Scarifications, idées ou tentatives suicidaires, comportements à risque… Face aux adolescents en souffrance, mais non-demandeurs de soins, le Centre psychothérapiquede l’Orne mise sur la mobilité des soignants pour repérer les signes du mal-être.
Dans une société en perte de lien social, certains jeunes manifestent de plus en plus tôt une souffrance psychique sous des formes alarmantes : scarifications, idées ou tentatives suicidaires, comportements à risque (consommation de stupéfiants, alcoolisation massive)… Face à la difficulté des CMP à prendre en charge ces adolescents en souffrance mais non-demandeurs de soins, une unité mobile pour adolescents a été mise en place en 2007 par le secteur de pédopsychiatrie du Centre psychothérapique de l’Orne. Une initiative essentielle, étant donné les listes d’attente souvent trop longues pour répondre aux besoins de ce public. Il a donc fallu trouver de nouveaux dispositifs, aller « hors des murs » pour éviter les représentations négatives et permettre l’accès aux soins des adolescents en situation d’impasse.
Le dispositif départemental pour adolescents, ouvert de 9 à 18?heures, du lundi au vendredi, se compose d’équipes mobiles réparties sur les principales antennes de la maison départementale des adolescents (MDA) : Alençon, l’Aigle, Flers et Argentan. Chaque équipe est composée de deux soignants (IDE et/ou éducatrice) à temps plein et d’un psychologue à mi-temps. Et elle est étayée par une assistante sociale, un pédopsychiatre, une secrétaire et un cadre de santé.
Le constat admis étant que les jeunes en difficulté utilisent peu les structures de santé que nous leur proposons, l’objectif était de les amener vers les soins. Notre travail se fait en ambulatoire, et s’initie parfois à partir d’une hospitalisation en pédiatrie ou à la demande de l’entourage (la famille, l’école, l’institution médico-sociale, etc.). Devant l’adolescent en crise, ces derniers se retrouvent vite démunis, incapables de prendre la distance nécessaire à l’analyse de sa problématique et de son histoire.
Nous tentons d’intervenir dès l’identification d’une situation de crise, en allant vers l’adolescent non-de?mandeur (contrairement au CMP où c’est le jeune qui fait le premier pas). La mobilité et la disponibilité sont des atouts majeurs pour repérer des signes du mal-être en amont d’une crise. « Aller vers » le jeune, c’est lui dire l’intérêt qu’on lui porte : « On vient vers toi, car tu en vaux la peine. On ne te lâche pas. »
Notre travail en équipe mobile est axé autour de la notion de référence : qu’il soit infirmier ou éducateur, le référent est un soignant. Face à un adolescent qui met à l’épreuve les liens familiaux, affectifs et sociaux, il est primordial de créer une relation de confiance, qui de par sa permanence, sert de repères et de balise. Ce référent est aussi le pivot de la relation avec les partenaires. Il porte la parole de l’adolescent auprès de sa famille, des structures médico-sociales ou scolaires, et est garant de la continuité de la prise en charge globale, même si celle-ci est mise à mal par les refus ou passages à l’acte de l’adolescent.
La première rencontre se fait toujours sur le territoire du jeune, là où il se sent le plus à l’aise. C’est lui qui choisit le lieu : à la maison, au sein de l’institution qui l’accueille, à la sortie du collège ou du lycée, dans les unités de pédiatrie, dans un café, au parc, chez un ami… Ces premiers contacts servent à susciter l’envie du jeune, à l’amener à s’intéresser à ce qui se passe en lui et ne pas renforcer le déni. Le rôle du professionnel est de s’adapter aux besoins de l’adolesent, de respecter ses possibilités et celles de sa famille, d’établir un cadre solide, tout en restant flexible et créatif.
Nous rencontrons ainsi Sarah quotidiennement au sein de l’unité de pédiatrie du CH d’Alençon. Ces rencontres sont courtes, mais il s’agit surtout de créer une relation vivante et « vraie ». Notre attitude se doit d’être chaleureuse, réceptive, mais sans maternage. Considérer l’adolescent comme une personne digne de respect et lui montrer qu’on accepte ce qu’il est – sans approuver forcément ce qu’il fait ou a fait.
Ce dispositif départemental pour adolescents est complémentaire à une prise en charge globale. La rencontre avec la famille – quand elle est possible – est un temps que nous favorisons et que nous proposons à domicile. Il s’agit d’un moment d’évaluation et d’aide qui mobilise l’ensemble de la famille. De plus, si l’adolescent est déjà accompagné par une institution, il est important de ne pas briser ce lien. Il s’agit au contraire de s’appuyer dessus pour faciliter le contact et envisager un temps de soin.
Il est essentiel que tous ceux qui gravitent autour du jeune puissent exprimer leur ressenti sur la situation : c’est l’occasion d’exprimer les conflits, les peurs et les angoisses. L’adolescent est toujours présent à ces rencontres, car elles lui permettent de s’inscrire comme un acteur de son devenir et d’amorcer un « travail de reprise », à partir de l’expression des différents points de vue. Elles permettent également des évaluations plus précises et complètes au niveau familial, social, médical et scolaire. Ainsi, on peut mieux comprendre la dynamique des conflits, des replis et des dé?fenses mis en jeu par l’adolescent.
Ce travail en collaboration a permis à Sarah, lors des entretiens avec la psychologue, d’établir des liens avec l’histoire de sa famille, mais aussi d’identifier la relation en miroir qu’elle entretenait avec sa mère, tandis que le père, exclu, représentait l’élément perturbateur dans leur relation quasi fusionnelle. Nous avons organisé des rencontres avec son père, et l’avons aidée à opérer un travail de distanciation d’avec sa mère. Parallèlement, nous avons mis en place une coopération des deux parents à travers les entretiens familiaux, menés par le binôme médecin-assistante social, pour soutenir Sarah et retrouver un équilibre dans les rôles de chacun.
L’intervention d’un nutritionniste et d’une diététicienne a permis à l’équipe mobile de partager la prise en charge sanitaire et de différencier les espaces et les soins. De manière générale, et tout particulièrement dans le cas de Sarah, si la notion de référence reste essentielle à la prise en charge, le référent ne doit pas être le seul interlocuteur de l’adolescent, afin de ne pas reproduire les modes relationnels exclusifs qu’elle a connus. Des médiations thérapeutiques, du type « expression corporelle » ou théâtre, ont aidé la jeune fille à reprendre confiance en elle. De plus, l’Éducation nationale a mis à disposition de l’adolescente un enseignant pour des cours individuels dans les locaux de la MDA. Elle a pu progressivement reprendre pied dans sa scolarité en reconstruisant son assurance sur ses compétences.
Entre refus des entretiens et passages à l’acte auto-agressifs, l’infirmière référente a aussi permis à Sarah l’élaboration d’un travail psychologique dans une relation d’altérité confiante avec l’adulte. Être référent, c’est s’engager personnellement, et se proposer en « gage » des capacités d’évolution de l’adolescent. Prendre parfois des risques tout en étant créatif. C’est croire que l’adolescence est la période où tout est possible !
Sarah, 14 ans, est hospitalisée en pédiatrie pour des idées suicidaires et des scarifications. Elle présente un tableau dépressif avec des antécédents de tentative de suicide grave. Ses parents sont séparés depuis dix ans : la relation fusionnelle avec sa mère les a toutes les deux conduites à un isolement social. Elle craint son père qu’elle dit autoritaire, et ne lui parle plus. Descolarisée depuis 9 mois, l’adolescente présente des comportements anorexiques qu’elle nie.La symptomatologie psychiatrique est préoccupante.
→ 2003 : Création d’une première unité mobile sur le bassin d’Alençon pour aller à la rencontre d’adolescents en souffrance et non-demandeurs. Elle pose les bases de la future unité mobile.
→ 2007 : Création de l’unité mobile par le Centre psychothérapique de l’Orne.
→ 2007-2008 : DU Adolescents difficiles pour Radica Roye, IDE.
→ 2015 : 1er prix du concours Hélioscope-GMF remis par la Fondation hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, qui récompense les actions de coopération entre différents services au bénéfice du malade et de ses proches.
Au sein des équipes mobiles, l’infirmière a un rôle clé d’écoute, d’accompagnement et de lien. Elle aide ainsi à :
→ clarifier les situations complexes et de crise, le plus tôt possible ;
→ prendre en charge, dans le sens de recevoir, et élaborer un projet, soit à travers une relation d’aide thérapeutique (individuelle ou familiale avec ou sans médiation), soit en accompagnant vers une orientation spécifique ;
→ assurer un lien de continuité avec l’infirmière référente (ou l’éducateur).