L’annonce d’une maladie grave ou chronique est un élément majeur et douloureux dans la vie d’une personne. Si l’énoncé du diagnostic est formulé par le médecin, l’IDE intervient de multiples façons dans le dispositif d’annonce.
Une maladie grave ou chronique constitue une modification radicale du cours de la vie d’une personne. Celle-ci peut être ressentie comme une condamnation à mort ou, du moins, à mal vivre. Les annonces, au fil de la prise en charge, permettent aux soignants de délivrer progressivement au patient les informations dont il a besoin pour comprendre sa maladie et devenir acteur de son parcours de soins. S’il revient au médecin de formuler le diagnostic, l’IDE joue un rôle à diverses étapes, y compris lors de la consultation médicale.
L’annonce du diagnostic s’effectue de préférence lors d’une consultation en binôme médecin-IDE. « Pour l’infirmière, il s’agit essentiellement d’un travail d’observation, indique Mélanie Rousseau, IDE d’annonce et de coordination en oncologie pédiatrique au CHU d’Angers (49). Cela nous permet d’entendre ce que dit le médecin ainsi que les mots employés : c’est essentiel, car lorsque je reçois ensuite le patient et sa famille en consultation infirmière, nous reprenons à partir de ce qu’ils ont entendu et compris de la maladie et du traitement. Il est plus facile de personnaliser mon intervention en sachant précisément ce qui s’est dit lors de l’annonce. Cela permet aussi aux personnes de m’identifier. »
La consultation médicale est en outre un temps extrêmement utile à l’infirmière pour observer la façon dont le patient réagit au diagnostic : choc, déni, agressivité, sidération, tristesse, abattement, réticence ou, parfois, soulagement… « Cette évaluation se fait notamment à travers le langage corporel, explique Anaïs Guillanneuf, infirmière en psychiatrie au CH du Rouvray à Sotteville-les-Rouen (76). Il importe de prêter attention à ce que renvoie le patient. » L’IDE reste généralement silencieuse pendant ce temps médical. Néanmoins, selon les médecins et la façon dont fonctionne le binôme, elle peut être amenée à intervenir, à la demande du praticien ou parce que le patient ou son accompagnant s’adresse de préférence à elle parce qu’il n’ose pas parler aussi directement au médecin. La consultation médicale est ensuite renforcée par une autre, menée par l’infirmière. Celle-ci vise à prolonger l’accompagnement du patient, lui délivrer des informations sur la maladie et les traitements et répondre aux questions et aux inquiétudes.
L’adaptation est comme toujours le maître-mot de la prise en charge infirmière. « Chaque situation est différente, constate Mélanie Rousseau. À nous de trouver les bons mots et la posture adéquate : il importe de savoir quand se mettre en retrait, de ménager des silences, de repérer les besoins du patient et de sa famille, etc. Certains sont dépassés, et c’est encore plus compliqué si la famille est recomposée ou monoparentale. » La consultation infirmière se révèle utile pour réexpliquer la maladie et le traitement, à partir de ce que le patient (ou ses parents) a compris. Il importe de laisser celui-ci s’exprimer. Pour favoriser cela, il convient de parler doucement, d’aménager des temps de pause, de reformuler, d’adopter une attitude empathique, de poser des questions ouvertes (« que vous a dit le médecin ? », « que connaissez-vous de cette maladie ? », « pourquoi réagissez-vous ainsi ? », etc.). L’écoute active permet au patient bouleversé par l’annonce de poser des questions ou d’exprimer ses émotions. « C’est au médecin qu’il incombe de dire la vérité, souligne Sandra Eclancher, IDE d’annonce en cancérologie dans les Yvelines. L’IDE est là pour reprendre ce que le patient a compris : ce n’est pas à moi de prononcer le mot “cancer” s’il n’a pas intégré l’information. Si le diagnostic n’est pas compris, je le réoriente vers le médecin. Tant qu’il ne prononce pas le mot “cancer” ou chimiothérapie », je ne vais pas plus loin. Mon rôle est de l’amener à dire les choses. » Pour cela, Sandra Eclancher a mis au point un jeu de cartes baptisé “écho des maux” (ou des “mots”). Les cartes représentent des images et sont divisées en quatre catégories : maladie (douleur, piqûre, perte de cheveux, mort, etc.), champ professionnel (mi-temps thérapeutique, argent, protection sociale, arrêt de travail, mise au placard, etc.), champ personnel (avoir un bébé, rapports sexuels, cuisiner, la cigarette, monter les escaliers, etc.), champ social (se baigner, jardiner, alimentation, rencontrer ses amis, etc.). Un joker permet d’évoquer un sujet qui est propre au patient (le testament, par exemple). En choisissant les cartes, ce dernier indique les sujets qui le préoccupent ou qu’il souhaite aborder. Les avantages sont multiples : le patient visualise ainsi des problèmes auxquels il n’avait pas pensé ; les sujets abordés ne sont pas forcément d’ordre médical ; la personne a la possibilité d’évoquer sa vie et son quotidien. « À la façon dont le patient fait défiler les cartes, je perçois les sujets qui lui posent problème et dont il veut parler, mais aussi ceux qu’il refuse d’aborder, confie Sandra Eclancher. Je n’hésite pas à dire aux personnes que je reçois qu’elles ont le droit de rire ou de pleurer. Les cartes leur renvoient un regard sur l’ensemble de leur vie et mon rôle est de personnaliser au maximum mon accompagnement. »
« Proposée et non imposée, la consultation infirmière avance au rythme du patient », renchérit Carine Boyenval, IDE d’annonce en pneumologie au CHU de Rouen (76). Le nombre de rendez-vous infirmiers n’est généralement pas limité. « Le travail d’information par l’IDE se poursuit jusqu’à l’acceptation et la compréhension du diagnostic », insiste Martine Depauw, cadre de santé au CH du Rouvray. Abreuver le patient d’informations en un temps restreint se révèle contre-productif puisque toutes ne seront pas assimilées. « Il faut garder à l’esprit que le patient n’entend pas toujours, rappelle Carine Boyenval. Les informations et la vérité sont à délivrer progressivement. Tout ne peut pas être dit lors de la première consultation ! » Encore moins en psychiatrie où « il existe un risque d’effet psycho-somatique chez le patient informé à l’excès, notamment sur les effets secondaires des traitements », met en garde Anaïs Guillanneuf. La relation de confiance, essentielle pour le déroulé de la prise en charge, s’instaure grâce à la délivrance de l’information, une fois le choc de l’annonce passé. « Il est important de faire comprendre aux personnes que nous recevons qu’en aucun cas nous ne leur mentons, précise Martine Chiffoleau, puéricultrice coordinatrice au Centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) pédiatrique au CHU d’Angers. Même si certaines choses ne sont pas faciles à entendre, nous ne cachons rien ! » La relation de confiance s’installera d’autant plus si l’information n’est pas délivrée sous forme de ?promesse. En d’autres termes, il est possible de dire « on peut guérir de cette maladie » ou « il existe de bonnes chances de guérison », mais jamais « vous allez guérir », par exemple. « Il n’est pas bon de donner des chiffres en termes de guérison ou de temps, en particulier en pédiatrie, ajoute Mélanie Rousseau. Au mieux, il est possible de donner un ordre d’idée sur la durée des traitements. » Quant au mot « guérison », il est à manier avec la plus grande précaution, notamment en psychiatrie où le terme « rétablissement » lui est préféré.
La vigilance est également de mise concernant la cohérence des informations qui circulent au sein de l’équipe soignante elle-même, mais aussi entre cette dernière et les professionnels de ville qui gravitent autour du patient, afin d’éviter toute dissonance. L’organisation de réunions avec les différents acteurs peut constituer un plus dans le suivi, qui recueillera d’autant plus l’adhésion du patient.
En revanche, la réassurance du patient peut reposer, entre autres, sur l’évocation de pistes positives. « Je leur parle d’avenir et de la recherche qui progresse. Je donne des exemples de patients qui se portent bien et qui vivent normalement, explique Martine Chiffoleau. Je précise également qu’il existe des études cliniques et qu’ils se verront proposer d’intégrer celle qui serait adaptée à leur cas. »
La disponibilité des soignants et leur implication dans la prise en charge constituent également des facteurs de réassurance. « Être présent et ne pas faillir vis-à-vis du patient est essentiel, d’autant que certains sont seuls », insiste Raphaëlle Fidalgo, IDE en psychiatrie au CH du Rouvray. Et si l’attitude empathique est requise chez le soignant impliqué dans le dispositif d’annonce, « il faut savoir se mettre un peu en retrait vis-à-vis de la réaction du patient et ne pas être trop dans l’émotion avec lui, commente Mélanie Rousseau. Dans le cas contraire, il existe un risque de ne plus être aidant pour la personne. On ne doit pas hésiter à passer la main lorsque c’est trop difficile ». Alors que le rôle du soignant consiste notamment à ne pas laisser le patient dans l’angoisse, il peut lui-même se retrouver confronté à ses propres mécanismes de défense et à ses propres peurs. Parler de ses difficultés en équipe, au psychologue du service ou encore lors de supervisions est tout indiqué.
« Même s’il n’est pas évident, le rôle de l’infirmière d’annonce est intéressant, conclut Carine Boyenval. La connaissance des maladies et les traitements évoluent beaucoup. Nous sommes ainsi au fait des dernières découvertes, et très concernés par la pharmacovigilance. D’où l’importance d’avoir instauré la confiance et favorisé son adhésion à la prise en charge. Et surtout, chaque parcours de soin est différent. Nous avons le temps d’échanger avec les patients, d’apprendre à les connaître. »
Afin de préparer les médecins et les infirmières à l’annonce d’une mauvaise nouvelle (maladie grave, rechute, etc.), le CHU d’Angers a mis en place une formation spécifique dispensée au sein de son centre de simulation.
La troupe de comédiens amateurs Tréteauscope, composée de soignants et de professionnels qui exercent au CHU, participe au dispositif en incarnant des patients, le jeu de rôle et la mise en situation étant au cœur de cette formation. La « fausse » consultation est filmée, puis décryptée avec les apprenants : analyse des temps de silence, gestion de la parole et des émotions, posture physique, vocabulaire employé, etc. À noter que le CHU d’Angers a reçu en 2012 le grand prix de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) pour ce dispositif.
1. Se présenter en donnant son nom, sa qualification, son rôle dans le service et expliquer les objectifs de la consultation.
2. Annoncer dès le début la durée de la consultation (prévoir une heure au minimum).
3. Recevoir le patient dans une pièce ou un bureau au calme, à l’abri de toute sollicitation extérieure (téléphone, sonnette, etc.) ; il est utile de placer un écriteau « ne pas déranger » sur la porte. Il est possible de proposer au patient hospitalisé (en psychiatrie notamment) une rencontre dans un lieu où il est à l’aise (sa chambre, ou lors d’une promenade…), au moment qui lui convient, en gardant un minimum de formalisme.
4. Indiquer préalablement au patient qu’il peut être accompagné de la personne de son choix.
5. Favoriser l’échange en évitant tout élément symbolisant une barrière entre l’IDE et le patient (un bureau, par exemple).
6. Garder à l’esprit le caractère primordial de l’information orale, adaptable à chaque personne. Du temps et de la disponibilité sont essentiels, car l’information requiert selon les cas d’être transmise progressivement. Les documents écrits complètent l’information orale.
7. Parcourir le classeur de suivi avec le patient en expliquant comment s’y repérer.
8. Mentionner les associations de patients et l’existence de réunions d’information ou d’ateliers.
9. Laisser ses coordonnées au patient ou à sa famille.