Le nouvel eldorado ? - L'Infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

CENTRE MUNICIPAL DE SANTÉ

CARRIÈRE

PARCOURS

Française Vlaemÿnck  

Loin de l’image des dispensaires d’antan dont ils sont les héritiers, les centres municipaux de santé (CMS) occupent une place originale dans le dispositif de soins et offrent aux infirmières d’exercer une pratique variée.

Si le gouvernement donnait aux centres municipaux de santé, dont la pertinence n’est plus à prouver, les mêmes moyens que ceux qu’il accorde aux maisons de santé, qui ne fonctionnent pas, il n’y aurait plus de désert médicaux en France. Contre cette évidence pourtant, demeure l’idéologie dominante de l’exercice libéral qui illustre parfaitement la myopie politique du ministère de la Santé et de l’Assurance maladie », déclare Richard Lopez, médecin directeur du CMS de Saint-Denis (93) et président de la Fédération nationale des centres de santé(1). Inutile de préciser que le Dr Lopez est un farouche partisan des CMS… Il s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne des « médecins militants », élus locaux, représentants de patients et acteurs mutualistes qui ont œ;uvré après la Seconde Guerre mondiale à leur création avec pour objectif de permettre à tous l’accès à la santé. À noter qu’en CMS, le tiers payant intégral existe depuis des lustres… Dans une somme qu’il a consacrée au sujet et publiée en 2014, Emmanuel Vigneron, professeur de géographie et d’aménagement à l’université Montpellier 3, prône d’ailleurs « la création immédiate de 400 centres de santé » sur tout le territoire afin de rééquilibrer l’offre de santé et réduire ainsi les inégalités d’accès aux soins (voir encadré ci-contre). En 2013, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), non sans pointer leur fragilité financière, estimait également que les centres de santé étaient une bonne réponse aux problèmes actuels de l’offre de soins ambulatoires(2). Aujourd’hui, une centaine de communes, principalement d’Île-de-France, gèrent quelque 150 CMS où exercent près d’un millier d’infirmières(3). Mais le concept, naguère jugé couteux voire dépassé, essaime désormais en région, principalement dans des zones suburbaines et rurales. En Sarthe et en Mayenne, par exemple, plusieurs centres ont récemment ouvert leurs portes et trouvé « leur public », là même où les greffes des maisons de santé avaient échoué. « Le plus souvent, ces centres proposent des consultations de médecine générale, dentaire et des soins infirmiers et parfois d’autres spécialités. Ils sont parvenus à capter de jeunes médecins, mais aussi de plus âgés, qui aspirent à une pratique en équipe pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle, salariée et qui préserve leur vie privée », explique le Dr Éric May, médecin généraliste, directeur du centre de santé municipal de Malakoff (92) et président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS).

CONSULTATIONS INFIRMIÈRES

« C’est en 2007, lorsque je suis arrivée de Tours en banlieue parisienne, que j’ai découvert l’existence des CMS. Comme je cherchais un poste, j’ai poussé la porte de celui qui était près de chez moi pour rencontrer des collègues et discuter avec elles de leur pratique », relate Mathilde Charpigny, infirmière au CMS Henri-Barbusse à Saint-Denis. Au sortir du rendez-vous, elle dépose sa candidature en mairie et prend son poste quelques semaines plus tard. « À l’hôpital, dit-elle, on produit du soin, mais on a rarement le temps de s’appesantir sur l’environnement des patients, leur vie - et encore moins de créer du lien ; or, c’est cette connaissance qui permet de majorer la prise en charge et les soins. Ici, j’ai trouvé ça. » Et Mathilde Charpigny d’ajouter : « Par ailleurs, si le travail en équipe est très important au sein de la structure, j’ai aussi une réelle autonomie et une vraie liberté d’action qui m’a, par exemple, permis pendant plusieurs années d’animer des interventions sur la nutrition avec la bibliothèque ou la maison de quartier. Bref, ici, j’ai découvert un espace où l’on peut faire des soins infirmiers et investir tous les champs de la prévention et de l’éducation à la santé avec des professionnels aux profils multiples. »

« Rares sont les personnes qui soupçonnent la diversité du travail au sein de nos structures », insiste Véronique Chartin, cadre de santé au CMS de Champigny-sur-Marne (94), qui compte deux sites et emploie une dizaine d’infirmières et une secrétaire dédiée à l’infirmerie. Médecine générale, gynécologie, pneumologie, ophtalmologie, soins infirmiers, kinésithérapie, soins dentaires et orthodontie… Au total, le centre campinois offre une douzaine de spécialités médicales et paramédicales, sans compter son unité de radiologie/échographie/doppler et son activité de prélèvements. Et sans oublier, celle du centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd)(4), du centre de lutte anti tuberculeuse (Clat) et du centre de vaccination. « Ici, grâce à l’offre de soins de proximité, on a le sentiment de faire œ;uvre de service public. Sans nous, où iraient les usagers, les patients ? aux urgences des hôpitaux déjà engorgées !? », lance Patricia Deperibart, infirmière au CMS depuis 1991. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le carnet de rendez-vous du centre : tout est plein, notamment en médecine générale. Même constat à Saint-Denis. « Les créneaux sont insuffisants par rapport à la demande. Les prises en charge non programmées sont assurées par les infirmières. Si elles le jugent nécessaire les patients sont orientés de suite vers un médecin ou reprogrammés. On fait confiance à leur expérience et à leur jugement clinique », confie Richard Lopez. Dans ce contexte, les CMS ont été parmi les premiers à créer des consultations infirmières et à porter des projets de protocoles de coopération entre professionnels de santé dans le cadre de l’article 51 de la loi HPST de 2009. « C’est même surtout au sein de nos structures que peuvent se mettre en place ce type de prise en charge, car médicaux et paramédicaux travaillent de concert au quotidien, poursuit le médecin. Dans nos centres, se sont les infirmières qui pratiquent les frottis cervico-utérins dans le cadre d’un protocole pluriprofessionnel. Nous avons également d’autres prises en charge infirmière de ce type, et même si elles ne sont pas forcément bordées réglementairement, comme on travaille toujours en équipe, il y toujours un médecin à proximité pour valider une pratique ou une décision. »

TRAVAIL EN RÉSEAU

Mais la création d’une consultation dans le strict cadre de l’article 51 ne va pas toujours de soit comme le relate Véronique Chartin. « Dès 2010, nous avons travaillé sur un protocole pour mettre sur pied une consultation infirmière dédiée à la prise en charge des IVG médicamenteuses. Toute l’équipe a été formée, on a organisé de multiples réunions, rédigé le projet, qui comprenait notamment la prescription par les infirmières d’un bilan sanguin et d’une échographie, rempli des pages et des pages, refait trois fois le dossier car le format changeait entre temps… Bref, un travail de dingue pour, au final, voir notre proposition rejetée par l’Agence régional de santé (ARS) au motif que, juridiquement, le délai de réflexion de 7 jours entre la demande de la patiente et la délivrance du médicament ne pouvait débuter que dans le cadre d’une consultation médicale ! » Qu’à cela ne tienne, la consultation infirmière a malgré tout été mise en place, mais c’est un médecin qui la valide au final. Cependant, il est impossible de valoriser le temps infirmier alors qu’une consultation dure en moyenne trente minutes. Entre janvier et septembre, une centaine de femmes ont bénéficié de cette prise en charge. « Il y a un réel besoin, d’autant que l’hôpital intercommunal de Créteil n’assure plus ce type d’IVG et que les plannings familiaux nous adressent régulièrement des patientes », explique Brigitte Rolland, infirmière depuis quinze ans au CMS de Champigny. Implantés de longues date sur leur territoire, les CMS travaillent généralement en étroite collaboration avec les réseaux de soins, mais également de multiples partenaires socio-sanitaires.

UNE OREILLE ATTENTIVE

Les soins ambulatoires demeurent une part importante de l’activité des infirmières en CMS – certaines structures ont ainsi leur propre service de soins infirmiers à domicile, et il n’est pas rare que des infirmières se déplacent à domicile même si cela tend à disparaître –, mais elle est souvent mêlée à des actions de prévention, d’éducation à la santé et de santé publique. Dès lors, mieux vaut avoir une réelle inclination pour cette démarche. C’est d’ailleurs cette spécificité qui a séduit Lætitia Maisonniaud, infirmière au CMS de Champigny-sur-Marne depuis 2009. « Outre que nous sommes tous polyvalents, je n’ai pas du tout la sensation d’avoir perdu en pratique infirmière. On fait des soins ambulatoires comme pourrait le faire une infirmière libérale : pansements de plaies diabétiques, pose de perfusion, prise de sang… Mais il y a aussi tout le reste. » Lætitia Maisonniaud est ainsi l’infirmière référente d’un groupe de patients diabétiques qu’elle accompagne une fois par semaine à des séances de gymnastique douce, animées par un éducateur sportif, dans le cadre d’un programme d’éducation thérapeutique. Toute l’équipe a été formée aux techniques de l’ETP et a réalisé ses propres outils d’information. D’autres infirmières organisent des ateliers d’expression corporelle, des sorties pour favoriser la marche à pied. « Ce sont des moments privilégiés où l’on peut aussi parler d’autres choses avec les patients », relève Brigitte Rolland. « Il y a aussi une dimension sociale dans ce type de structure. Les gens viennent nous voir pour remplir des papiers, pas tous bien sûr. Mais au fil du temps, on a créé des liens », confie Catherine Heuzé, infirmière au CMS depuis 1982. « L’infirmerie, c’est un peu le centre du centre. Quand il y a un problème, c’est là qu’on va… C’est vrai pour les patients, comme pour tout le personnel, car ils savent qu’il y aura toujours une oreille attentive… », explique Françosie Crénéguy (lire portrait ci-contre). À la demande, les infirmières peuvent également assister les médecins lors de consultations.

VERS UNE PRATIQUE AVANCÉE…

Fidèles à la démarche de santé publique, les infirmières de CMS interviennent aussi hors les murs pour des actions de dépistage (VIH, hépatites, cancer du sein, du colon, tuberculose…) et ou de sensibilisation au dépistage. « Sur les marchés et dans les gares, on intervient de notre propre initiative ; dans les collèges, lycées, foyers de migrants, foyers d’urgence, etc., c’est en partenariat avec l’établissement. Et c’est un binôme médecin/infirmière qui prépare et assure l’action », détaille Véronique Chartin. « À moyen terme, je pense que nos missions vont de plus en plus se tourner vers la prévention, l’éducation à la santé et la prise en charge de parcours complexes », estime Mathilde Charpigny. Depuis plusieurs mois, l’infirmière représente le CMS de Saint-Denis dans un groupe de réflexion pilotée par l’ARS et qui porte sur l’évolution de la pratique infirmière vers une pratique avancée. « De fait, nous avons déjà une pratique d’infirmière clinicienne, notamment dans la gestion au long cours de patients chroniques. Maintenant il faut voir de quelle manière elle pourrait être intégrée dans le cadre de la future loi de santé(5). » Dans cette optique Mathilde Charpigny a intégré un master de santé publique en octobre dernier. D’ici deux ans, elle espère que cette question aura évolué. En termes de formation, toutes jugent qu’elles y ont « plutôt » facilement accès. Même s’il faut parfois attendre un ou deux ans pour des formations longues, tels les diplômes universitaires. David Marquès, infirmier au CMS de Champigny depuis 2007, vient d’obtenir son sésame pour entamer un DU de gestion des risques en milieux de soins. Ce qui ravie Véronique Chartin. « Nous sommes justement en train de mettre en place le document unique, cette formation va aussi être un vrai plus pour le centre. » Et fort heureusement que de nouveaux CMS sont appelés à ouvrir dans les prochaines années, car les infirmières qui y travaillent actuellement n’ont pas du tout l’intention d’en partir…

1 - fncs.org.

2 - igas.gouv.fr - Les centres de santé : situation économique et place dans l’offre de soins de demain.

3 - Des CMS sont aussi implantés dans les grandes capitales régionales comme Lyon et Marseille.

4 - Depuis le 1er janvier 2016, les centres de dépistages anonymes et gratuits (Cidag) et les Centres d'information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist) ont fusionné pour donner naissance aux Cegidd.

5 - Au moment où ces lignes sont écrites, la loi de santé n’a pas encore été votée.

CENTRES DE SANTÉ

UNE PARADE CONTRE LES DÉSERTS MÉDICAUX ?

Une étude plaide pour la création de centres de soins infirmiers afin d’aider au développement de nouveaux centres de santé polyvalents dans le nord et l’ouest de la France, régions fortement touchées par les déserts médicaux.

Commandée par la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), pour être présentée lors de son congrès de 2014, l’étude « Les centres de santé : une géographie rétro prospective »(1), réalisée par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron, professeur à l’université Montpellier 3 et à l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe, fait date depuis sa publication. C’est la première fois, en effet, qu’on se penchait sur l’histoire, le développement, le pourquoi et le comment de leur l’implantation sur le territoire et surtout qu’ils étaient comptés de manière exhaustive : soit 1 842 structures.

200 millions d’euros

Richement documentée et illustrée, cette somme est à mettre entre toutes mains de celles et ceux qui veulent travailler dans un centre de santé, qu’il soit associatif, mutualiste ou municipal.

L’étude présente notamment un atlas des centres de santé, une géographie prospective et une mutation territoriale de la France et des zones prioritaires de développement de ces établissements. Dans ce dernier inventaire, six zones sont distinguées : la France rurale en marge (641 cantons, 3,5 millions d’habitants), les espaces ruraux en reconquête ou de refuge (728 cantons, 7,3 M hab), la France des situations menacées (662 cantons, 11,6 M hab), la France urbaine en très grande difficulté (294 cantons, 12,4 M hab), la France moyenne des périphéries urbaines et familiales (1 170 cantons, 16,3 M hab) et la France des beaux quartiers (240 cantons, 11,3 M hab). Fort de ce travail, Emmanuel Vigneron recommande la création de quelque 400 centres supplémentaires dont il cartographie précisément le lieu d’installation : en priorité au nord et à l’ouest de l’Hexagone. Une mesure qu’il chiffre à environ 200 millions d’euros. Presque une goutte d’eau au regard de ce que coûtent les déserts médicaux en termes de santé publique…

1 - À télécharger sur le site de la Fehap (http://bit.ly/1lTLuch).

SAVOIR PLUS

LES CLÉS DU MÉTIER

→ Salaires. Les infirmières qui travaillent dans des CMS sont agents de la fonction publique territoriale. Sous ce statut, elles peuvent également être en détachement de la fonction publique hospitalière. Les grilles de salaires dans les deux fonctions publiques sont quasiment identiques : 1 615 € en début de carrière et 2 407 € en fin de carrière pour la territoriale contre 1 514 € et 2 384 € pour la filière hospitalière. Les primes et avantages en nature peuvent varier d’une municipalité à l’autre.

→ ESI. La plupart des centres municipaux de santé accueillent des étudiants en soins infirmiers pour des stages de 5 ou 10 semaines. S’ils sont sous la responsabilité d’une référente. Ils travaillent en général avec l’ensemble de l’équipe.

→ Formation. Les infirmières des CMS sont également soumises au développement professionnel continu (DPC). Elles ont, en plus de l’offre de formation offertes par les organismes privés et les universités, accès à celle du Centre national de la fonction publique territoriale qui propose une quarantaine de formations ciblées IDE.