L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

FORMATION

LA PATHOLOGIE

Dr Anne Auvrignon  

Chaque année, 140 cas de neuroblastome sont diagnostiqués en France. Troisième cause de cancer pédiatrique, cette tumeur rare nécessite une prise en charge pluridisciplinaire.

1. DESCRIPTION

Le neuroblastome est la plus fréquente des tumeurs solides de l’enfant et la troisième cause de cancer chez les enfants (10 % des affections malignes) après les hémopathies malignes et les tumeurs cérébrales. C’est une tumeur embryonnaire maligne qui peut se développer en n’importe quel point de l’organisme où existent des structures nerveuses sympathiques, c’est-à-dire tout le long du rachis et au niveau des glandes surrénales. Maladie rare avec 140 nouveaux cas par an en France, elle touche principalement les jeunes enfants : 90 % des patients ont moins de 6 ans au diagnostic et 30 % moins de 1 an. À noter que plus de 50 % des tumeurs du nouveau-né sont des neuroblastomes. Son pronostic a été amélioré, mais reste très sévère dans les formes métastatiques chez les enfants âgés de plus de 18 mois au diagnostic. Cette tumeur est aussi caractérisée par sa possibilité de maturation et parfois de régression spontanée. L’étiologie est inconnue mais il existe de rare syndromes de prédisposition (neurofibromatose de type 1, maladie de Hirschsprung, syndrome d’Ondine).

2. DIAGNOSTIC

Les signes cliniques initiaux dépendent principalement du site de la tumeur initiale, de sa taille et de l’existence ou non de métastases. 50 à 60 % des enfants présentent des métastases au diagnostic.

→ Le siège initial est abdominal dans 70 % des cas et le diagnostic est alors évoqué à la palpation d’une masse dure, bosselée, volumineuse qui peut être découverte à l’occasion d’un examen systématique, en raison de douleurs abdominales ou de l’existence de signes de compression digestive (arrêt du transit, vomissements…). Les tumeurs thoraciques (20 % des cas) sont aussi régulièrement découvertes de manière fortuite sur une radiographie, parfois en raison de signes respiratoires (toux trainante…).

→ Les tumeurs de siège pelvien (5 %) sont diagnostiquées sur des signes de compression vésicale ou rectale. Enfin, les tumeurs de siège cervical (5 %) sont visibles et peuvent être palpées comme des adénopathies.

→ Quelle que soit la localisation de la tumeur, il peut exister des signes neurologiques déficitaires si la tumeur pénètre par les trous de conjugaison dans le canal rachidien et comprime la moelle ou ses racines. On parle alors de neuroblastome en sablier.

→ Les enfants porteurs de métastases au diagnostic peuvent présenter une altération importante de l’état général avec des douleurs osseuses, une pâleur en rapport avec une anémie témoignant d’un envahissement de la moelle hématopoïétique, pouvant faire évoquer initialement un diagnostic de leucémie (première cause de cancer chez le jeune enfant).

Certains enfants présentent un tableau caractéristique au neuroblastome métastatique avec des ecchymoses périorbitaires avec exophtalmie en rapport avec les atteintes osseuses orbitaires (syndrome de Hutchinson). Le siège des lésions à distance peut être variable avec des atteintes médullaires, ganglionnaires (sus-claviculaires…), cutanées (nodules bleutés) ou encore hépatiques.

→ Il existe chez le nourrisson une forme particulière dite syndrome de Pepper avec hépatomégalie monstrueuse. Rarement, il peut exister des syndromes dits associés comme le syndrome catécholaminergique (flush, sueurs, HTA), le syndrome opso-myoclonique (syndrome cérébelleux, mouvements anormaux et ataxie oculaire) ou une diarrhée chronique sécrétoire par sécrétion de vasoactive intestinal peptid (vipome).

Examens multiples

Le diagnostic passe par la réalisation d’examens pour confirmer et connaître le stade de la maladie.

→ Les métabolites urinaires des catécholamines (HVA ou acide homovanylique, VMA ou acide vanylmandélique et dopamine) sont positives dans 90 % des cas. Un recueil d’urines sur 24 heures est souhaitable devant toute masse suspecte.

→ L’imagerie par échographie est informative au niveau abdominal. Elle est complétée par un scanner ou IRM qui permet de préciser le caractère solide de la masse – qu’il faut mesurer dans les trois dimensions –, et de rechercher des adénopathies régionales. On pourra aussi apprécier les relations avec les organes de voisinage et surtout les rapports avec les gros vaisseaux souvent intéressés par le processus tumoral. Une extension intrarachidienne doit être recherchée systématiquement.

→ Une scintigraphie à la MIBG (méthyl-iodo-benzyl guanidine) doit être demandée ; en effet, en raison de leur équipement biochimique de cellules adrénergiques, les neuroblastes peuvent incorporer de faux précurseurs de la synthèse des catécholamines, tels que la MIBG que l’on peut marquer à l’iode radioactif. Cette scintigraphie révèle une fixation aussi bien sur la tumeur primitive que sur les métastases osseuses. Si elle s’avère négative (sur la masse et les lésions à distance), une scintigraphie osseuse au technétium peut permettre la localisation des métastases osseuses. Les myélogrammes et biopsies ostéo-medullaires permettent de confirmer l’existence d’une atteinte médullaire. L’ensemble de ce bilan permet de classer les neuroblastomes en différents stades, de 1 à 4 et 4s. Les stades 1, 2 et 3 correspondent aux formes localisées alors que le stade 4 correspond aux formes métastatiques. Le stade 4s se caractérise par la présence chez un nourrisson de métastases hépatiques et cutanées souvent importantes. Cette forme tumorale, assez particulière, régresse dans la grande majorité des cas, soit spontanément, soit suite à une chimiothérapie peu agressive.

→ La biopsie de la masse primitive est devenue indispensable pour confirmer le diagnostic anatomo-pathologique et réunir avant traitement des éléments biologiques de pronostic au niveau de la tumeur : recherche d’une amplification d’un oncogène de mauvais pronostic (N-myc), ploïdie des cellules tumorales (contenu en ADN) et recherche d’une délétion du bras court du chromosome 1 (1p).

Le diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel varie selon le site initial. Ainsi pour les tumeurs abdominales, il se fera avec les autres tumeurs rétropéritonéales, en particulier le néphroblastome, l’hépatoblastome ou encore les tumeurs germinales malignes.

Pour toutes les localisations, on pourra être amené à évoquer les autres tumeurs neurogènes, notamment situées dans le médiastin postérieur à l’étage thoracique : neurofibrome (maladie de Reckling?hausen) ou encore le ganglioneurome.

3. LES TRAITEMENTS

Les traitements sont principalement basés sur une association de chimiothérapie, chirurgie et radiothérapie. La chirurgie peut être indiquée dès le diagnostic si l’exérèse complète est possible au prix d’un minimum de risque et de séquelle dans les formes localisées. Sinon, et dans les formes métastatiques, elle a lieu après une phase de polychimiothérapie de réduction tumorale.

→ Le neuroblastome est une tumeur très chimio-sensible. Les principaux effets de la chimiothérapie sont de permettre une réduction tumorale pré-opératoire, de traiter les métastases et les éventuelles cellules tumorales résiduelles. Les principales drogues utilisées sont la vincristine, le cyclophosphamide, l’adriblastine, le platine, le vépéside. L’administration se fera soit sous forme de chimiothérapie conventionnelle (polychimiothérapie administrée tous les 10 jours à 3 semaines) ou sous forme de chimiothérapie lourde avec autogreffe de cellules souches périphériques dans les formes les plus graves (formes métastatiques ou avec amplification de N-Myc). Le neuroblastome est aussi radio sensible, mais l’âge des enfants et la localisation de certaines tumeurs nécessitent de la discuter au cas par cas. Les facteurs biologiques sont aujourd’hui déterminants dans l’indication d’une radiothérapie pour les tumeurs localisées. Selon le type de tumeur, la vitamine A à forte dose peut être proposée en traitement d’entretien en raison de son effet « maturant ». De même, des anticorps monoclonaux (anti-GD2 dans les formes métastatiques en particulier) ou des médicaments immuno-mudulateurs (interleukine II) sont en cours d’évaluation.

→ L’évolution de la génétique moléculaire permet de mieux connaitre les anomalies en jeu dans le développement du neuroblastome. Pour exemple, on sait que l’altération du gène ALK est un événement fondateur du développement de certains neuroblastomes, ce qui en fait un candidat pour une thérapie ciblée. Des essais pour évaluer l’efficacité du crizotinib (médicament dont la cible est ALK), sont en cours.

→ La durée totale des traitements est donc variable et s’étend de quelques semaines pour les formes localisées opérées d’emblée à près de un an pour les formes métastatiques.

4. LE PRONOSTIC

L’une des premières questions posées par les familles à l’annonce d’un diagnostic de neuroblastome est celle du pronostic. Il dépend du stade d’extension, de l’âge avec un pronostic bon chez les enfants de moins de 18 mois (l’âge initialement retenu comme pronostic a été rehaussé de 12 mois à 18 mois), de l’existence de métastases et des facteurs biologiques évalués au diagnostic. Ainsi les taux de guérison sont respectivement de 70 à 90 % pour les formes localisées, 70 % pour les formes métastatiques chez les moins de un an mais de 30 % pour les formes métastatiques de plus de un an. Le neuroblastome, maladie rare et très polymorphe, reste donc une tumeur grave justifiant une prise en charge pluridisciplinaire dans un centre spécialisé, mais aussi la poursuite d’une recherche pour une amélioration du pronostic. L’espoir repose aujourd’hui sur l’arrivée de thérapeutiques dites ciblées avec plusieurs molécules en cours d’évaluation.

COMPLICATIONS

LA MALADIE VEINO-OCCLUSIVE HÉPATHIQUE

La maladie veino-occlusive hépatique (MVO) ou syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS) est une atteinte des cellules endothéliales sinusoïdales d’origine toxique, entraînant une obstruction des petites veines hépatiques. La prévalence est faible.

→ Plusieurs médicaments utilisés en oncologie peuvent en être la cause, mais c’est lors du conditionnement pour greffe de cellules souches hématopoïétiques que le risque est plus important (10 à 60 % des patients selon le type de conditionnement). Le SOS apparaît dans les 20 à 80 jours suivant le conditionnement. La maladie peut également survenir à la suite d’une radiothérapie.

→ Le SOS est caractérisé par une hépatomégalie douloureuse, un ictère et une rétention hydrosaline se traduisant par une prise de poids, un œdème et une ascite. Une insuffisance hépatique se manifestant par une coagulopathie (baisse des facteurs de coagulation comme le V, consommation des plaquettes avec thrombopénie profonde) avec un risque d’encéphalopathie hépatique en cas de non contrôle. L’insuffisance rénale fonctionnelle est fréquente.

→ L’IDE doit alors surveiller : la douleur au niveau du foie, l’hépatomégalie, la couleur de la conjonctive, la présence d’œdèmes, les pétéchies, le poids du patient et les troubles du comportement/attention.

→ Les formes les plus graves sont associées à une défaillance multiviscérale et à des infections bactériennes sévères. Des lésions dans les cellules endothéliales sinusoïdales hépatiques seraient à l’origine de la maladie entraînant secondairement une obstruction non thrombotique des veines hépatiques par épaississement concentrique sous-endothélial fait d’œdème puis de fibrose lâche.

→ Le diagnostic repose sur l’association du contexte, d’une hépatomégalie, d’un ictère et d’une prise de poids, alors que les autres causes ont été exclues. L’échographie doppler du foie oriente le diagnostic, mais une biopsie hépatique peut-être nécessaire en cas de doute.

→ Parmi les diagnostics différentiels, on retrouve les causes de maladies aiguës ou chroniques du foie, et, dans le contexte de la greffe de cellules souches allogénique, la maladie du greffon contre l’hôte et les infections sévères.

Aucune prise en charge spécifique n’a fait la preuve de son efficacité. L’Ursolvan est utilisé en prophylaxie dans le contexte de greffe pendant plusieurs semaines. Le defibrotide est aussi utilisé (en prophylaxie ou en curatif) mais son coût doit bien faire peser les indications. Les cas sévères de la maladie sont de mauvais pronostic avec une mortalité élevée par défaillance multiviscérale.