L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

EXERCICE INFIRMIER

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Sophie Komaroff  

À l’heure où la France autorise l’exercice en pratique avancée (PA) des paramédicaux, les frontières entre les spécialités existantes – ou à créer – et les pratiques avancées semblent encore très floues au sein de la profession infirmière.

Martine Sommelette « Il est urgent de s’accorder sur la définition de la pratique avancée »

Comment se dessinent les contours de l’exercice des infirmières de pratique avancée (IPA) ?

Un contexte particulier influence la création de la pratique avancée : le besoin d’une population face à une réponse médicale défaillante. La profession infirmière reste une ressource de première ligne pour les usagers. Il est donc urgent de se mettre d’accord sur la définition de la pratique avancée. Prendre les choses dans le bon sens consiste d’abord à définir cette dernière, puis à analyser comment cela peut participer à répondre aux besoins de la population. Il importe de regarder la littérature infirmière et de s’appuyer sur la définition de cette mission dans les pays qui fonctionnent déjà avec ce système. Inspirons-nous de cela et adaptons-le à notre système réglementaire et économique. Il nous semble incontournable qu’il s’agisse d’une IDE qui mobilise une expertise clinique acquise dans son domaine d’expérience et renforcée par une formation adaptée et ciblée.

Quelle formation pour ces professionnelles ?

L’IPA est un métier intermédiaire, entre le paramédical et le médical. Les compétences et l’expertise sont à développer au cours d’une formation, dont le programme doit être accrédité et correspondre à un grade master. L’IPA rendra de grands services dans certains territoires, mais ne nous attendons pas à devoir former des générations complètes. Là encore, fondons-nous sur ce qui existe déjà en France en termes de cursus, même s’il est actuellement difficile pour les personnes en possession d’un master en sciences cliniques infirmières d’exercer dans notre pays.

Où se situe, selon vous, la frontière entre la spécialité et la pratique avancée infirmière ?

Les spécialités infirmières et la pratique avancée ne font pas référence aux mêmes choses. La première consiste à acquérir des connaissances et des compétences spécifiques pour répondre à des besoins identifiés dans des domaines particuliers réclamant une technicité et des connaissances plus approfondies auprès de publics ciblés. Les métiers d’Iade, d’Ibode et de puéricultrice sont référencés, validés par des diplômes qui, certes, vont au-delà de la formation initiale, mais il ne s’agit pas de pratique avancée. De même, une infirmière qui travaille en cardiologie par exemple, en rencontrant différentes situations, développe les compétences répondant aux exigences du métier dans un contexte particulier : il s’agit d’une acquisition d’expertise – l’exercice normal du métier en somme – et non de pratique avancée. Quant aux diplômes universitaires (DU), ils ne vont pas non plus au-delà de l’exercice infirmier habituel.

Actuellement, en l’absence de définition claire, chacun y va de sa représentation. La pratique avancée en soins infirmiers va au-delà des parcours infirmiers codifiés et connus. Elle se distingue des pratiques habituelles et des compétences validées par des diplômes existants, même si son cœur de métier reste le soin infirmier. Il s’agit de développer des compétences nouvelles pour l’exercice d’un nouveau métier.

Christophe Debout « Le mot-clé de cette nouvelle ère sera complémentarité »

Quelle est l’articulation entre la pratique avancée et le domaine spécialisé ?

En matière de pratique avancée, tout reste à préciser en termes de décision nationale. Comment définirons-nous cela en France ? À mon sens, les concepts de domaine spécialisé et de pratique avancée sont à penser en complémentarité, et non en opposition. Il est tout à fait envisageable d’avoir des infirmières de pratique avancée spécialisées dans un domaine. Aux États-Unis, il existe par exemple des IPA spécialisées en santé mentale et en psychiatrie. Dans notre pays, au regard des besoins de la population, de nombreux champs d’activité spécialisée sont susceptibles de bénéficier de pratiques avancées : la cancérologie, la psychiatrie ou encore la gérontologie.

La France doit-elle s’inspirer des modèles internationaux pour définir la pratique avancée ?

Pour l’heure, il n’existe pas dans notre pays de cadre nationalement reconnu. Nous devons nous saisir des cadres de références internationaux validés et non réinventer la roue, car nous n’en avons ni le temps ni les moyens. Sur le plan international, l’IPA fait référence à deux fonctions cliniques différentes et complémentaires, reposant sur une solide expertise infirmière : elle peut exercer en qualité de praticienne, et se voir attribuer des activités qui étaient antérieurement l’apanage du médecin (diagnostic, prescription de traitements, etc.) ; ou exercer en qualité de spécialiste de la clinique, et remplir des missions visant à promouvoir le raisonnement clinique, à contribuer à l’aménagement d’environnements de pratiques favorables et à favoriser le transfert de connaissances et l’accompagnement du changement.

L’expertise et le leadership clinique de l’IPA seront à combiner avec le leadership managérial du cadre. Ce dernier remplira d’autant mieux ses missions qu’il arrivera à collaborer avec les IPA. Le mot-clé de cette nouvelle ère sera, je l’espère, « complémentarité », sans quoi les infirmières risquent de s’opposer les unes aux autres : les spécialistes contre les IPA, les IPA contre les cadres de santé… Si la profession tombe dans ce travers, nous n’atteindrons pas les résultats escomptés. Chaque infirmière apporte une contribution singulière dans le parcours patient. L’introduction des IPA devra s’appuyer sur les IDE dont l’expertise est déjà reconnue. Par conséquent, il importe d’aménager des mesures transitoires au vu de l’ampleur des changements induits par l’introduction de cette fonction.

Quelle place auront les IPA dans le système de santé ?

Les besoins en professionnels de pratique avancée ne sont pas présents uniquement à l’hôpital, mais également en ville, dans les différentes structures… Certains territoires ont déjà des idées concernant une organisation et un partage d’activités différents afin de mieux répondre aux besoins de la population. Quelques établissements ont également des projets, mais encore une fois, il importe d’éviter que la question de la pratique avancée ne devienne une pomme de discorde. C’est un nouvel enjeu pour la profession infirmière dans sa contribution à relever les défis de santé publique.

MARTINE SOMMELETTE

PRÉSIDENTE DU CEFIEC

→ 1976 : DE infirmier

→ 1984 : formatrice à l’Ifsi de Charleville-Mézières, dont elle devient la directrice en 1999

→ 2014 : élue présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec)

CHRISTOPHE DEBOUT

DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE SOINS INFIRMIERS SUPÉRIEURS

→ 1988-1999 : DE infirmier, puis Iade et cadre de santé

→ 2009 : Doctorat de philosophie, épistémologie, philosophie des sciences, université Paris-Diderot

→ 2014 : membre de la chaire santé de Sciences po et directeur d’Isis

POINTS CLÉS

→ Définition. Plus de 50 pays ont recours aux infirmières de pratique avancée (IPA), « une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décision complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. […] Une formation de base de niveau maîtrise est recommandée. » ( Conseil international des infirmiers)

→ Loi. En France, l’exercice en pratique avancée des paramédicaux est autorisé par le projet de loi santé (article 30). Pour chaque profession, les règles et conditions d’exercice seront définies par décret.

→ Formation. Les universités d’Aix-Marseille et de Versailles-Saint-Quentin proposent des masters en sciences cliniques infirmières depuis 2009 et 2011.

→ Revendications. Dans le cadre de négociations surla redéfinition de leur exercice, les Iade ont réclamé la reconnaissance en tant que pratique avancée, comme c’est le cas aux États-Unis ; le ministère leur a opposé une fin de non-recevoir. Spécialité ou pratique avancée ? La question se pose également aux urgences et en psychiatrie.

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