Droit à l’information, consentement éclairé, refus des soins, accès au dossier médical… Depuis la loi Kouchner de 2002, la législation n’a cessé de renforcer les droits des patients, modifiant par la même la relation soignant-soigné.
La relation médecin-patient a longtemps été fondée sur le paternalisme médical. Une conception qui positionne le médecin comme un expert, disposant d’un savoir et de connaissances, qui le légitime à prendre les décisions pour le patient, considéré comme une personne vulnérable, inapte à faire les bons choix pour sa santé. Dans les années 1950, tournant majeur, le professeur Louis Portes, président du Conseil national de l’ordre des médecins, introduit une notion nouvelle dans la relation médecin-patient : la confiance. Dès lors, le patient est perçu dans sa globalité et non plus comme un objet de soins. En 1979, autre changement, le code de déontologie médicale revient sur le « privilège thérapeutique ». Considéré comme un devoir médicalpermettant de dissimuler certaines informations au patient, le « privilège thérapeutique » devient une simple possibilité de ne pas tout lui dire pour des raisons légitimes. L’histoire des droits des patients s’accélère ensuite dans les années 1980/90 dans un contexte particulier, où des patients revendiquent le droit de refuser un traitement (premiers cas de sida). Ces revendications se traduisent par un changement du cadre législatif qui tend à rééquilibrer le rapport médecin-patient. Désormais, le patient est considéré comme véritable acteur de sa santé.
Si initialement, l’information délivrée au patient était succincte, aujourd’hui, tout professionnel de santé se doit d’apporter une information complète, claire, et loyale. Il s’agit d’une obligation légale inscrite par la loi Kouchner du 4 mars 2002
Dans ce cadre, l’article L. 1110-5 du code de la santé précise que le patient a « le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ». En d’autres termes, un patient peut engager une procédure contre un professionnel de santé à deux conditions : si l’information est accessible en France (pratique ou médicament reconnus scientifiquement dans notre pays) et si elle ne lui a pas été renseignée.
Il ne s’agit pas d’apporter une information médicale et technique, puis de rechercher la preuve que l’information a bien été donnée en faisant signer des documents au patient. Non. L’enjeu véritable est de s’assurer que le patient a bien compris et assimilé les informations. De fait, l’information est destinée à éclairer le patient sur son état de santé et lui permettre, si nécessaire, de prendre les décisions concernant sa santé en fonction de ce qu’il estime être dans son intérêt. Cette information permet notamment à une personne d’accepter ou refuser les actes qui lui sont suggérés.
L’information est aussi un élément essentiel dans la relation de confiance réciproque entre le professionnel de santé et la personne. Elle s’inscrit dans un dialogue. « Les professionnels doivent adapter leurs explications en fonction de l’individu qu’ils ont en face d’eux, de ses capacités et de sa volonté d’entendre, avertit Dominique Thirry, juriste spécialisée dans le droit de la santé, des activités médicales et psychosociales et directrice de Juris Santé. Cela est d’autant plus vrai quand on s’adresse à un mineur, une personne âgée, ou encore un sujet présentant un trouble mental. » Elle défend en outre « l’idée que les patients ont le droit de pas souhaiter être informés sur leur état de santé, certains n’étant pas capables de gérer psychologiquement un diagnostic. Il s’agit du droit de ne pas savoir qui a été instauré par la Convention européenne des droits de l’homme et de la biomédecine d’Oviedo le 4 avril 1997. Il a été repris par la loi du 4 mars 2002 et introduit dans le code de santé publique (art. L. 1111-2, alinéa 4). Cet article prévoit néanmoins une exception : l’exposition d’un risque de transmission à un tiers ».
Inversement, « il faut arrêter d’être dans une perception paternaliste et prétendre qu’un patient n’était pas prêt à entendre pour justifier le fait qu’il n’ait pas été informé. Cette défense ne va plus de soi. Il faudra désormais expliquer pourquoi dans le dossier médical le patient n’était pas prêt à entendre ».
En psychiatrie, « la situation est différente, notamment pour annoncer un diagnostic. Il ne s’appuie pas sur des radiographies, des examens…, précise Dominique Thirry. Ainsi, chez les jeunes adultes et les adolescents, il faut parfois deux à trois ans pour découvrir une maladie. Si le psychiatre n’est pas certain qu’il s’agit de telle ou telle pathologie, il peut légitimement, garder le silence. Les psychiatres mettent aussi l’accent sur le fait qu’annoncer un diagnostic, c’est enfermer une personne dans une maladie mentale. En dépit de certains symptômes évocateurs d’une maladie, le patient peut être en décompensation suite à un traumatisme. Ne rien dire, c’est le protéger et l’aider à s’en sortir sans l’enfoncer dans une pathologie soupçonnée initialement. »
Au delà de l’annonce du diagnostic, la loi prévoit que le soignant présente au patient les alternatives thérapeutiques, leurs intérêts, leurs risques et leur limites. Autrement dit, « si un chirurgien informe qu’il y a trois traitements possibles en expliquant au malade uniquement la stratégie qu’il propose, il s’expose à un risque d’être condamné », insiste Dominique Thirry. L’information doit aussi porter sur les actes d’investigation : prise de sang, biopsie, échographie, etc. « Si un soin infirmier peut être réalisé de deux manières différentes, il faut le dire. De même, chaque fois, qu’une infirmière se rend au chevet d’un malade pour effectuer un acte médical (administration de médicaments, prise de sang, etc.), elle est sensée expliquer au patient ce qu’elle fait, pourquoi elle le fait, et obtenir à chaque fois son consentement. Certes, ce dernier est implicite lorsque le patient tend son bras pour une prise de sang ou lorsqu’il se présente à un rendez-vous. Il n’empêche que si un patient pose des questions, l’infirmière a le devoir de répondre et ne peut passer outre les explications, souligne Dominique Thirry. Et si un nouveau traitement est proposé, il faudra qu’elle obtienne de nouveau le consentement de son patient en lui expliquant les raisons de ce changement. »
Complète et détaillée, l’information doit également être objective. Ainsi, le professionnel de santé doit être loyal dans sa présentation des différentes alternatives thérapeutiques : ni trop optimiste, ni trop pessimiste ! En 2003, la cour d’appel de Metz
Comme toute personne, le mineur a le droit d’être informé. Ce droit est exercé par les titulaires de l’autorité parentale dans l’intérêt de l’enfant. En outre, le mineur doit recevoir une information adaptée à son degré de maturité. L’objectif étant de l’associer à la prise de décision. Selon la loi du 5 mars 2007 relative à la protection des majeurs, « même une personne majeure protégée doit être informée. Sa décision d’accepter les soins ou de les refuser doit être prise en compte, dans la mesure toutefois où elle est en capacité de discernement », affirme Dominique Thirry. Exemple, « un patient sous tutelle présentant une infection au niveau du pied pouvait être soigné soit selon un traitement sécuritaire avec amputation, soit selon une antibiothérapie très agressive avec des soins infirmiers contraignants, sans certitude de guérison à 100 %. Bien qu’il ne présentait pas de troubles cognitifs, le consentement n’a pas été demandé au patient. Le tuteur a décidé l’amputation. Le patient a engagé une procédure ».
Un patient victime d’un défaut d’information peut invoquer deux préjudices devant un tribunal : l’un correspondant à une « perte de chance » de se soustraire au risque qui s’est finalement produit
Le code de déontologie médical prévoit l’obligation pour le médecin de recueillir le consentement du patient pour réaliser des soins. En principe, une information claire et loyale doit permettre au patient de donner un consentement libre et éclairé. Elle permet aussi au patient de participer à la prise de décision concernant sa santé. On parle alors de « décision partagée » (lire l’encadré p. 48). L’objectif ? Impliquer le patient dans le choix du traitement, afin d’aboutir à une décision qui englobe l’ensemble des aspects de sa vie. Ainsi, un patient peut refuser une thérapeutique plus efficace qu’une autre en raison d’effets secondaires pesant sur sa qualité de vie. La décision partagée permet au patient de faire un choix en fonction de ce qu’il privilégie. « Les médecins se doivent désormais de lui faire confiance en tant que personne capable de faire des choix, affirme Dominique Thirry. Les enjeux sont importants, car la décision partagée est un moyen formidable pour faciliter l’observance. »
Avec les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005, le patient peut opposer son refus même si sa décision met en danger sa santé ou sa vie. Ce droit de refus
1- Voir la totalité des références juridiques p. 62
2- Cour d'appel de Metz, 17 avril 2003, n° 02-00752.
3- Cour de cassation, 1er civ., 6 décembre 2007, n° 06-19-301.
4- Cour de cassation, 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591.
5- Introduit à l’article L. 1111-4 du code de la santé publique.
Contrairement à de nombreux pays anglo-saxons, la France a un certain retard dans la pratique de la décision partagée. Afin de promouvoir son développement, un groupe de travail nommé FREeDOM
1- French group for Shared Decision Making.
2- En partenariat avec l’Institut Gustave Roussy, le centre régional contre le cancer Léon Bérard de Lyon et l’université Claude Bernard Lyon 1.
DR JEAN-POL DEPOIX ANESTHÉSISTE RÉANIMATEUR, SERVICE D’ANESTHÉSIE-RÉANIMATION, MÉDECIN MÉDIATEUR, GROUPE HOSPITALIER HUPNVS (HÔPITAL BICHAT), PARIS
En anesthesie-réanimation, des documents très complets sont remis au patient avant l’opération. Un temps de dialogue avec le médecin est aussi essentiel permettant au patient d’être bien éclairé.
Dans votre spécialité, comment l’information du patient se déroule-t-elle ? À l’heure actuelle, l’information est toujours orale. En complément, nous disposons de documents très complets, présentant des données rédigées par les sociétés savantes. On doit remettre ces documents aux patients pour leur permettre de s’y reporter une fois chez eux et/ou d’en discuter avec leur entourage. Ces documents n’ont pas à être signés. Ils visent juste à donner des renseignements par écrit. De toute façon, un document signé ne semble pas avoir de valeur légale, car il ne prouve pas que l’information ait été comprise par les patients. Le plus important est de leur expliquer de vive voix le déroulement de l’acte envisagé, les inconvénients, les risques… En cinq à dix minutes, on peut déjà donner beaucoup d’explications. L’information doit être synthétique, claire et courte. Il convient également d’adapter notre discours au profil du patient. L’idée est que l’information soit compréhensible. Pour ma part, sur les documents, je note mes coordonnées et propose au patient de me contacter ultérieurement pour me poser des questions sur les éventuels points que nous n’aurions pas abordés lors de la consultation d’anesthésie.
En anesthésie, il n’y a pas de risque zéro.
Comment présentez-vous la possibilité de survenue de complications ?
D’abord, je ne parle jamais de chiffres : risque de mortalité, risque de complications, risque de séquelles …. Et pour cause, si la complication vous « tombe » dessus, c’est évidemment du 100 %. Pour expliquer la notion de risque, j’utilise des images de la vie quotidienne. Par exemple, je dis : l’anesthésie que nous envisageons, c’est sûrement moins dangereux que de traverser le périphérique parisien. Ou encore : « C’est comme lorsque vous êtes venu en voiture à l’hôpital. Il n’y a pas de risque majeur. Mais de temps en temps, il y en a un. » Les personnes comprennent bien ce type de métaphores.
Les patients posent-ils beaucoup de questions ?
Non, pas vraiment. Certains se sont déjà renseignés sur Internet, mais n’osent pas le dire. Tandis que d’autres me font part d’informations qu’ils ont lues sur le web, mais qui ne sont pas fiables. Je leur explique alors que ces données sont sous la responsabilité de leurs auteurs et qu’elles ne sont pas vérifiées.
Personnellement, je pense qu’Internet peut être une base pour lancer une discussion (lire aussi p. 60).
Et si le patient refuse les soins ?
Il est indispensable de demander à un confrère d’expliquer de nouveau l’intérêt du traitement. Exemple, en tant que médecin médiateur, j’ai suivi le dossier d’un patient qui a refusé aux urgences un sérum antitétanique. Après sa sortie de l’hôpital, il a contracté un tétanos. Il a alors lancé une procédure reprochant au médecin urgentiste de ne pas lui avoir bien expliqué l’intérêt de la vaccination. C’est pourquoi lorsqu’un patient refuse un traitement, il est fortement conseillé de demander à un collègue de reformuler l’avis médical. Si le patient persiste à refuser le soin, sa décision s’impose. Elle doit être inscrite dans le dossier médical. Il faut être convaincant, tout en sachant que le patient est décideur.
Pouvez-vous nous citer deux cas cliniques avec décision partagée que vous avez rencontrés récemment dans votre pratique ?
Un patient présentant une cardiopathie grave s’est présenté dernièrement pour des hématuries qui le conduisaient au moins trois fois par an à l’hôpital. Il s’agissait d’une chirurgie à haut risque (cystectomie totale). Nous en avons donc discuté avec le patient qui est venu accompagné de sa famille. C’est important, car l’entourage compte pour beaucoup dans la prise de décision. Le patient est finalement revenu sur sa décision initiale. Il a compris que le risque était majeur et préféré continuer à vivre avec des saignements. Autre exemple, il s’agissait d’un homme souffrant d’une cardiopathie extrêmement grave atteint de coxarthrose. Il est venu me consulter, car il n’arrivait plus à dormir, obligé de rester 24 h sur 24 dans un fauteuil. Sa décision était prise. Il m’a confié qu’il avait vu un notaire et fait tout le nécessaire en cas de décès. Il avait pris sa décision en connaissance de cause. La vie ne pouvait pas continuer ainsi. C’était son choix. L’intervention s’est bien déroulée. Elle aurait pu mal se passer. Mais c’était clair pour tout le monde, le patient, l’entourage familial, et le médecin.
PROPOS RECUEILLIS PAR CORINNE DRAULT