L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

DIAGNOSTIC

RÉFLEXION

PRISE EN CHARGE

MARIE LARDET  

Soigner une plaie demande une série de gestes techniques et un choix de pansements adaptés. En amont de ce long processus, la mobilisation de nos cinq sens peut amener à une prise en charge individualisée.

Depuis près de 25 ans, la prise en charge des patients porteurs de plaies se développe en France. Initiées par des médecins pionniers, soucieux de ces patients souvent délaissés en raison d’un manque de structure et d’intérêt, les formations spécialisées, dont le DU plaies et cicatrisation, ont été créées et développées pour valoriser cette activité qui est – et reste – une spécialité à part entière. Le rôle des infirmières spécialisées semble, lui, de plus en plus indispensable au sein des équipes. En raison de la pluridisciplinarité des équipes, il est indispensable d’avoir une vision globale du patient, un langage commun, un référentiel identique afin de réaffirmer notre capacité à établir une démarche infirmière ouvrant sur la pose du diagnostic. Cette vision d’ensemble est enseignée dès le début de la formation infirmière et elle mobilise un ensemble complexe de procédures qui s’étoffe avec le temps et l’expérience. Dans le cas de patients porteurs de plaies, cette démarche s’applique à plus forte raison. Les non-initiés résument souvent ces pathologies à la simple mise en place d’un pansement. Or, opter pour ce raisonnement est voué à l’échec. C’est oublier la base de notre métier : savoir qui et ce que l’on traite. Les maîtres mots sont donc « observation » et « sémiologie ».

L’art de l’observation

Dans la théorie, la démarche semble simple : on rencontre le patient, on étudie les signes cliniques, on pose un diagnostic, on propose en concertation un traitement adapté et on optimise la cicatrisation. Mais dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples à mettre en place. Dès lors, comment poser un diagnostic lorsque nous sommes face au malade ? Le Pr Rousset, médecin au CH Lyon-sud, écrit que diagnostiquer, « c’est à la fois voir, écouter, palper, car toute connaissance est sensible, mais aussi savoir, pour comprendre, interpréter ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on palpe. L’art du diagnostic est celui de l’observation, celui d’une observation “intelligente” »(1). Ainsi, prendre en charge des patients doit commencer par cela : se servir de nos sens.

Nos sens donnent les principaux indices permettant de répondre à la question « de quoi souffre mon patient ? ». Ainsi, à partir de ces multiples observations – voir, toucher, sentir, entendre – naîtra une prise en charge plus individualisée.

→ La vue : c’est le premier sens que nous échangeons avec le patient, et qui permet de le regarder sous différents modes. En grand angle, la vue renseigne sur le sexe, l’âge, la corpulence, l’état général (essoufflement, pâleur du visage), la capacité de mobilité, parfois même sur le niveau social et l’état psychique (visage anxieux, fermé, souriant, etc.). En zoomant, elle nous permet d’apprécier la localisation de la lésion (artériel, veineux, etc.), l’état général de la peau (fine, sèche, exsudante, oedématiée, rouge, blanche, inflammatoire, dépilée, dermite ocre, atrophie blanche, etc.). En mode macro, elle renseigne sur le stade de la plaie (fibrine, nécrose, bourgeon), argumente l’échelle colorielle, et évalue l’état de la peau péri-lésionnelle.

→ Le toucher : ce premier contact que nous établissons par le biais d’une poignée de main par exemple, est celui de la présentation à l’autre, de l’instauration de la confiance, du commencement du chemin. Une main posée sur le bras ou la jambe du patient permet d’appréhender doucement ce corps, de le réconforter, de rentrer un peu plus dans l’intimité de l’autre et de pouvoir examiner plus précisément les lésions. On accède également à des sensations de chaleur, d’induration ; on peut activer un ressenti (une douleur, une anesthésie, etc.).

→ L’ouïe et le goût : si à l’époque de Louis XIV, on parlait de goûter « les humeurs » des patients, le goût n’est pas utilisé lors de l’évaluation du patient. L’audition prend le plus de temps, car on est face à deux systèmes d’émetteurs-récepteurs : le nôtre et celui du patient. Celui du soignant devra être extrêmement disponible, précis et concret. Ce recueil de données permet de reconstruire une histoire, celle du patient, celle de la plaie. Depuis combien de temps est-elle présente (orientation vers une chronicité ou non) ? Est-elle d’origine traumatique ? récidivante ? douloureuse ? Comment le patient dort-il (allongé, assis) ? Quels sont ses antécédents, son traitement (certains médicaments sont générateurs d’ulcérations) ? Il est important de poser les bonnes questions, de guider l’autre dans sa narration et surtout d’apprendre à écouter plutôt que parler. Le but étant de regrouper le maximum d’informations importantes et d’instaurer un climat d’écoute et de confiance.

→ L’odorat : dans le cadre des plaies, ce sens est celui de l’alerte. Il nous informe sur les conditions d’hygiène et permet de détecter rapidement une infection. Mais il est parfois trompeur. Par exemple, un écoulement lymphatique se traduit souvent par une odeur forte, prégnante, aigre ; les exsudats générés par les hydrocolloïdes forment, eux, une odeur nauséabonde de chou pouvant laissant croire aux soignants et au patient qu’il existe une infection, alors qu’il n’en est rien.

Établir un diagnostic infirmier face à des patients porteurs de plaies nécessite de mobiliser d’une part l’ensemble de ses sens et d’autre part, le panel des connaissances cliniques.

1- facdephilo.univlyon3.fr

CONSULTATION

Binôme médecin/IDE

Une consultation plaies et cicatrisation a été créée et développée en 2011 à la clinique du Tonkin, à Villeurbanne (69). La démarche des cinq sens y est valorisée dès le départ, par un binôme médecin-infirmière, spécialisé dans la prise en charge des plaies. Les journées IDE, organisées depuis 2012 lors du congrès annuel de la Société française de médecine vasculaire, vont dans ce sens : développer les connaissances et favoriser l’échange de pratiques entre les différents acteurs.

MISE EN PRATIQUE

Illustration d’un cas clinique

→ Mme G., 84 ans, traitée pour une hypertension artérielle, se présente pour la première fois à la consultation de plaies, pour une plaie qu’elle s’est faite il y a six semaines en relevant son mari de 90 ans.

→ Dans la salle d’attente, ses traits sont tirés, son pas est lent et elle a du mal à mouvoir sa jambe gauche. Bien que d’origine traumatique, la lésion ne cicatrise pas et est très douloureuse. La peau péri-lésionnelle est souple, chaude, sans signe de varicosité ou de dermite ocre ; les pouls sont perçus à la main et la plaie se situe sur le bord antéro-externe gauche (localisation atypique pour un ulcère artériel ou veineux). L’origine ne semble ni artérielle, ni veineuse. La lésion de 5 cm de diamètre est constituée à 80 % de fibrine, et les bords sont légèrement nécrotiques. Je note la présence d’une trame violacée serpentigineuse sur le côté droit de l’ulcération.

→ Ma synthèse découle de ces premières observations : on identifie une plaie chronique hyperalgique, à caractère non-veineux ni artériel, d’origine traumatique, dans un contexte d’hypertension. J’en déduis donc que l’on s’oriente plus vers un ulcère d’origine microcapillaritique. En mode macro, l’étude de la plaie confirme l’étiologie de la plaie : présence de fibrine, nécrose périphérique, liseré violacé sur la peau saine.

→ À la suite de la consultation infirmière, ce diagnostic est confirmé par le médecin.

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