Depuis 2012, près de 75 000 nouvelles IDE ont grossi les rangs de la profession, qui comptait 638 248 âmes au 1er janvier dernier. La pénurie de personnels n’est plus qu’un mauvais souvenir et pourtant, les quotas de formation restent au plus haut.
Le scénario tendanciel reposait sur des comportements constants au sein de la profession. Nous avions envisagé trois autres hypothèses : une variation des quotas de formation ; les effets de la réforme des retraites de 2010 ; et ceux de la réforme statutaire des IDE de la fonction publique hospitalière (FPH). Mais il était difficile de présager du résultat du droit d’option… On se rend compte aujourd’hui que nos projections sont un peu en deça de la réalité. L’augmentation de la population infirmière a été plus dynamique que prévu. Pour les scénarios combinant réforme des retraites et réforme statutaire, la croissance des effectifs d’IDE a été évaluée à 9 % entre 2010 et 2015, contre 17 % en réalité. Les quotas de formation sont restés stables, mais l’écart entre le nombre de places ouvertes et le nombre de diplômés trois ans après s’est réduit de 28 % en 2008 à 16 % depuis 2012. De plus, les réformes ont eu des effets plus forts que ceux attendus.
À l’époque, nous constations un vieillissement de la profession. La part des IDE de plus de 50 ans était en hausse : 18 % en 1999, 22 % en 2006. Les deux réformes de 2010 ont contribué à reculer l’âge de départ à la retraite. En 2013, à la suite de la réforme statutaire, il y avait déjà 68 % des IDE en catégorie A
Nos dernières prévisions, qui sont plutôt en deçà de la réalité, laissent présager une poursuite de la hausse des effectifs infirmiers jusqu’en 2030. Rapporté à la population des personnes âgées de plus de 70 ans, le nombre d’IDE devrait fléchir, mais plus tardivement que ce que nous projetions en 2011.
On a expertisé les sources de données en comparant le répertoire Adeli, l’Enquête emploi de l’Insee et le recensement de population de 2006. Aucune des trois n’est parfaite. Si un certain nombre d’IDE ne déclarent pas leur cessation d’activité sur Adeli, les nouvelles diplômées tardent, elles, à s’inscrire. Dans l’ensemble, ça s’équilibre. L’incertitude sur le nombre d’IDE est de l’ordre de 3 %. Mais ce n’est pas parce que le niveau n’est pas extrêmement précis que les tendances ne sont pas bonnes.
Il y a une dizaine d’années, il était acquis qu’une IDE n’aurait jamais de difficulté à trouver un emploi. La tendance s’est inversée en 2012-2013. Il faut relativiser : il n’y a pas 10 % de chômage ; globalement, toutes les IDE trouvent du travail. Mais aujourd’hui, dans les régions attractives (Bretagne, Aquitaine, Pays-de-la-Loire, Paca et les grandes agglomérations - à l’exception de la région parisienne), il y a une précarisation en début de carrière : on multiplie les CDD, on a du mal à être stagiairisé dans la FPH, on prend les postes qu’on nous donne - et ce n’est pas forcément la réa ou les urgences. On assiste à un certain chantage des RH, parfois : si on veut être stagiairisé rapidement, il faut accepter les postes que personne ne veut, comme le pôle. Il y a un déséquilibre dans les appétences des étudiants et le marché de l’emploi. On a du mal à valoriser l’exercice hors MCO. En gériatrie et en psychiatrie pourtant, c’est là où le rôle infirmier prend tout son sens.
On ne remplit même pas les quotas : en première année, 8 % des places sont vacantes. Et il y a 20 % d’abandon en cours de formation ; ces personnes ont été mal orientées, elles ne trouvent pas dans ces études ce qu’elles avaient projeté, ce que la population générale se représente… Ce n’est pas Grey’s Anatomy. Et alors qu’il y a un fort taux de chômage chez les jeunes, dire qu’être IDE, c’est avoir la sécurité de l’emploi, ça crée une fausse attractivité. Je ne pense pas qu’on puisse faire ce métier par hasard, mais c’est un argument pour aller vers cette profession de santé plutôt qu’une autre, moins évidente, comme psychomotricien. Pour nous, à la Fnesi, il faut en finir avec les concours et les quotas : on ne peut pas réguler le nombre d’IDE et leur répartition par la formation, car cela part du postulat que chacune va exercer toute sa carrière dans un secteur, un territoire particulier. Or, on n’est pas capable de prévoir ce que fera une IDE, quel type d’exercice elle choisira, où elle s’implantera, combien de temps elle exercera.
Lors de la Grande conférence de santé, tous les professionnels étaient d’accord pour dire que les systèmes de concours, de quotas ou de numerus clausus sont inefficaces et n’ont pas de sens dans un espace européen ouvert. Mais on n’arrive pas à trouver une autre solution. Une année propédeutique ne ferait que rallonger les études ; la régulation à la sortie de la formation est compliquée… Il faudrait déjà réaliser un exercice de prospective pour savoir ce qu’il se passerait si on ouvrait les formations de santé. On ne sait même pas combien de personnes passent le concours d’entrée en Ifsi. Il y a 150 000 inscriptions pour 30 000 places, mais cela inclut tous les doublons. On sait que les étudiants passent entre trois et cinq concours… Nous pensons qu’il y aurait autant de diplômés sans quotas. Mais l’État ne veut pas déréguler ; d’autant plus que la Cour des comptes a pointé la forte progression des soins infirmiers et kinés libéraux. Or, on sait que ce n’est pas l’offre qui crée la demande.
1 - De facto, la part des infirmières en catégorie A n’aura de cesse d’augmenter puisque désormais, toutes les nouvelles diplomées sont intégrées à ce corps et travailleront donc plus longtemps.
ADJOINTE À LA SOUS-DIRECTRICE DE L’OBSERVATION DE LA SANTÉ ET DE L’ASSURANCE MALADIE (DREES)
→ 2005 : chargée d’études à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
→ 2009 : adjointe au chef du bureau des professions de santé à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)
PRÉSIDENTE DE LA FNESI
→ Septembre 2013 : intègre l’Ifsi de Vannes (Morbihan)
→ Novembre 2013 : chargée de mission communication à la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi)
→ Mai 2015 : élue présidente de la Fnesi
→ Étudiants. En 2014, la Drees recensait 90 976 étudiants inscrits dans les 328 Ifsi, contre 38 818 en 1987. Les quotas ont été fortement relevés au début des années 2000 pour faire face aux besoins générés par les départs à la retraite et le passage aux 35 heures à l’hôpital. Ils se sont stabilisés autour de 30 000 places ces dernières années.
→ Quotas. Depuis 1983, un arrêté fixe annuellement le nombre d’étudiants à admettre en première année d’Ifsi et la répartition régionale des places. La DGOS consulte les ARS et les conseils régionaux sur les besoins identifiés localement. Dans son rapport 2015 sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes juge que « la définition des quotas s’inscrit d’abord dans une logique de saturation des capacités de formation locales » et déplore qu’elle ne fasse pas l’objet d’une politique active de régulation.
→ Emploi. Les statistiques disponibles sur le site de Pôle emploi montrent une baisse régulière du nombre de projets de recrutement d’IDE (hors postes saisonniers) ces dernières années : 15 09 en 2015, contre 23 500 en 2012. À la réforme des retraites, s’ajoutent les restrictions budgétaires.