FORMATION
CONDUITE À TENIR
Pour le pédopsychiatre Jean-Louis Le Run
JEAN-LOUIS LE RUN : Des enfants vont se plaindre de mauvais traitements, parce qu’ils ont envie que cela cesse. En ce sens, le fait qu’on leur dise « on va signaler cette situation » peut être un facteur d’apaisement et d’espoir. Ils sentent que leur demande est prise en compte. Cela leur offre la perspective que ce qu’ils subissent puisse cesser. Dans le même temps, le signalement peut aussi être vécu par l’enfant comme une attaque contre ses parents, une sorte d’émancipation dangereuse, et souvent aussi comme contraire à la loyauté familiale. Du coup, le signalement va générer de l’angoisse et de la culpabilité.
J.-L. LE RUN : Le signalement d’une situation préoccupante rend publique un état de fait, souvent maintenu secret au sein de la famille. Quand il y a maltraitance, on est dans une situation de transgression de la loi : on n’a pas le droit de battre les enfants, de commettre l’inceste… Face à cela, il peut y avoir une part de pression, d’intimidation pour garder le secret : il ne faut pas en parler à l’extérieur, il faut le cacher. Car celui qui lève le secret, c’est celui qui trahit. À cette problématique s’ajoute pour l’enfant la crainte des réactions de ses parents. Ce n’est pas anodin de les mettre en cause : tous les enfants ont un attachement fort pour leurs parents, y compris quand ils sont maltraités, et même parfois plus.
Des parents fragiles, par moment maltraitants, peuvent également être attachants à d’autres moments, ou entraîner une sorte de « parentification » de leur enfant, qui va devenir leur protecteur, dans une inversion de rôle. Alors que le parent doit prendre soin de son enfant, là, c’est l’enfant qui prend les choses en main. La situation est d’autant plus complexe que beaucoup d’enfants s’identifient à leur agresseur et prennent parti pour lui. Ce mécanisme psychologique a bien été bien décrit par Anna Freud
Souvent, les enfants maltraités finissent par penser que c’est à raison que les parents agissent ainsi. Ces enfants-là se trouvent dans une grande quête affective, vis-à-vis de parents ambivalents, qui peuvent être parfois violents et parfois très fusionnels, ce n’est pas forcément univoque. Ils peuvent avoir très peur de décevoir, ils sont convaincus de ne pas être à la hauteur.
J.-L. LE RUN : Il peut y avoir des craintes de séparation. L’idée court dans les familles que l’aide sociale à l’enfance va venir prendre les enfants, alors que les signalements n’aboutissent pas forcément, loin de là, à une séparation. C’est aux professionnels de rassurer l’enfant, de lui expliquer le sens d’une telle démarche. Évidemment, le ressenti de l’enfant dépend à la fois de celui de ses parents, de celui des professionnels qui font le signalement et de ceux qui s’occupent de lui. Un signalement doit être une action pesée, pensée et concertée. Sauf dans les cas d’urgence, on est tenu d’en parler avec les parents. C’est une étape qui angoisse beaucoup l’enfant. Il a pu confier quelque chose à un professionnel, sous le sceau du secret. Il peut se sentir trahi, du fait que l’on n’ait pas gardé ce secret, comme il l’avait demandé. Tout cela doit être travaillé avec lui. Il faut lui expliquer que les sévices qu’il subit sont des choses que l’on ne peut garder pour soi, que c’est mauvais pour lui et interdit. Plusieurs entretiens sont parfois nécessaires.
1- Jean-Louis Le Run est également rédacteur en chef de la revue Enfances et Psy.
2- Le moi et les mécanismes de défense, Presses universitaires de France, réédition de 2001.