L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

NOUVEAUTÉS THÉRAPEUTIQUES

ACTUALITÉS

À LA UNE

HÉLÈNE COLAU  

Découvertes scientifiques, évolution des prises en charge, mais aussi nouveaux produits : les connaissances en matière de cicatrisation ne cessent de progresser. le point sur les dernières avancées.

À la recherche de la bonne combinaison

Aucune thérapie ne garantit aujourd’hui une cicatrisation optimale. Pourquoi alors ne pas associer plusieurs techniques afin d’exploiter les bénéfices de chacune ? Une équipe de chercheurs(1) de la Shiraz University (Iran) a ainsi testé une thérapie combinant dans un même temps irrigation, pression négative et oxygénothérapie. Résultat : au bout de trois jours, le taux de fermeture des plaies dans le groupe traité s’élevait à 30,1 %, contre 3 % seulement dans le groupe témoin. Un pro tocole qui pourrait être particulièrement intéressant pour les plaies à cicatrisation lente et difficile.

Association de techniques

Les thérapies combinées offrent de nouvelles perspectives à des méthodes déjà anciennes, telle que l’oxygénothérapie hyperbare (OTH). Ce traitement, utilisé pour les plaies à retard de cicatrisation ne répondant pas bien aux autres options thérapeutiques, consiste à faire respirer aux personnes de l’oxygène pur dans une chambre spéciale, le caisson hyperbare (lire p. 12). Il est particulièrement indiqué pour les infections graves des parties molles, les plaies post-radiothérapie, le pied diabétique, les ulcères artériels hyperalgiques… « La nouveauté, c’est qu’on associe de plus en plus l’OTH aux nouvelles thérapies, telles que la thérapie par pression négative (TPN), ce qui n’était pas possible auparavant pour des raisons techniques, indique Erika Parmentier-Decrucq, médecin hyperbariste au CHRU de Lille. Notre souci, à présent, c’est que les autres professionnels de santé pensent à nous envoyer leurs patients : l’OTH accélère vraiment la cicatrisation et elle peut aussi être pratiquée en hôpital de jour. » En effet, les soignants connaissent parfois mal cette technique ancienne, qui bénéficie pourtant ces dernières années de progrès techniques. À l’image de L’Epiflo, qui diffuse l’oxygène directement sur la plaie plutôt que via la circulation sanguine. Une étude menée à l’Institut Curie (Paris) et au CHU de Reims a constaté son effet positif sur la douleur ainsi que sur la cicatrisation, avec le développement d’un tissu de bourgeonnement de qualité. « Il pourrait être une alternative intéressante dans les traitements par oxygénothérapie, de par sa facilité d’utilisation et son suivi à domicile. La principale limite à son utilisation est son coût, qui s’ajoute à celui du pansement standard », concluent les responsables de l’étude.

Le retour du miel

Plus simple, car ne nécessitant aucun équipement, une autre thérapie ancestrale connaît un regain de popularité : le miel, couramment utilisé par les IDE au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Allemagne pour réaliser les pansements des patients dont les plaies cicatrisent difficilement. En France, cet antiseptique naturel, et peu onéreux, peine encore à franchir les portes des établissements de santé. « Pour l’instant, très peu d’hôpitaux utilisent des pansements au miel, qui ne sont pas remboursés, mais quelques Ehpad s’y mettent, explique Danièle Texier, infirmière retraitée et secrétaire générale de l’Association francophone d’apithérapie (AFA). Le principal problème est que la prescription doit être faite par les médecins, beaucoup moins sensibles à ce sujet que les infirmières. » Le miel est surtout intéressant pour les plaies qui se ferment difficilement, comme les escarres, car il permet de réduire de 30% le temps de cicatrisation. Il est aussi indiqué pour les ulcères de jambes, les plaies du pied diabétique, les brûlures au premier et deuxième degré, les cicatrices chirurgicales infectées, les engelures… Il est par ailleurs utile en obstétrique pour les crevasses au sein ou les sutures d’épisiotomie et de césarienne.

De plus en plus de laboratoires lancent des gammes utilisant le miel médical, stérilisé aux rayons gamma. Avec des conditionnements pratiques pour les soignantes : de petites seringues afin d’injecter le miel dans les plaies cavitaires (Revamil), des plaques imbibées pour les plaies étendues et exsudatives, des mèches pour les plaies profondes (Medihoney), des unidoses de 5 grammes permettant d’éviter les contaminations en milieu hospitalier (Melipharm)… « Melipharm et Revamil ont aussi lancé un baume protecteur à appliquer en prévention, par exemple pour éviter les plaies de compression chez les personnes alitées et âgées, précise Danièle Texier. Cela donne de très bons résultats sur les crevasses du sein dues à l’allaitement. En outre, le bébé ne risque rien – lors qu’il ne doit normalement pas ingérer de miel avant ses 12 mois – car c’est un miel stérilisé. » Autre évolution : alors que traditionnellement, on utilisait surtout le miel de thym, aujour d’hui, l’AFA le déconseille, car il brûle et n’est pas toléré par certains patients, si bien que le pansement doit être défait au bout d’un jour. Elle conseille plutôt des miels de sarrasin ou de châtaignier, assez doux. Et a lancé des formations pour les paramédicaux(2), intéressés par l’utilisation du miel.

Limiter les antibiotiques

Ce retour au naturel touche également le domaine délicat des plaies infectées : le mot d’ordre actuel est de limiter au maximum l’usage des antibiotiques. « Les infections cutanées sont les situations dans lesquelles on prescrit le plus d’antibiotiques, confirme Éric Senneville, chef du service infectiologie du CH de Tourcoing. On essaie aujourd’hui de les épargner, notamment sur des plaies chroniques impressionnantes telles que les escarres et les ulcères, tant qu’on n’est pas sûr qu’il y a infection. Car, dans ce cas, les antibiotiques n’améliorent pas la cicatrisation et les bactéries développent des résistances. » Mais dans le cas d’une infection diagnostiquée (rougeur, pus, gonflement des tissus…), l’antibiothérapie se montre de plus en plus efficace grâce à de nouveaux produits, tels que le Sivextro (voie orale ou injectable), qui permet de réduire la durée de traitement à 6 jours, là où ses prédécesseurs auraient eu besoin de 10. « La tendance est également au retour des antibio thé rapies locales, dont on a longtemps dit qu’elles favorisaient les résistances, indique le médecin. Mais avec les antibiotiques oraux, la sélection de la résistance des bactéries se fait dans le tube digestif ! Les produits locaux évitent les impacts sur la flore commensale. » Les laboratoires développent ainsi des gammes de pansements, éponges et buvards antibactériens.

Enfin, toujours dans l’optique de limiter l’usage des antibiotiques, de nouvelles techniques sont en train d’être mises au point : les phages, des virus qui détruisent très rapidement les bactéries (en traitement local), et les peptides antibactériens, de petites molécules présentes naturellement dans le corps et reproduites en laboratoire. Mais pour les voir gagner les hôpitaux français, il faudra encore attendre quelques années…

Une prise en charge globale

Le soin ne se focalise plus uniquement sur la plaie à traiter, mais s’intéresse au patient en tant que personne et à son mode de vie.

Douleur, intégrité corporelle, qualité de vie… Autant de critères qu’il est aujourd’hui naturel de prendre en compte lorsqu’on soigne une plaie, ou plutôt une personne porteuse de plaie. Ces dernières années, la prise en charge s’est en effet déplacée d’un regard « technique » à une vision globale des patients en cours de cicatrisation. Leur qualité de vie est donc devenue un enjeu crucial, que l’on évalue dans les services grâce au Short-Form 36 (SF36), un questionnaire abordant 149 points, le plus utilisé en France, ou d’autres échelles comme le Dermatology Life Quality Index (DLQI, en anglais seulement) ou le Skindex, disponible en français. Parmi les critères qu’il prend en compte figurent les émotions et les relations aux autres. « La qualité de vie englobe l’épanouissement personnel, sur lequel la santé fonctionnelle a un impact important, explique Pascal Vasseur, infirmier plaies et cicatrisation à Marseille. Mais pour cela, il faut aussi respecter l’autonomie du patient, sa capacité à choisir et à adhérer ou non aux soins qu’on lui propose. Si le patient le demande, il faut adapter nos positions professionnelles. »

Dans cette optique d’autonomisation du patient, de plus en plus de scientifiques soulignent l’impact du mode de vie sur la cicatrisation. En effet, ce n’est ni le soin ni le pansement qui fait la cicatrisation, mais bien la réparation du fibroblaste luimême. Le rôle infirmier consiste alors à faire en sorte de créer les conditions optimales à la cicatrisation en adaptant l’environnement des cellules, qui ont besoin de nutriments, d’eau et d’oxygène pour se réparer correctement. Cela passe d’abord par l’éducation du patient, à qui on peut conseiller de pratiquer une activité physique. Une étude récente(3) montre en effet que la pratique sportive accélère la cicatrisation, notamment chez les personnes âgées. En effet, des volontaires ayant réalisé un programme mêlant vélo, marche rapide et musculation ont vu leurs plaies se refermer plus rapidement que le groupe témoin : 29 jours en moyenne contre 39 jours.

Les compléments nutritionnels

La nutrition a un impact sur la cicatrisation, qui nécessite des apports quotidiens équilibrés et suffisants, d’où l’importance de l’éducation nutritionnelle.

Des études expérimentales chez l’animal ont montré qu’une restriction de 60 % des apports alimentaires journaliers entraînait une réduction de la production de collagène en l’espace de quatre mois. Même pour les patients qui ne sont pas dénutris, on sait depuis l’étude Suvimax(4) que les compléments nutritionnels peuvent être les alliés des soins. Selon Frédéric Braccini, chirurgien et directeur scientifique du congrès Face2f@ce, « ils favorisent la cicatrisation, réduisent l’œdème et l’inflammation et, par conséquent, diminuent les suites opératoires sans aucun effet secondaire ». Parmi les principes actifs naturels permettant de limiter l’inflammation ou d’activer les pro - priétés tissulaires, le médecin conseille le curcuma (antioxydant très puissant), la bromélaïne (extraite de l’ananas) ou encore la papaïne (anti-inflammatoire). Par ailleurs, attention au manque de zinc et aux carences en vitamines A, B5 et C, qui freinent la réparation tissulaire.

Les promesses des nouveaux pansements

En quête du produit miracle, année après année, les laboratoires pharmaceutiques développent leurs gammes de pansements, changeant leur composition ou leur forme dans le but d’accélérer la cicatrisation et d’améliorer le confort du patient. Parmi les derniers arrivés dans les pharmacies figurent des produits antalgiques qui soulagent la douleur liée aux plaies chroniques grâce à une diffusion continue d’ibuprofène ou encore, des pansements « morpho-adaptables », pratiques pour les articulations. Cependant, certaines innovations, hier prometteuses, sont aujourd’hui remises en question. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a ainsi récemment recommandé de limiter l’usage des nanoparticules d’argent « aux applications dont l’utilité est clairement démontrée ». En effet, ces particules pourraient encourager le développement d’antibiorésistance, et leur potentielle toxicité pour l’environnement est encore mal connue, selon l’Anses…

Anémone de mer et gecko

Si de nouveaux produits sortent régulièrement, la vraie révolution dans le monde du pansement se fait encore attendre. Mais elle pourrait venir plus tôt qu’on ne le croit tant les scientifiques font preuve d’imagination…

Des chercheurs canadiens(5) ont ainsi mis au point une poudre automotrice capable de délivrer des coagulants afin d’arrêter l’hémorragie sévère en cas de plaie ouverte. D’autres étudient la protéine qui permet à l’anémone de mer(6) de multiplier sa longueur par dix afin de concevoir des hydrogels plus performants, notamment pour la prise en charge des brûlures.

Le gecko, lézard aux pattes adhésives, a inspiré les chercheurs du MIT pour concevoir une bande adhésive résistante à l’humidité, biocompatible et biodégradable, qui permet de limiter les inflammations. Pour aider les équipes soignantes à prendre en charge au plus tôt les infections, l’université de Bath a, elle, développé un prototype de pansement hydrogel qui devient fluorescent en cas de colonisation bactérienne. Dans la même veine, l’université de Californie a conçu un pansement électronique permettant de détecter les escarres avant même qu’elles ne se voient.

Enfin, un nouvel hydrogel d’alginate pouvant « piéger » différents types de cellules sans les dégrader, Click Alginate, est à l’étude. À terme, il sera capable de délivrer un médicament, de régénérer des tissus, de stimuler la formation de nouveaux vaisseaux sanguins ou encore d’accélérer la réparation de l’os…

1- woundsresearch.com (http://bit.ly/1efoxGn).

2- Renseignements et inscriptions sur http://apitherapiefra ncophone.com.

3- Emery C.-F., kiecolt-Glaser J.-K., Glaser R., Malarkey W.-B., Frid D.-J., « exercise accelerates wound healing among healthy older adults: a preliminary investigation », J Gerontol A Biol Sci Med Sci. 2005 nov;60(11):1432-6.

4- http://www.esculape.com/textes/suvimax_2003.html.

5- « Self-propelled particles that transport cargo through flowing blood and halt hemorrhage », Science Advances, 2 octobre 2015, vol. 1, n° 9.

6- « mechanically durable and biologically favorable protein hydrogel based on elastic silklike protein derived from sea anemone », Biomacromolecules, 2015, 16 (12), pp. 3819-3826.

ÉVALUATION

Le triangle des plaies

→ L’évaluation d’une plaie est essentielle pour établir le plan de la prise en charge. en partant d’une étude interrogeant l’impact d’une plaie sur le patient, le triangle de l’évaluation des plaies divise l’évaluation d’une plaie en « trois zones distinctes mais interconnectées » :

– Le lit de la plaie : r echerche de signes évoquant un tissu de granulation, retrait des tissus morts, gestion de l’exsudation…

– Les berges de la plaie : réduction des obstacles à la cicatrisation, meilleure gestion des exsudats…

– La peau périlésionnelle : réhydratation de la peau sèche et protection contre l’humidité…

→ État de santé du patient, origine, ancienneté et statut de la plaie, facteurs pouvant empêcher la cicatrisation… Cet outil, « utilisé dans le cadre d’une évalua tion globale intégrant le patient, les soignants et la famille », permet de comprendre comment la plaie affecte le quotidien du patient. Suite à l’évaluation, le plan de prise en charge est établi avec le patient, qui participe à la définition des objectifs thérapeutiques.

C. Dowsett, K. Protz, M. Drouard, K.G. Harding,« Triangle de l’évaluation des plaies », Wounds International, mai 2015.