Prendre des responsabilités dans une équipe, accepter un poste de faisant fonction puis tenter le concours de l’IFCS, tel est le parcours qui mène à la fonction de cadre de santé. Un moment exigeant, mais riche de multiples défis.
Ma première impression, cela a été que je ne faisais plus partie de l’équipe, se souvient Patrice Mauve, qui a fait fonction de cadre dans le service de chirurgie orthopédique à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) pendant un an et demi. L’appartenance à une équipe en tant qu’IDE est très forte. Et là, d’un seul coup, même si je n’étais plus dans le même service, on arrive en salle de détente et le silence se fait. On n’est plus le collègue, mais le chef. » Quelle que soit la formation, la préparation, le projet professionnel et l’accompagnement apporté par sa hiérarchie, tous les jeunes cadres le reconnaissent : quitter le soin est une épreuve et un challenge, qui peut ne pas aller sans casse. « C’est le métier le plus difficile de l’hôpital, l’accès au premier niveau de responsabilité (que ce soit à l’égard du patient, des familles, des équipes) et la transformation n’est pas évidente », résume Sylvie Leuwers, coordonnatrice générale des activités paramédicales au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris).
Dans la plupart des cas, l’entrée dans la fonction de cadre se fait via une période de « faisant fonction ». L’IDE est nommée sur un poste de cadre sans en avoir le diplôme. « C’est un bon moyen de savoir si le métier nous correspond vraiment, estime Sylvie Adelbert, Ibode et cadre de bloc diplômée aux Quinze-Vingt (Paris), et qui a préalablement fait fonction de cadre pendant un an et demi dans un service de psycho-gériatrie de l’AP-HP. Pour ma part, c’est là que j’ai trouvé le sens de mon métier de cadre, à savoir faciliter le travail des équipes, leur donner les moyens, les mettre en valeur, les amener à évoluer dans leur fonction. » « Et puis avoir été faisant fonction, cela aide également pour l’oral du concours d’entrée à l’IFCS, note Salomé L., diplômée de l’IFCS depuis juillet 2015, après deux années de faisant fonction de formatrice dans un Ifsi. On gagne en expérience pour la prise de parole par exemple. »
Le diplôme de cadre de santé est en effet obligatoire pour exercer dans la fonction publique hospitalière. Dans le secteur privé, il est de plus en plus valorisé, mais l’expérience ou un simple DU de management hospitalier peuvent suffire au recrutement. Un master en management constitue également un plus pour intégrer les grands établissements du secteur privé à but lucratif à des postes équivalents à ceux de cadre supérieur ou directeur des soins.
L’utilité de l’étape « faisant fonction » dans le parcours vers le métier de cadre de santé semble désormais largement partagée par la majorité des directeurs des soins ou cadres supérieurs, à condition que cette période de mise à l’épreuve n’excède pas trois ans. « Au-delà, estime Sylvie Leuwers, cela signifierait pour nous que le candidat a déjà raté deux fois son concours pour l’IFCS et il y aurait donc lieu de remettre en question le projet d’évolution dans l’encadrement de cet agent. »
Si quelques établissements sont pointés du doigt pour conserver volontairement leurs faisant fonction sans les préparer au concours d’entrée et les y présenter, c’est malheureusement parce qu’il existe un avantage financier à maintenir la situation, le faisant-fonction étant alors toujours rémunéré comme un IDE, à l’exclusion d’une prime très modeste ne dépassant pas la centaine d’euros mensuels, alors que le cadre diplômé et admis au concours sur titre change de grille de rémunération et reçoit une prime d’encadrement…
La prise de fonction dans un premier poste d’encadrement se fait de moins en moins dans le service ou l’agent a exercé en tant qu’IDE. « Je suis arrivé dans un service que je ne connaissais pas, je venais de réanimation, qui est un milieu de travail relativement fermé, se souvient Patrice Mauve. Il m’a fallut découvrir en même temps le métier de cadre et la spécialité du service. » Mais il serait encore plus difficile de vouloir prendre la tête d’une équipe dont on fait partie. « Passer du rapport copain/copine à un rapport hiérarchique du jour au lendemain, quand il va falloir décider d’attribuer ou non les jours de congé demandés ou bien faire remarquer à un agent qu’il est en retard, c’est trop compliqué, observe Sylvie Leuwers. C’est quelque chose qui se faisait auparavant dans notre établissement. Dans la même idée que l’interne devient chef de clinique, puis chef de service dans un même service, et que j’ai fait modifier. » En revanche, il pourra arriver que des cadres reviennent sur leur poste antérieur une fois diplômés. « Si cela fonctionnait bien, qu’ils ont initié des projets qui restent à suivre, et que le poste est disponible, pourquoi pas ? », poursuit la coordinatrice générale des activités de Sainte-Anne. Mais compte-tenu du fort turn over des ressources humaines à l’hôpital, ce n’est pas toujours le cas.
À son arrivée en poste, Patrice Mauve a eu la chance de bénéficier d’un accompagnement de qualité, débarquant dans une équipe de quatre cadres, dont deux étaient titulaires et ont offert une forme de compagnonnage durant trois semaines. « Ma cadre supérieure était en fin de carrière, et elle était vraiment dans un désir de passer le relais, de transmettre son expérience. Les responsabilités m’ont été confiées au fil du temps. Je me suis d’abord occupé uniquement du flux des patients. Puis on m’a confié une deuxième unité de soins, puis les consultations, puis le planning, etc. »
Tous les accueils ne se font pas, loin s’en faut dans le même climat. Il suffit de débarquer dans un service où le poste de cadre est longtemps resté vacant pour que l’intégration devienne plus compliquée. « Quand je suis arrivée, tous mes collègues cadres étaient en vacances et la cadre supérieure en congé longue maladie, se souvient Sophie P. qui exerce en néphrologie dans un établissement parisien de l’AP-HP. Je ne connaissais pas les logiciels de gestion du temps de travail, je n’avais même pas de mot de passe pour me connecter. En fait, mon arrivée n’avait absolument pas été anticipée. J’ai moi-même fait le tour de tous les services pour me présenter aux cadres et aux laboratoires avec qui je devrais entrer en relation. » Parfois c’est plus simplement la rapidité de la nomination qui est difficile à assumer. Aline Ruby s’est ainsi trouvée appelée à prendre un poste de cadre en réanimation aux Hospices civils de Lyon en moins d’une semaine. « Mon projet d’évolution vers la fonction cadre avait été validé avec la direction des soins, mais je ne m’attendais pas à ce que cela aille aussi vite. En quelques jours, j’ai du m’organiser pour la garde de mon fils. »
Car être cadre, cela signifie également passer en horaires de jour, mais pas nécessairement travailler moins… « Au début, on ne compte pas les heures supplémentaires (non rémunérées, NDLR) », observe Patrice Mauve. Et il faut être prêt à rester plus tard si les circonstances l’exigent : rencontrer un professionnel de l’équipe de nuit, gérer une urgence organisationnelle, etc. Outre les horaires de jour, la permanence des cadres de santé peut également imposer des gardes institutionnelles, en soirée, le week-end ou les jours fériés, selon un rythme propre à chaque établissement et/ou service (généralement 3 à 4 fois par an). Le temps de garde - rémunéré ou récupérable - peut être complété par une astreinte à domicile.
Aux Hospices civils de Lyon, les nouveaux cadres (faisant fonction ou nouveaux recrutés) passent par une période d’intégration. Durant une semaine, ils vont ainsi rencontrer tous les interlocuteurs hiérarchiques ainsi que les responsables des services avec lesquels ils vont collaborer. « Ensuite, un tutorat par un cadre confirmé est proposé pendant un an, explique Dominique Combarnous, cadre supérieure. Les échanges se feront en fonction du rythme qui convient à chacun, de l’expérience du nouveau cadre. Il s’agit simplement pour eux d’avoir un interlocuteur a qui demander conseil sur une situation donnée. On fait des mises au point régulières sur l’évolution du cadre tous les trois mois, avec ou sans son tuteur. »
Pourtant, cela n’a pas empêché Aline Ruby de débarquer dans une ambiance plus que pesante. « L’équipe m’attendait au tournant, observe la jeune-femme. Je suis arrivée après deux autres faisant fonction, et les IDE étaient préparées à m’éjecter moi aussi. Certains me disaient : “On ne parle pas aux faisant fonction”. » La légitimité du nouveau-venu non qualifié peut en effet être remise en question par les infirmiers. « J’ai tenu bon, j’ai appris à relativiser, explique Aline. Et puis j’ai participé aux soins lorsque nous étions vraiment en difficulté d’effectif ce qui m’a aidé à me faire accepter. »
Faire, plutôt que commencer par donner des ordres est également la posture que Sylvie Adelbert a adopté : « Ma première mission c’était la remise en conformité du service, résume-t-elle. J’ai commencé par vider, nettoyer et ranger mon bureau qui avait été plus ou moins transformé en débarras. Puis je me suis attelée à l’étiquetage du poste de soin, à la réorganisation du chariot de soin, à la protection de la confidentialité et à l’effectivité des transmissions écrites. Ensuite, j’ai travaillé sur le management et le projet de service. En deux-trois mois, j’étais adoptée. » En tant que jeune cadre diplômée en revanche, certains on trouvé « l’atterrissage » plus que délicat. « Les équipes attendent beaucoup du nouveau cadre, surtout quand vous arrivez dans un service en difficulté, observe Salomé L., cadre de santé depuis peu dans un établissement de l’AP-HP. Malheureusement, vous ne pouvez rien révolutionner. Vous êtes entre l’équipe et la direction. Vous avez des consignes à appliquer, et à ce stade, vous ne pouvez pas dire non, même si on tente quand même un peu de protéger les agents. »
Le rôle du cadre supérieur apparaît essentiel à tous les jeunes cadres de santé interrogés. Tous se sont appuyés sur un supérieur ou un cadre paramédical de pôle. « Le médecin référent de mon unité a également été un excellent binôme », ajoute Sylvie Adelbert. « Ma cadre supérieure m’a aidé à préparer l’école des cadres, elle m’a donné des conseils de lecture, m’a aidé à trouver le bon positionnement », explique Ruby. L’existence de collectifs de cadres, qui permettent d’organiser des réunions, d’échanger sur ces difficultés, voire de faire remonter auprès de la hiérarchie les problèmes rencontrés dans le management des équipes est également d’un grand support. Malheureusement, ces collectifs ne fonctionnent pas partout. « Et une fois diplômés, on peut aussi compter sur le réseau construit avec les collègues connus en école de cadre, estime Sophie P. On se rappelle, on se revoit parfois le soir pour boire un verre et échanger sur nos expériences, c’est un soutien important. »
Au-delà des théories enseignées, des travaux rédigés et des stages, l’IFCS permet également de rencontrer de futurs collègues, issus d’autres professions
Les cadres de santé restent néanmoins dubitatifs. « La mise à l’épreuve par les équipes sera d’autant plus difficile si vous ne venez pas du sérail, remarque Sylvie Adelbert. Déjà en tant qu’infirmière, vous êtes jaugée comme un étranger, alors si en plus vous n’avez pas la compétence technique. » Sans compter que la formation de cadre transforme fortement la vision des jeunes cadres. « Je pensais qu’une fois diplômée je serais plus écoutée, que je pourrais faire avancer un projet plus rapidement, se souvient Sylvie Adelbert. En réalité, on nous transmet une vision plus économique de la fonction et quand on revient dans le service on pense tout de suite normes, efficacité, rentabilité et gestion des risques. » L’enjeu est ensuite de concilier cette vision avec l’exigence humaine du soin et de la gestion d’une équipe.
1 - Les professions pouvant prétendre à l’entrée en IFCS : infirmier, puériculteur, infirmier de secteur psychiatrique, Ibode, Iade, manipulateur en électroradiologie médicale, laborantin d’analyses médicales, masseur-kinésithérapeute, diététicien, ergothérapeute, psychométricien, préparateur en pharmacie.
Le plus souvent, les établissements employeurs financent la formation cadre au titre de la promotion professionnelle. Cela inclut une préparation au concours d’entrée à l’IFCS, en interne ou en externe, qui se déroule sur 15 à 16 jours répartis sur plusieurs mois, la présentation au concours, puis le financement de la formation et la rémunération du stagiaire. Cette question financière peut donc expliquer que l’entrée en IFCS soit décalée d’une année à l’autre, malgré la réussite au concours d’entrée, lorsqu’un établissement n’en a pas les moyens.
La problématique financière explique également que si la formation est un investissement pour l’établissement de soin, il en découle des obligations pour le cadre formé qui doit ainsi au moins 30 mois d’activité à son employeur. Pas question donc de le quitter, sauf… s’il est racheté par un autre établissement !
Le financement est encore plus difficile à mobiliser dans le secteur privé.
Il reste évidemment possible de se préparer seul au concours et de le passer en candidat libre. C’est ce qu’a tenté, avec succès, Sylvie Adelbert, pourtant agent de la fonction publique hospitalière. « À l’époque, il était difficile d’obtenir un financement, alors je me suis préparée en lisant la presse spécialisée et grace aux Mooc du Cnam, se souvient-elle. J’ai obtenu d’excellentes notes qui ont poussé ma hiérarchie à m’inscrire dans le prochain budget formation. »
Une démarche pro-active relativement rare.
Quels retours avez-vous sur le vécu des cadres à leur entrée dans la fonction ?
Malheureusement, nous avons beaucoup de remontées négatives. Ils se sentent très seuls dans leurs unités. Les cadres supérieurs ne passent pas assez souvent. Il y a parfois même un peu de maltraitance de la part de leur N+1. On donne des ordres, puis des contre-ordres. Les cadres sont laissés dans l’incertitude et les prises de postes semblent un peu brutales. Cela ne s’observe pas que dans les grands groupes, mais aussi dans de plus petits établissements et dans les Ehpad où les cadres sont particulièrement isolés. Les pressions sur la performance, la gestion, la qualité font qu’ils se sentent démunis.
L’Ancim peut-elle contribuer à améliorer ce moment ?
C’est une violence institutionnelle qui nous interroge beaucoup. Nous pensons à travailler sur un référentiel de la fonction cadre supérieur qui inclue cet aspect. Car une mauvaise entrée dans la fonction peut détruire la crédibilité du professionnel au sein de l’équipe.
Par ailleurs, adhérer à une association professionnelle comme la nôtre permet d’échanger avec d’autres professionnels. Tout seul, on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin.