INTERVIEW BRUNO FALISSARD PÉDOPSYCHIATRE, PROFESSEUR DE BIOSTATISTIQUE, DIRECTEUR DE L’ÉQUIPE INSERM U669 (SANTÉ MENTALE DE L’ADOLESCENT)
DOSSIER
Chargé par la direction générale de la Santé d’évaluer l’efficacité des pratiques de soins non conventionnelles
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Thérapies ou médecines non conventionnelles, complémentaires, alternatives, douces, naturelles : personne ne s’entend sur les termes et les définitions. Quels sont les vôtres ?
BRUNO FALISSARD : C’est vrai, la définition n’est pas claire. C’est d’ailleurs le premier problème qui s’est posé à nous lorsque nous avons été chargés d’évaluer les pratiques de soins non conventionnelles. Il y a un critère objectif : ce qui n’est pas conventionnel n’est pas remboursé. Mais l’ostéopathie commence à l’être. Le statut de la chiropratique est aussi difficile à cerner : en France, elle est considérée comme non conventionnelle, mais dans certains pays, comme aux États-Unis, cette méthode est considérée à l’égal de la kinésithérapie.
L’I. M. : L’hôpital et les professionnels de santé constatent un réel engouement pour ces pratiques. Pourquoi ?
B. F. : Nous n’avons pas de statistiques fiables sur le sujet, car la plupart de ces thérapies n’ont pas de diplôme unanimement reconnu, tout le monde peut s’installer d’une manière un peu sauvage. Mais c’est certain, ces pratiques ont du succès. Elles font leur lit sur une insatisfaction vis-à-vis de la médecine conventionnelle. Devenue hyper high-tech, cette dernière n’en est pour autant pas magique : pour chaque maladie, il existe des statistiques de mortalité. Difficile d’admettre cette froide réalité quand, dans le même temps, les médecins se soucient de moins en moins du corps et de l’esprit. Les thérapies complémentaires ont, elles, un discours autour du corps et du bien-être, qui attire. Certaines ont même une dimension spirituelle : l’équilibre entre le ying et yang, les traumatismes qui seraient à l’origine des maladies, etc.
L’I. M. : Quelle est votre méthodologie lorsque vous évaluez ces pratiques ?
B. F. : C’est déjà difficile d’évaluer l’efficacité d’un médicament. Alors évaluer des pratiques de soins non conventionnelles, hétérogènes, aux formations mal encadrées… Même l’acupuncture, qui est une pratique millénaire, est une théorie préscientifique : les méridiens n’existent pas, piquer sur le méridien ou à côté ne change rien. Pourtant, l’acupuncture est efficace pour certaines indications : parce que ses praticiens parlent aux patients, entrent dans leur imaginaire, parce qu’ils les touchent là où ils ont mal. Nous commençons toujours pas décrire la pratique, les formations existantes, et par évaluer le nombre de praticiens. Ensuite, nous cherchons à savoir si ces soins font du bien aux patients. Mais un placebo peut faire du bien. Dans la médecine occidentale, la seule question qui compte est de savoir si le soin ne relève pas du charlatanisme.
L’I. M. : Comment définir le charlatanisme ?
B. F. : Le charlatan refuse de se soumettre à l’expérimentation et à l’évaluation. Il va dire : « Nous, c’est autre chose. » J’admets qu’il ne puisse pas se soumettre à mes critères d’évaluation, je ne prétends pas avoir la vérité. Mais s’il refuse l’idée qu’il puisse y avoir des critères d’évaluation, il se met dans une position de charlatan. Le deuxième signe du charlatanisme, c’est la théorie fumeuse. Un soin qui repose sur des bases biologiques assez bien étayées est moins suspect qu’un soin qui repose sur l’astrologie. Mais ce n’est pas une règle d’airain : la psychanalyse ou les théories cognitivo-comportementales n’ont rien à voir avec la biologie, mais elles reposent sur des études et des théories fortes.
L’I. M. : Quand le charlatan devient-il un gourou ?
B. F. : Quand il y a une exclusivité : « Il n’y a que moi qui puisse vous soigner, il ne faut pas aller voir les autres. » Lorsque la médecine conventionnelle est mise à l’écart, c’est inacceptable. Pour moi, c’est un crime. Nous avons étudié la biologie totale des êtres vivants, une théorie folle de toute puissance de l’esprit sur le corps. Ses adeptes refusent toute évaluation. Mais surtout, ils rejettent la médecine conventionnelle. C’est une perte de chance pour les patients. Tout le monde peut être victime d’une dérive sectaire. Même des scientifiques, une fois patients, peuvent rompre avec la rationalité.
1- Huit soins ont déjà été étudiées : l’acupuncture, la mésothérapie, l’ostéopathie, la chiropraxie, l’hypnose, le thermalisme psychiatrique, la méditation, l’auriculothérapie et la biologie totale des êtres vivants.