Méconnue, l’artérite des membres inférieurs est une maladie fréquente, mais largement sous diagnostiquée. L’infirmière est en première ligne pour repérer et éduquer les patients.
L’artérite des membres inférieurs, appelée artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), concerne près de 2 millions de personnes (environ 3 % de la population). Or, seules 800 000 sont prises en charge(1). Chez le diabétique, le risque d’artérite est de 2 à 5 fois supérieur, ce qui augmente le risque d’amputation. De 5 à 10 % des diabétiques de type 2 seront un jour amputés d’un orteil ou de la jambe(2)(3).
• L’AOMI correspond à une obstruction progressive des artères des membres inférieurs par des plaques d’athérome. Elle est caractérisée par une diminution de l’arrivée de sang artériel dans les membres inférieurs.
• Elle entraîne un rétrécissement (sténose) ou une obstruction (thrombose) de la lumière artérielle sur des longueurs plus ou moins importantes, réduisant la circulation du sang dans ce vaisseau.
• Cette maladie systémique peut toucher toutes les artères de l’organisme. Un patient porteur d’une AOMI risque ainsi une complication dans un autre territoire artériel : le cœur (infarctus du myocarde), le cerveau (AVC), ou apparition d’une insuffisance rénale(4).
• Les facteurs de risque cardiovasculaire sont : le tabac, l’HTA, l’augmentation du taux de cholestérol, le diabète, la sédentarité, l’excès de poids.
• On distingue quatre stades évolutifs de l’AOMI, selon la classification de Leriche et Fontaine(5).
• Stade 1 : asymptomatique (mais abolition d’un ou plusieurs pouls).
• Stade 2 : ischémie d’effort responsable d’une claudication intermittente ; une crampe au mollet apparaît obligeant l’arrêt et disparaît quelques minutes après l’arrêt de l’effort. Le périmètre de marche peut être plus ou moins réduit en fonction de la gravité de l’artérite.
• Stade 3 : ischémie permanente responsable de douleurs de décubitus. Le manque d’apport sanguin peut être tel qu’il est responsable d’une douleur permanente, même au repos, surtout en 2e partie de nuit avec des douleurs dans les orteils. En effet, lorsque les membres inférieurs sont allongés, le sang a plus de mal à aller jusqu’aux pieds, obligeant le malade à se lever la nuit ou à dormir jambes pendantes pour atténuer les souffrances.
• Stade 4 : troubles trophiques : ulcération et/ou nécrose tissulaire.
Les stades 3 et 4 font partie de l’ischémie critique nécessitant un geste de revascularisation dans des délais brefs. Cette classification simple et pragmatique appelle plusieurs critiques et tend à être remplacée par celle proposée par l’HAS 2007 : stade d’ischémie d’effort compensée ou non, et stade d’ischémie permanente ou critique.
• Le premier examen est clinique. Il consiste à rechercher et détecter les pouls fémoraux, poplités, pédieux et tibiaux postérieurs. Leur absence est révélatrice. L’examen de la peau, des phanères et de la plaie apporte des arguments complémentaires en faveur d’une artérite?: peau fine, luisante, dépilée, plaie située sur des zones de frottement (parties latérales et dorsale du pied), aspect nécrotique(6).
• C’est l’écho-doppler artériel qui permettra d’établir un diagnostic ferme. Associé à la mesure de la tension, il permet de déterminer l’index de pression systolique (IPS), soit le rapport de la pression artérielle systolique à la cheville sur la pression systolique humérale. Cette mesure simple est faite à l’aide d’un appareil à pression artérielle, et est très utile pour dépister et suivre une AOMI. Dans des stades évolués, cette mesure n’est pas fiable, car les artères sont souvent calcifiées chez le patient diabétique. Il est normal quand il est supérieur à 0,9 ; traduit une artérite moyenne quand il est compris entre 0,6 et 0,9 ; et une artérite sévère quand il est inférieur à 0,6(7).
• On peut compléter cette mesure par celle de la TcPO2 (mesure transcutanée de la pression partielle d’oxygène) : nécessité d’une revascularisation si elle est inferieure à 30 mmHg, et évolution favorable si elle est supérieure à 45 mmHg.
• En cas de symptômes invalidants, un angioscanner et un angio IRM sont préconisés pour préciser le siège et l’étendue des lésions artérielles. Dans certains cas, une artériographie avec une injection directe de produit de contraste dans l’artère fémorale est nécessaire. Elle doit être réservée aux patients chez qui l’indication d’un ges?te de revascularisation a été posée.
• Un traitement adapté à chaque cas doit être mis en place. Il peut s’agir d’un contrôle des facteurs de risque, d’une rééducation à la marche ou d’un traitement médical (anti-agrégant plaquettaire, statine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion) dans le cas d’une AOMI asymptomatique ou peu symptomatique (8).
• Un traitement endovasculaire et/ou chirurgical peut être associé, en fonction de la localisation et de l’étendue des lésions. Il peut s’agir d’une dilatation (avec ou sans pose de stent) ou angioplastie, d’un pontage qui correspond à une dérivation ou d’une endartériectomie (désobstruction).
• Les AOMI sont considérées comme de mauvais pronostics chez les diabé?tiques, car volontiers attribuées à une atteinte très distale inaccessible à une revascularisation par chirurgie ou technique endovasculaire(9).
• Rôle de l’infirmière : devant toute ulcération du pied chez un diabétique, il faut impérativement rechercher une artérite. C’est un facteur de gravité imposant l’hospitalisation et une prise en charge spécifique dans laquelle l’infirmière a toute sa place. Une IDE doit savoir reconnaître une plaie artéritique : c’est une plaie parfois douloureuse s’il n’y a pas de neuropathie associée, à bords réguliers, creusante, nécrotique, parfois inflammatoire et qui peut s’infecter rapidement, localisée sur le bord du pied ou au niveau de la jambe.
• La prévention primaire est essentielle, ainsi que la prévention secondaire afin d’éviter la récidive.
• L’antécédent d’ulcération du pied est fortement corrélé à l’apparition d’une nouvelle ulcération avec, à nouveau, le risque d’amputation. Une prévention secondaire est indispensable : éducation à un changement de comportement, soins de pédicurie réguliers et adaptés, éducation à un chaussage adapté, voire recours à des chaussures orthopédiques. Chaque consultation d’un patient artéritique doit comporter un examen des pieds et des chaussures, ainsi qu’un vérification attentive de la formation du patient à la prévention(10). Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (2006), le traitement de l’AOMI est principalement « la prise en charge active des facteurs de risque cardiovasculaires? ». Pour cela, une éducation thérapeutique structurée est recommandée(11), dispensée par une équipe pluridisciplinaire (médecin traitant, diabétologue, radiologue, chirurgien vasculaire, cardiologue, IDE, diététicienne, pédicure podologue, centre d’évaluation et de traitement de la douleur, professeur en activité physique adaptée…).
• Le patient doit être actif et non passif dans cette relation d’éducation. Une évaluation doit être faite régulièrement et les messages répétés par tous les acteurs de santé impliqués(12).
• En cas de plaie du pied, une prise en charge précoce et adaptée est impérative afin de favoriser une cicatrisation rapide et éviter infection, amputation…
• Si la situation s’améliore lentement, de nombreux efforts restent à faire pour éviter des situations dramatiques et améliorer la santé et la qualité de vie des patients(13).
Références des notes (1) à (14), p. 35.
→ Dans les plaies ischémiques, la détersion devra être particulièrement prudente voire contre indiquée, sauf en cas de nécrose sous tension inflammatoire et douloureuse(14). Il n’y a pas d’urgence chirurgicale en l’absence de surinfection locale imposant d’intervenir sur les zones ischémiques et l’on prend même le risque de voir s’étendre la nécrose en zone saine.
→ On tente de transformer une nécrose humide en nécrose sèche, chaque fois que cela est possible, pour aboutir à un phénomène de momification et d’auto amputation d’un ou plusieurs orteils. La nécrose est tamponnée d’un produit asséchant (fluorescéine à 1 %, polyvidone iodée dermique…) et entourée d’une compresse sèche(14), si suintement utiliser un alginate. Il n’existe cependant pas de consensus à ce sujet.
→ Si la plaie est douloureuse, il faut prévoir un traitement antalgique local type Lidocaïne, Emla et/ou Méopa (Kalinox), et parfois associé à un antalgique per os.
→ Ne jamais mettre de sparadrap directement sur la peau mais sur la bande. Décharger la plaie (alitement, cannes, béquilles, chaussures de décharge…). Arrêt de toute compression médicale.
→ À retenir : devant une plaie sur un terrain artéritique, le bilan vasculaire est indispensable aux décisions thérapeutiques.