Une collaboration infirmière entre deux unités, universitaire et extra-hospitalière, a abouti à la création de l’échelle Nico. Un outil d’évaluation de patients atteints de pathologies psychiatriques chroniques.
Sentiment de persécution, automatisme mental, intolérance à la frustration, hallucination acoustico-verbale… Face au désarroi exprimé par les membres de l’équipe soignante, suite aux nombreux symptômes notés chez la patiente, Nicolas Brulez, infirmier clinicien case manager (voir encadré p. 34), les a rencontrés pour définir avec eux des stratégies d’adaptation thérapeutiques. Afin de les extraire des émotions ressenties lors de cette prise en charge, l’infirmier propose d’initier une démarche d’analyse : comprendre et définir une problématique – comment prendre de la distance lors d’une prise en charge difficile, uniformiser les évaluations des patients et développer le champ clinique – et rechercher des solutions.
Dépendante du CH Sainte-Anne, à Paris, la Policlinique 15e est un foyer post-cure polaire d’une capacité de 18 lits. Elle y accueille des patients pour des séjours de consolidation, de réhabilitation et d’évaluation de l’autonomie. C’est avec l’aide de Romain Morelle, infirmier, que nous avons créé, en avril 2014, au sein de cette policlinique l’échelle Nico (notation individuelle des compétences observables), sorte de fusion de trois échelles existantes – l’OAS (Overt Agression Scale), la Nosie-30 (Nurses’ Observation Scale for Inpatient Evaluation) et l’EA (échelle d’autonomie) (voir encadré ci-contre) – dont le but est de proposer une observation et une évaluation des plus objectives de l’état clinique du patient.
En combinant ainsi les éléments d’observation de l’OAS et de l’EA à une version plus contemporaine de la Nosie-30, et en s’appuyant sur les observations concrètes sur le terrain au quotidien, les paramètres de cette nouvelle échelle de notation (champ lexical, éléments à évaluer, temps d’évaluation, outil de synthèse, etc.) visent trois objectifs : simplicité, rapidité, globalité.
La phase d’observation du patient comprend 34 éléments touchant tant à son état clinique qu’à ses compétences observables. Au fil de nos entretiens avec l’équipe soignante, nous sommes parvenus à définir les éléments d’évaluation de son état clinique :
→ symptômes psychotiques : rires immotivés, opposition passive, déni de la pathologie (qualité de l’observance thérapeutique), hallucinations ;
→ symptômes dépressifs : manifestation physique de tristesse, auto-agressivité, idées négatives/noires, clinophilie, dévalorisation ;
→ interaction inadaptée à l’environnement : difficulté à différer ses attentes, irascibilité, intolérance à la frustration, hétéro-agressivité physique ou verbale ;
→ ralentissement : asthénie, isolement, troubles mnésiques, ralentissement psychomoteur, orientation temporo-spatiale.
Il nous a semblé important de mettre aussi en avant la notion de « compétence », notamment les compétences positives que peut développer le patient. Ainsi, au lieu de se concentrer sur les difficultés liées à la chronicité de ses symptômes, nous tentons de valoriser ses possibilités d’évolution dès lors qu’il bénéficie d’une prise en charge et d’un projet de soin adapté et individualisé :
→ capacités sociales : interactions positives avec le personnel soignant, nécessité d’une stimulation infirmière dans son organisation, adaptation aux règles de l’institution, prise d’initiative, adhésion au projet de soin ;
→ hygiène personnelle : apparence adaptée au climat et à l’environnement, port d’habits propres, bonne hygiène corporelle, bonne attitude au moment des repas, environnement personnel propre ;
→ interaction avec l’environnement : interaction positive avec les autres patients, réaction adaptée aux évènements amusants, verbalisation des envies et désirs, entretien des relations amicales et/ou familiales.
En se basant sur ces « compétences observables », l’infirmier peut donc mettre en place des actions, les évaluer et les réajuster si besoin de façon à maximiser la réhabilitation psychosociale. Les 34 éléments de l’échelle sont notés entre 0 et 4 :
→ 0 : « jamais » (n’a été observé à aucun moment)
→ 1 : « rarement » (peu observé)
→ 2 : « souvent » (observé de manière fréquente)
→ 3 : « très souvent » (observé régulièrement)
→ 4 : « toujours » (observé de manière constante)
Après avoir instauré un système de cotation [144 + (total du score des « compétences observables ») - (total du score de « l’état clinique ») = x/204], la policlinique a fixé une moyenne à 132/204. Au dessous de ce seuil, l’indication de ré-hospitalisation sera posée pour permettre, par exemple, le réajustement thérapeutique.
La vie d’Agnès est émaillée de nombreuses hospitalisations, de rechutes multiples, de projets de soins inaboutis. Hospitalisée à la Policlinique 15e, elle présente une recrudescence délirante. L’échelle Nico sera utilisée pour l’évaluer. Suite à un temps d’observation clinique permettant de valider l’indication d’hospitalisation sur la structure, l’évaluation se fait une première fois à J+3 après le début de l’hospitalisation, puis une fois par mois avec l’équipe pluridisciplinaire (infirmières et aides-soignantes). D’une durée de 5 à 15 minutes, elle se fait sur le temps de l’inter-équipe afin de maximiser le nombre de soignants présents. Au moment des transmissions, chaque item est évalué selon les graduations proposées, de « jamais » à « toujours », et chaque soignant apporte son observation pour affiner l’évaluation.
Dans le cas d’Agnès, le critère « difficulté à différer ses attentes » est rapidement évoqué. L’équipe est unanime : ses demandes étant impérieuses, la graduation choisie est « toujours ». La patiente dénigre aussi l’importance de la toilette et se justifie à travers des idées délirantes. Elle ne prend sa douche que tous les 4 à 5 jours : l’item « port d’habits propres » est donc gratifié d’un « 1 ». D’autres items comme « prise d’initiative » donnent lieu à de vifs échanges. Agnès refuse de suivre l’accompagnement des soignants de la structure, mais elle continue à sortir, à prendre ses rendez-vous médicaux au CMP, et à s’y rendre seule. Deux postures se dessinent : « Peut-on dire que la patiente prend rarement des initiatives uniquement parce qu’elle fuit les soignants et leurs actions ? » et « Est-elle dans une prise d’initiative vu qu’elle continue à prendre des rendez-vous à l’extérieur sans solliciter les soignants ? » Certains le cotent « rarement », d’autres « toujours ». En se plaçant dans une dynamique centrée sur la patiente, la subjectivité individuelle des soignants fait lentement place à une objectivité collective. Après avoir passé en revue les 34 items, la note finale d’Agnès est calculée, mais le résultat est inférieur à la note minimale d’admissibilité à la policlinique. En s’appuyant sur la synthèse entre les différents acteurs de la prise en charge, l’équipe fait donc le choix d’une hospitalisation pour réajustement thérapeutique dans une unité de secteur du SHU (service hospitalo-universitaire).
En parallèle, l’équipe définit aussi un projet au long cours pour d’Agnès : son intégration dans une maison d’accueil spécialisée (MAS). À son retour du SHU, après un mois d’hospitalisation, une série d’actions infirmières est mise en place, en fonction des scores de l’échelle. Chaque item est évalué pour permettre une prise en charge individuelle.
Ainsi, si Agnès cotait « rarement » le « port d’habits propres » avant son hospitalisation, elle arrive à « très souvent » quelques jours à peine après sa réintégration à la policlinique. Une nette amélioration que nous avons pu observer grâce à la mise en place d’actions (éducation, stimulation, surveillance…). L’équipe définit également des objectifs avec la patiente, dont la douche quotidienne. Peu à peu, Agnès s’est réappropriée les règles de l’établissement. Et elle exprime même l’envie de comprendre les mécanismes qui l’amènent à la rupture thérapeutique. Son projet MAS, se concrétise un an plus tard. L’échelle Nico a permis d’appuyer une réhospitalisation de la patiente dans le cadre de sa recrudescence délirante. Le projet de MAS était fixé dès son entrée à la policlinique, et l’objectif dans la structure était de maximiser et de stabiliser ses compétences afin de permettre l’aboutissement de son projet de soins. L’échelle de notation individuelle des compétences observables a permis à l’équipe d’adopter une vision objective des possibilités de la patiente, d’adopter un temps d’évaluation en équipe, et d’aboutir à une standardisation des prises en charge.
Agnès, 35 ans, souffre de schizophrénie. Elle est suivie en psychiatrie en intra-hospitalier depuis plus de 10 ans et est hospitalisée à la Policlinique 15e depuis un an. L’équipe soignante observe au quotidien une persistance des symptômes délirants, des troubles du comportement et une intolérance au « cadre » : elle fume dans sa chambre, ne respecte pas les consignes d’hygiène personnelle et environnementale. La prise en charge est difficile et les soignants expriment la nécessité d’un positionnement différent et d’une réappropriation de la clinique infirmière.
→ Mai 2013 : Début du travail d’élaboration sur l’échelle de notation individuelle des compétences observables.
→ Septembre 2013 : Création de l’échelle Nico.
→ Avril 2014 : Mise en place au sein de la Policlinique 15e.
→ Avril 2014 à avril 2015 : Évaluation terrain auprès des patients et des soignants.
→ Juin 2015 : Présentation au 6e congrès mondial du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief).
→ Octobre 2015 : Communication scientifique lors du Salon infirmier.
→ 2016 : Validation préliminaire scientifique en cours : étude pilote et PHRIP (Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale).
L’échelle de notation individuelle des compétences observables a été conçue en s’appuyant sur des échelles existantes. Une mise en commun nécessaire car chacune présentait des limites.
→ L’Overt Agression Scale, créée en 1986 par les psychiatres Yudosky, Silver et Coll, mesure le comportement agressif. Ses limites : peut amener une stigmatisation, une critallisation de l’agressivité du patient,et la mise en lumière d’un unique élément symptomatique, au lieu d’une observation objective.
→ La Nurses’ Observation Scale for Inpatient Evaluation, mentionnée par Honigfeld en 1966, « mesure des comportements quotidiens des populations de patients hospitalisés avec des symptomatologies lourdes et déficitaires ». Ses limites : peu contemporaine, pas assez précise, pas d’observation pour l’autonomie ou l’observance du traitement.
→ Créée en 1995 par Jean-Yves Masquelier, cadre supérieur de santé, l’échelle d’autonomiene comporte pas d’éléments cliniques et propose un champ lexical désuet.
189 échelles réalisées au 1er juin 2015.
181/204, c’est la moyenne pour 40 patients.
2 résultats en-dessous de la moyenne ont conduit à une nouvelle hospitalisation.
17 prises en charges ont abouti : retour à domicile, en appartement associatif ou projet de structure type maison d’accueil spécialisée, Ehpad ou foyer d’accueil médicalisé.
L’infirmier clinicien case manager, autrement dit infirmier gestionnaire de cas, s’occupe de la gestion des questions complexes autour du projet de soin du patient. Il s’inscrit dans un processus systématique et coopératif et requiert une coopération interprofessionnelle et institutionnelle. Il vise à améliorer la communication et la coordination entre les différents acteurs tout en maintenant la responsabilisation du patient. L’infirmier, le médecin et le patient, d’un commun accord, définissent clairement les objectifs à atteindre. Le case management permet l’émergence des besoins du patient et de ses difficultés, aide à les aborder de façon plus précise, le tout s’inscrivant dans une logique de pluridisciplinarité.