L'infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Carine Chausson  

Lors de la plainte d’un patient, ou de sa famille, les informations contenues dans son dossier médical et son dossier de soins infirmiers s’avèrent très souvent essentielles voire primordiales dans la résolution du conflit.

L’HISTOIRE

En juin 2015, la cadre d’un service de médecine interne reçoit la plainte d’une famille, celle de Monsieur P., hospitalisé dans le service entre septembre et octobre 2014 pour des thromboses multiples dans un contexte d’adénocarcinome bronchique multimétastasé.

→ L’objet de cette plainte est un déficit de prise en charge lié à l’alimentation de Monsieur P. ; pour sa famille, il y aurait eu un manquement professionnel de la part des équipes médicales et paramédicales, qui n’auraient mené aucune action pour pallier sa dénutrition.

→ Les faits remontants à plusieurs mois, la cadre du service, afin d’établir ce qui s’est réellement passé au cours de l’hospitalisation de Monsieur P., va se référer aux informations contenues dans son dossier.

→ La cadre commence par étudier le dossier médical du patient. Dans le compte-rendu d’hospitalisation, elle trouve la preuve que sa dénutrition a bien fait l’objet d’une expertise médicale et que des actions à visée thérapeutique ont été mises en place pour y remédier : « Au cours de son hospitalisation monsieur L. a montré une altération rapidement progressive de son état général avec une anorexie totale. Il a été mis sous perfusion de Périkabiven. »

→ La cadre recherche alors la traçabilité des actions paramédicales menées. Dans le dossier de soins infirmiers de Monsieur P., les transmissions ciblées des infirmières relatent le 30 septembre : « alimentation parentérale débutée, pose de perfusion » ; le 1er octobre : « pose d’une sonde naso-gastrique, alimentation entérale débutée après radio de contrôle ».

→ En juillet 2015, une médiation est organisée entre le chef de service de médecine interne, la cadre du service, la cadre supérieure responsable de la réception des plaintes, et la famille de Monsieur P. ; à la lecture des différents éléments du dossier, prouvant l’implication de l’équipe face au problème de dénutrition du patient, et toutes les actions mises en place, la famille retirera finalement sa plainte.

ANALYSE

Au cours de l’hospitalisation de Monsieur P. en médecine interne, sa famille avait constaté son amaigrissement progressif. Pour elle, ce dernier était dû à un manquement dans la prise en charge de l’équipe, qui soit ne surveillait pas les ingestats, soit ne prenait pas le temps de lui donner à manger. Ne voyant plus leur proche ingérer de la nourriture, et n’ayant pas été informée de la mise en place d’une alimentation parentérale, puis entérale, la famille est persuadée que l’équipe de soin laisse son proche s’affaiblir. C’est ce qui, au décès du patient, a motivé la plainte contre le service de médecine interne, convaincue que la dénutrition de Monsieur P. a contribué à son décès. La médiation va permettre à la famille de prendre conscience de la réalité de la prise en charge de Monsieur P. grâce aux nouveaux éléments de preuve qui leurs sont apportés, consignés dans le dossier du patient tels que : son anorexie ; le contrôle des ingestas, dont la traçabilité par les aides-soignantes apparaît dans son dossier de soins infirmiers ; ou encore la mise en place d’une alimentation par voix veineuse périphérique puis par sonde naso-gastrique, présentes dans les transmissions infirmières, et sur prescriptions médicales. Ce sont bien ces éléments qui ont entraîné le retrait de la plainte par la famille.

Écarts et facteurs contributifs

Le principal facteur contributif au retrait de la plainte est la bonne tenue du dossier du patient, dans lequel ont été soigneusement consignés tous les actes de soin dont il a bénéficié. Pour la cadre du service de médecine interne : « Quand il y a des traces écrites, c’est beaucoup plus simple lors de la médiation. Ces traces sont les preuves que les choses se sont passées comme ça. Les proches réalisent les faits. Nous leur donnons des explications sur les circonstances de la prise en charge en nous appuyant sur le dossier du patient. Cela les rassure. Après, ils entrent dans une phase d’acceptation et souvent retirent leur plainte. » Elle rappelle « qu’il s’agit d’un document médico-légal auquel on va se référer en cas de plainte ou de litige. Je répète tout le temps à mon équipe que tout ce qui n’est pas tracé n’est pas fait. Si l’on ne note pas un soin, c’est une faute professionnelle. »

Réflexions et actions d’amélioration

La médiation a permis de mettre en exergue le fait que la famille a porté plainte, notamment à cause d’un manque d’information : elle ne savait pas que Monsieur L. avait été alimenté par voix entérale puis parentérale. Une réunion d’équipe a été organisée avec la cadre du service, et une réflexion s’est ouverte sur les moyens qui pourraient être mis en place pour prévenir ce type de plainte. La cadre souligne que « ce genre d’événement nous permet de nous reposer les bonnes questions sur notre positionnement professionnel. Cette plainte aurait pu être empêchée si nous avions eu les moyens d’être encore plus à l’écoute de l’entourage, et si nous lui avions expliqué les soins mis en œuvre. Nous sommes là pour les patients, mais aussi pour leur famille. Nous devons être attentifs aux angoisses de l’entourage pour tenter d’enrayer le plus tôt possible ce type de réaction ». Suite à cet évènement, la décision a été prise d’organiser des réunions hebdomadaires pluridiciplinaires (réunissant personnel médical et paramécical, psychologue, assistante sociale, etc.), permettant la mise en commun des informations. Les aides-soignantes qui sont les plus proches des familles sont ainsi en mersure de les relayer.