Récupération musculaire, soulagement des douleurs articulaires, effet antistress… À l’origine réservée aux sportifs, la thérapie par le froid est en pleine expansion, ouvrant un nouveau champ d’expertise pour les infirmières. Une immersion de 3 minutes dans une chambre de cryothérapie corps entier, que l’on a testée.
La porte vitrée s’ouvre, un souffle glacé s’échappe en volutes blanches avant de se dissiper dans la pièce. Bandeau sur les oreilles, gants de ski enfilés, grosses chaussettes aux pieds, et en maillot de bain, je pénètre dans un premier sas à – 10 °C. Emmitouflée dans une doudoune, Anaïs Largier, infirmière, s’enquiert de mes premières sensations : « Tout va bien ? Jusque-là, ça n’est pas trop froid… » Pour découvrir cette thérapie par le froid, je me suis prêtée à l’exercice, non sans une certaine appréhension. « La première fois peut être source d’angoisse, admet Anaïs Largier. Souvent, nous proposons aux patients anxieux de se lancer à plusieurs, jusqu’à trois à la fois. » Après quelques secondes d’adaptation, nous pénétrons dans le deuxième sas, où la température avoisine les – 60 °C. Un froid sec, paradoxalement beaucoup plus supportable que certaines températures hivernales. Enfin, il est temps d’accéder à la chambre à – 110 °C, où l’on restera trois minutes. Pas une de plus. « La durée varie selon les établissements, et peut aller jusqu’à quatre minutes », précise l’infirmière. Durant toute l’expérience, elle me parle, m’incite à marcher, à signaler tout signe de malaise. « Si ça ne va pas, on peut arrêter à tout moment. Il y a toujours un chariot d’urgences à proximité, avec du matériel à perfusion, un défibrillateur… même si on ne l’a jamais utilisé jusqu’à présent. » Un haut-parleur diffuse de la musique, afin de calmer l’anxiété. Grâce à un micro, un superviseur extérieur – infirmière ou aide-soignante – s’assure du bon déroulé du soin : « Si vous ressentez des céphalées ou des douleurs à la nuque, il faut sortir. » Il rythme aussi le temps, qui semble s’étirer au fil de la séance : « Plus qu’une minute… C’est bientôt terminé… Trois, deux, un… Vous pouvez sortir. » La sortie est un soulagement : si les deux premières minutes sont étonnamment faciles à supporter, la troisième est presque insoutenable. Ma peau a rougi, elle a l’air « gelée ». Le bout de mes doigts est tout blanc et le rétablissement de la circulation dans mes extrémités s’accompagne de picotements douloureux.
La chambre de cryothérapie corps entier (CCE) de la clinique de soins de suite et de réadaptation Clinalliance sport, à Villiers-sur-Orge (Essonne), a ouvert en juillet 2015. Elle reçoit déjà environ 60 à 70 patients par semaine. Contrairement aux cabines de cryothérapie à l’azote liquide proposées par certains instituts, dans lesquelles on s’immerge jusqu’aux épaules, l’ensemble des séances est ici réalisé sous haute surveillance médicale (lire encadré p. 31). Anaïs Largier, infirmière en orthopédie à Clinalliance depuis trois ans, s’occupe du suivi des séances depuis l’ouverture du service. « Nous étions plusieurs à nous porter volontaires, sourit-elle. C’est toujours intéressant de découvrir de nouvelles techniques, d’accroître nos connaissances. » Bien que cette spécialité soit relativement récente, elle présente de nombreuses perspectives thérapeutiques.
En effet, depuis quelques années, la cryothérapie a le vent en poupe et la liste des affections sur laquelle elle aurait un effet positif ne cesse de s’allonger. Si les bienfaits du froid sur le corps humain sont connus depuis l’Antiquité, le traitement médical consistant à placer le patient dans une pièce réfrigérée à – 110 °C pendant quelques minutes commence seulement à intéresser le corps médical français. « La cryothérapie s’est développée à partir de la fin des années 1970, principalement au Japon et en Allemagne, d’abord dans le but de soigner les rhumatismes, rapporte Jean-Jacques Randé, médecin du sport à Clinalliance sport. Ce n’est que dans les années 1990 et 2000 qu’on a commencé à l’utiliser dans le sport, notamment pour favoriser la récupération musculaire. » En 2009, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) s’est ainsi doté d’une chambre de CCE, suivi par d’autres institutions sportives telles que le Centre national du rugby, à Marcoussis (91), ou Roland-Garros. Depuis peu, des structures s’ouvrent aux sportifs autres que de haut-niveau, mais aussi aux personnes atteintes d’affections telles que la spondyl?arthrite ankylosante (inflammation chronique de la colonne vertébrale), la sciatique, le psoriasis, les maux de tête chroniques…
Même si l’efficacité de la cryothérapie sur ces pathologies n’est pas établie avec certitude – les études scientifiques sur le sujet étant encore trop rares – les médecins constatent des effets significatifs sur la douleur et les inflammations. « Lorsque l’on est exposé au froid, les capteurs de la peau sont sidérés, ce qui a un effet antalgique, détaille le Dr Randé. La plupart de nos patients viennent pour des séances de récupération et de réadaptation fonctionnelle posteffort, par exemple après un gros match ou un marathon. L’effet vasoconstricteur des très basses températures a également des vertus anti-inflammatoires locales, ce qui peut soulager les douleurs articulaires. On observe enfin des bienfaits pour les personnes atteintes de fibromyalgie ou de troubles du sommeil. » Malgré la multiplication des indications, en France, les chambres de CCE se comptent toujours sur les doigts de la main, et elles ne sont pas toutes ouvertes au grand public.
À Clinalliance, Anaïs Largier a rapidement été formée à l’utilisation de l’équipement par la société fabricante, avant d’être initiée par le Dr Randé aux spécificités de la médecine du sport et du traitement par le froid. « Je travaille aussi à l’hôpital de jour de la clinique Clinalliance, qui se trouve sur le même site. Et certains des patients utilisent la cryothérapie en complément de leurs séances de rééducation, explique-t-elle. Notamment ceux qui portent des prothèses de genou ou de hanche. Je surveille alors les séances de rééducation en suivant les indications du kinésithérapeute ou du médecin. Les patients parviennent à récupérer plus d’amplitude dans leurs mouvements lorsqu’ils effectuent leurs exercices dans la cabine, car ils sentent moins la douleur. » Des séances qui peuvent être proposées sur prescription médicale, notamment en médecine du sport et rhumatologie, et qui coûtent 40 € à l’unité ou 350 € les 10, non prises en charge par la Sécurité sociale.
Avant toute chose, l’infirmière fait remplir aux candidats à la CCE un questionnaire médical récapitulant, entre autres, les antécédents cardio-vasculaires et respiratoires. « Il existe des contre-indications telles que l’hypertension, car la séance fait temporairement monter la tension, précise-t-elle. Avec les médecins, nous avons établi un protocole suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé : le patient ne peut pas entrer dans la cabine si sa tension artérielle est supérieure à 16/10. Et si elle est supérieure à 18/11 après la séance, l’expérience ne sera pas renouvelée. Chaque établissement établit ses propres règles, mais ici, la sécurité est très poussée. Ce n’est pas un sauna. »
En effet, comme pour toute technique récente, le principe de précaution est de mise. Dans le cas de la cryothérapie, il est important de se prémunir contre tout risque hémorragique, voire d’allergie au froid. L’infirmière répond aux questions des patients. « Celle qui revient le plus souvent est “combien temps peut-on tenir avant de mourir ?”, assure-t-elle. Je leur réponds qu’on ne sait pas et qu’on ne fera pas le test ! » Elle vérifie ensuite que le patient porte une tenue appropriée – maillot de bain, chaussettes épaisses, gants, protège-oreilles, masques pour protéger les voies respiratoires – et récapitule les consignes de sécurité : ne pas fairede mouvement brusque, ne pas s’appuyer contre la rambarde (le contact cutané direct avec le froid n’est pas recommandé), ne pas cesser de marcher dans le sas… À l’issue de la séance, à peine le patient rhabillé, l’infirmière prend à nouveau sa tension artérielle. « On lui demande aussi son ressenti, afin de dresser une étude. Car on ne connaît pas encore tous les effets de la cryothérapie… » Pour l’instant, les témoignages recueillis par l’équipe sont encourageants. Cannelle, qui fréquente l’hôpital de jour après avoir subi une ligamentoplastie, se montre plutôt satisfaite de sa première semaine de soins. « Il n’y a pas que des bons côtés car pendant les séances, on a du mal à respirer et à bouger, prévient-elle. Mais quand je sors, je suis euphorique, détendue. Et l’œdème de mon genou a dégonflé. Par ailleurs, cela a atténué mon eczéma et je dors mieux. Je n’aurais jamais osé le faire sans accompagnement médical. La présence de l’infirmière est à la fois rassurante et motivante. Nous avons noué une relation de confiance. » « J’avais un peu d’appréhension au début, mais les paroles de l’infirmière, présente à chaque instant, m’ont rassurée, confirme Christine, une autre patiente traitée pour des rhumatismes. Après chaque séance, je me sens mieux. »
Une relation également importante pour la soignante. « En tant qu’infirmière, le plus intéressant, c’est le retour des patients, assure Anaïs Largier. Je peux constater des améliorations parmi ceux que je suis en hôpital de jour, par exemple un monsieur atteint d’arthrose cervicale qui, avant ses séances, ne pouvait plus tourner la tête. En postopératoire, ils récupèrent aussi plus rapidement. Souvent, ils ne veulent plus arrêter ! On doit alors les raisonner et leur expliquer qu’après dix séances, le corps doit se reposer. » Comme quoi, après avoir levé les appréhensions des candidats à la cryothérapie, il faut parfois refroidir leurs ardeurs…
De plus en plus d’instituts privés, voire de salons de beauté, proposent des cabines de cryothérapie, vantant les effets du froid pour lutter contre le vieillissement cutané ou la cellulite. Problème : ces salons ne fournissent pas l’encadrement médical nécessaire au bon déroulement des séances.
En effet, une exposition prolongée au froid peut altérer les fonctions respiratoire et cardiaque. Le patient peut ainsi tomber en hypothermie, ce qui peut entraîner la mort. En témoigne le récent décès d’une Américaine de 24 ans dans un salon de beauté de Las Vegas, après avoir passé plus de dix heures dans la cabine. Au-delà de ce genre d’accident, la liste des contre-indications est longue : asthme, hypertension, prise de médicaments qui dérégulent la température du corps, diabète… La vérification des antécédents et la présence d’un soignant tout au long de la séance sont donc indispensables.