Souvent confondue avec les escarres de stade 1 ou 2, la dermatite associée à l’incontinence entraîne chez la personne âgée des conséquences graves en terme de santé et nécessite une prise en charge adaptée.
La dermatite associée à l’incontinence (DAI)(2) représente un réél problème de santé et constitue un facteur de risque important de développement des escarres. Cette affection cutanée, qui touche plus volontiers les sujets âgés, est pourtant mal connue par les médecins et les soignants. En outre, les pratiques de prévention et de prise en charge ne sont pas standardisées. Autant de raisons qui ont conduit la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC) à lui consacrer sa nouvelle enquête Vulnus (lire p. 34). En attendant, la DAI relève de la responsabilité soignante, avec une prise en charge où AS et IDE sont en première ligne.
La DAI est un type de dermatite irritative de contact (inflammation de la peau) que l’on observe chez des patients présentant une incontinence urinaire et/ou fécal(3). Les patients peuvent ressentir gêne, douleur, brûlures, démangeaisons ou picotements dans les zones atteintes. Une douleur peut être présente même lorsque l’épiderme est intact. En outre, le développement d’une DAI peut augmenter la charge en soins, entraîner une perte d’autonomie, une perturbation des activités et/ou du sommeil et une diminution de la qualité de vie des patients(4, 5). Dans la DAI, la répartition de la peau atteinte est variable et peut s’étendre bien au-delà du périnée (la région entre l’anus et la vulve ou le scrotum) selon l’étendue du contact de la peau avec l’urine et/ou les selles(3). La DAI représente une perturbation de la fonction barrière normale de la peau, qui déclenche une inflammation. Les principaux mécanismes impliqués sont la surhydratation de la peau et une augmen – tation du pH(3, 6, 7).
→ Lorsque la peau est surhydratée par les urines et les selles, sa couche cornée est gonflée, inflammée et sujette aux ruptures(8). Elle devient plus alcaline, car les bactéries qui s’y trouvent transforment l’urée en ammoniaque qui augmente le pH. De plus, les selles contenant des enzymes protéolytiques et lipolytiques, majorent la production d’ammoniaque et augmentent davantage le pH. Plus le pH est élevé, plus les enzymes sont actives, de sorte que le risque d’altération de la peau est accru. Cela pourrait expliquer pourquoi l’association de l’urine et des selles est plus irritante pour la peau que l’urine ou les selles seules(9).
→ Une prise en charge médiocre ou inappropriée de l’incontinence peut également contribuer au développement de la DAI :
– changes insuffisants ;
– dispositifs absorbants de mauvaise qualité, provoquant une surhydratation de la peau(6) ;
– produits occlusifs déposés sur la peau entravant le u rôle des protections absorbantes(10) nettoyages trop fréquents et trop agressifs, soit par les techniques ou les produits utilisés, altérant la fonction « barrière » de la peau (7, 11).
La prévention de la DAI doit être destinée à tous les patients incontinents, afin de leur éviter des complications cutanées. Elle implique d’identifier les causes de cette incontinence urinaire et/ou fécale. Sa prise en charge nécessite une évaluation complète du patient afin d’établir un programme de soins exhaustif. Le traitement des causes réversibles débute habituellement avec des interventions comportementales non invasives telles que la gestion de la nutrition et des liquides ou les techniques de toilette(17, 18). On pourra aussi envisager de réduire l’incontinence par des sondages intermittents, des poses d’appareillages pour la continence urinaire ou la diminution des diurétiques si cela est envisageable. S’agissant de l’incontinence fécale, on agira sur le régime alimentaire et l’on pourra aussi poser un dispositif anal temporaire pour juguler les épisodes diarrhéiques.
La mise en place d’un protocole structuré de soins intégrant un nettoyage doux et l’utilisation de protecteurs cutanés, réduit l’incidence de la DAI(7) et permet une diminution de la survenue d’escarre (12, 19). Une fois la DAI constituée, l’application d’un traitement adapté devra permettre l’amélioration de l’état de la peau sous 2 jours et une guérison totale sous 1 à 2 semaines. Dans le cas contraire il importe de prendre l’avis d’un dermatologue et de s’interroger sur le traitement des causes de l’incontinence.
→ Nettoyer. Un nettoyant pour la peau doté d’un pH similaire à celui de la peau normale : savon ou lingettes(8). Un équilibre doit être trouvé entre l’élimination des agents irritants dus à l’incontinence et la prévention ou la minimisation de l’irritation au travers du nettoyage
→ Protéger. Placer une « barrière » sur la peau afin d’empêcher le contact direct avec l’urine et/ou les selles : changes, films contenant un polymère à base d’acrylate dissous dans un solvant, crèmes avec un ingrédient type vaseline, oxyde de zinc, diméthicone, pâtes à base de carboxyméthylcellulose (7, 10, 20, 21, 22, 23).
→ Réparer selon l’importance des lésions. Les patients peuvent bénéficier entre autres de certains produits de soins cutanés, formulés avec des lipides similaires à ceux présents dans une couche cornée saine (par exemple des céramides) et sont destinés à réduire la sécheresse et à rétablir la matrice lipidique(24).
Pour certains cas sévères dans lesquels une perte de tissu cutané est présente (érosions suintantes, dénudement), les pansements qui favorisent la cicatrisation en milieu humide peuvent être utilisés. Cependant, la réussite de leur application peut être considérablement compliquée par les contours de la peau, tels que les plis et les sillons et par la présence d’une humidité et de souillures fréquentes ou continues.
Lorsqu’un patient présente une incontinence urinaire et/ou fécale, il importe d’évaluer les causes réversibles, le type et la fréquence de l’incontinence et les autres facteurs de risque. L’inspection de la peau doit être rigoureuse afin de déceler des signes de DAI et pouvoir procéder à un diagnostic différentiel en ayant à l’esprit la vulnérabilité du patient face à la survenue d’escarres. Il ne faut pas hésiter à se référer à l’avis d’un spécialiste si aucune amélioration n’est observée dans les 3 à 5 jours suivant la mise en place des protocoles structurés de soins, ceci afin de dépister une infection cutanée ou autre pathologie dermatologique. La prévention de la DAI passe obligatoirement par la connaissance qu’en ont les soignants et les moyens qu’ils utilisent pour dépister et prendre en charge les causes possibles de leur survenue. La formation est donc incontournable et doit être intégrée dans les programmes initiaux des études d’aidesoignante et d’infirmière, tout comme elle doit être proposée en formation continue. La dermite associée à l’incontinence représente un problème complexe et un défi pour les professionnels de la santé.
Sous la direction du Geracfas et sa société savante : G. Hue, vice-présidente chargée de la société savante ; C. Debout, Inf, PhD, conseiller en méthodologie ; J. niaux, présidente
La DAI se présente au début comme un érythème qui peut avoir un aspect rose à rouge 1 et 2. Les zones affectées ont généralement des bords mal délimités et les lésions peuvent être parcellaires ou continues sur des régions étendues. On peut observer des lésions incluant des vésicules ou bulles, des papules ou des pustules.
L’épiderme peut être lésé jusqu’à des profondeurs variées ; dans certains cas, il peut être érodé, exposant un derme humide et suintant 3.
Certaines DAI peuvent présenter une lichénification (épaississement de la peau) 4.
À un stade avancé, on peut observer des zones de nécrose qui peuvent faire penser à une escarre 5.
À savoir : les DAI sont sensibles aux infections cutanées secondaires, la candidose étant la plus fréquemment associée.
L’incontinence est l’un des facteurs de risque de survenue des escarres(12, 13). DAI et escarres sont aussi plus susceptibles d’apparaître chez des patients en mauvaise santé et présentant des problèmes de mobilité(6, 14). Quand une DAI survient, il importe d’être vigilant, car la survenue d’escarre est alors plus fréquente(15). Les patients à mobilité réduite, peuvent être vulnérables aux altérations de la peau, dues à la pression et au cisaillement et résultant de l’humidité, du frottement et des substances irritantes(16). La difficulté de distinction de ces deux affections, réside dans le fait que ces lésions peuvent survenir aux mêmes emplacements ou tout près les unes des autres. L’incontinence est un facteur de risque d’escarres, mais une DAI peut apparaître en l’absence de tout autre facteur de risque associé aux escarres et inversement. L’observation clinique et l’inspection visuelle permettent de définir l’affection présente.
→ L’aide-soignante travaille en collaboration et sous la responsabilité de l’infirmière. Elle intervient au quotidien auprès de la personne pour les soins liés à l’hygiène et à l’élimination. Lors de ces soins, l’AS est particulièrement vigilante aux altérations de l’état cutané. Grâce à son observation clinique précise et ses connaissances, des transmissions fiables et complètes, elle permet à l’infirmière de poser un diagnostic infirmier précis.
→ Le référentiel de formation aide-soignant actuel prévoit l’enseignement des soins préventifs des escarres. Afin de s’inscrire dans la prévention et les soins aux personnes présentant une DAI, les enseignements s’y rapportant doivent être envisagés.
→ L’eczéma
Les lésions se manifestent comme une éruption érythématovésiculeuse, prurigineuse d’évolution croûteuse ou érosive, à bords « émiettés » 1.
→ Le psoriasis
Le plus souvent, il s’agit d’une forme « sèche » classique sur les convexités (plus exposées aux frottements/ effet Köbner), non prurigineuse avec des lésions érythémato-squameuses aux limites souvent assez nettes 2.
→ La surinfection mycosique
C’est une complication assez fréquente de survenue rapide, se présentant sous forme d’un érythème pustuleux à bords « émiettés » avec parfois évolution desquamative fine 3.
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