion à une croyance particulière ou d’une volonté de prosélytisme.
• Tout manquement à cette obligation est analysé comme une faute professionnelle et sanctionné comme tel sur le plan disciplinaire, avec l’aval du juge administratif.
• Cette obligation de neutralité a été explicitée par le Conseil d’État dans l’avis du 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, et sanctionnée en 2002 par le tribunal administratif de Paris. Isabelle Poirot-Mazères souligne que « comme tout citoyen, les agents hospitaliers bénéficient de la liberté de conscience et donc de culte affirmée par les textes, protégée par le juge. Ils ne peuvent faire l’objet de mesures de rétorsion ou de discriminations, ils peuvent déclarer à leur hiérarchie leur appartenance et demander des autorisations d’absence, dans la mesure où elles sont compatibles avec les contraintes du service. L’essentiel est que les croyances et les pratiques demeurent transparentes au service, sans incidence sur l’exercice des fonctions ». La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a pour sa part validé dans un arrêt du 26 novembre 2015, la décision du service de psychiatrie du centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre de ne pas renouveler le contrat d'une assistante sociale ayant refusé d'enlever son voile.
• La circulaire du 2 février 2005 précise que le principe du libre choix du praticien, du service et établissement hospitalier est nécessairement limité au regard des modalités d’organisation des services pour assurer la continuité des soins. Selon Isabelle Poirot-Mazères, « en pratique, les équipes soignantes sont plutôt enclines à satisfaire aux demandes raisonnables. Toutefois, les revendications incongrues doivent céder devant la loi du service ».
• D’où l’importance de l’affichage, sur les lieux de soin, des règles de base, et avant tout celle de l’acceptation par les patients des personnels en fonction, afin d’éviter les différends.
• Dans les situations les plus conflictuelles, le directeur d’établissement a la capacité de procéder à un signalement auprès du procureur de la République (article 40 du Code de procédure pénale), pour des motifs tenant à une discrimination illégale (mise en cause du sexe ou du genre du soignant, de sa nationalité, de son appartenance ethnique ou religieuse supposée) ou dans le cadre de la procédure de protection fonctionnelle des agents publics victimes d’attaques, injures ou outrage.
• Les situations les plus problématiques et récurrentes concernent les services d’urgences. Les établissements de santé et les praticiens sont alors dans l’obligation d’accueillir et de délivrer des soins au titre de la déontologie et des obligations légales. Il incombe ainsi au directeur d’établissement de s’informer des situations délicates, d’organiser préventivement les services, le cas échéant, en prévoyant la présence de médecins de sexe différent, et d’user, avec discernement, proportionnalité, mais fermeté, des pouvoirs de police qui lui sont reconnus par le Code de la santé publique.
• Le directeur peut prononcer la sortie disciplinaire de patients récalcitrants (article R. 1112-49 du Code de la santé publique), disposition rarement appliquée et souvent inapplicable. Dans le cas des urgences, l’expulsion va contre les exigences du soin et cette décision risque alors non seulement d’engager la responsabilité de l’établissement pour faute, mais aussi de tomber sous le coup des dispositions pénales condamnant la non-assistance à personne en péril.
• Dans certaines circonstances, « le refus de se faire soigner par un soignant donné se traduira comme un refus de soins, explique Philippe Jean, directeur d’hôpital honoraire, chargé d’enseignement en droit hospitalier à l’université de Toulouse-I Capitole. Le directeur (ou son représentant) devra alors prononcer une sortie contre avis médical ou constater une sortie à l’insu du service, après que le patient a été clairement informé des risques encourus du fait de son comportement ».
• Le directeur d’hôpital, représentant légal de l’établissement, détient un pouvoir de police en vue de garantir le fonctionnement régulier des services. Ce pouvoir se traduit par des décisions administratives permettant de prononcer une interdiction de visite, adressée à des tiers, membres de la famille ou proches de la personne hospitalisée, ou une sortie pour motif disciplinaire, pouvant s’adresser autant à des tiers qu’à des personnes hospitalisées. Il est le seul, sous réserve de la délégation qu’il peut accorder au directeur de garde ou à certains de ses collaborateurs, à détenir cette prérogative juridique. Mais il ne peut agir que s’il est saisi de situations conflictuelles et s’il dispose d’informations circonstanciées provenant du service concerné.
• En lien avec le médecin responsable, le directeur doit s’assurer de la continuité des soins en faveur d’un patient dont on prononcerait la sortie pour motif disciplinaire. Philippe Jean précise que « ces décisions sont soumises au régime habituel des actes administratifs en termes de motivation, de notification et sont susceptibles de recours en annulation devant le juge administratif. Les contentieux paraissent rares et l’essentiel de l’action du directeur s’exercera dans une phase préventive de rappel aux règles, d’écoute, de soutien aux équipes médicales et soignantes ».
Formulaire type (extrait)
• Vous allez subir une intervention chirurgicale importante le ………………………………………….
• Nous avons bien noté que vous vous opposez à la transfusion de sang total et dérivés.
• Vous acceptez la transfusion de (à définir avec le patient, puisqu’il n’y a pas de réel consensus sur certains produits et certaines techniques de transfusion autologue) …………………………
• Nous vous informons formellement cependant qu’un accident est toujours possible : ni les médecins, ni les techniques ne sont infaillibles.
• En cas d’urgence, seule la transfusion des produits sanguins que vous refusez peut vous sauver.
• Refuser ces produits met votre vie en danger : vous courrez un risque de mort.
• Vous avez bien compris les risques auxquels vous êtes exposés. Vous êtes conscient que les thérapeutiques substitutives ne fournissent pas la solution à tout problème.
• Vous refusez toute transfusion de produit sanguin en connaissance de cause et vous vous y opposez fermement.
• Ce formulaire vous a été explicité par oral et laissé à votre réflexion pendant vingt-quatre heures.
• Vous maintenez votre opposition.
Date
Signature (du patient et de un ou deux témoins)
Source : Transfusion et témoin de Jéhovah, Gérard Janvier, Sophie Gromb
→ Circulaire ministérielle n° 22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés, actualisée le 2 mars 2006, sur www.sante.gouv.fr http://bit.ly/1MA8NR9
→ Circulaire DHOS/G n° 2005-57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé http://bit.ly/1kREtbT
→ Avis du Conseil d’état du 3 mai 2000 concernant le principe de neutralité des agents de service public http://bit.ly/1lfWVKW
Le droit reconnaît-il le refus de soins ?
• Droit du malade, conséquence irréductible du droit de consentir reconnu comme l’un des fondements de la relation médicale, aussi bien par le Code civil que par le Code de la santé publique (CSP), le refus de soins est au cœur de vives discussions doctrinales et d’interprétations jurisprudentielles nuancées sur l’autonomie de l’individu et l’étendue de ses prérogatives sur son corps et sa vie. Posés par le juge à propos des refus de transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah, les termes du débat dépassent toutefois cette hypothèse exemplaire et couvrent diverses situations de rejet de traitement ou d’intervention : refus d’hospitalisation, de trachéotomie, de chimiothérapie, de perfusion, mais aussi rejet de césarienne ou d’alimentation dans le cas de grève de la faim ou d’anorexie.
Y a-t-il des cas où cette situation est plus facile à gérer ?
• Oui, quand il s’agit de protéger des tiers vulnérables. Le législateur autorise les médecins à substituer leur décision à celle des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur lorsqu’elle menace gravement la santé d’un mineur ou d’un majeur incapable (L. 1111-4 du Code de la santé publique). Le recours à une césarienne rejetée par les parents, dès lors qu’elle est indispensable à la santé ou à la vie de l’enfant, procède d’un raisonnement similaire.
Les soignants peuvent-ils passer outre la volonté du patient ?
• Le principe est clair : la volonté du patient doit être respectée, comme le pose l’article L. 1111-4 du CSP. Mais l’invocation d’une situation d’urgence mettant en cause le pronostic vital alors qu’il n’y a pas d’alternative thérapeutique justifie de passer outre. Selon la juridiction administrative, « ne saurait être qualifié de fautif le comportement de médecins qui, dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique, pratiquent les actes indispensables à la survie du patient et proportionnés à son état ». La responsabilité des praticiens ne saurait ici être mise en cause. D'où l'importance du dialogue, de l'écoute et de l'information délivrée au malade. D'où également l'importance que sa volonté soit non seulement claire et libre, mais aussi certaine, ce que doit garantir le respect d'un délai de réflexion.