L’INVITÉ
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Je suis assoupie sur le fauteuil relax et des pleurs me tirent de mon demi-sommeil. Je me redresse. À l’écran, A dangerous method touche à sa fin. Marc - « l’ancien », comme je le surnomme, avec son visage buriné, son air de râleur éternel et ses charentaises -, ronfle, comme à son habitude. Inébranlable. Je me lève et sors dans le couloir.
La lampe torche guide mes pas. Avec l’éclairage au néon, la nuit n’est plus noire, elle est jaunâtre. J’avance jusqu’à la chambre 7, d’où émanent les pleurs et ouvre délicatement la porte. Scène effrayante de cet homme - d’une pâleur extrême - arrivé au point de non-retour. Torse nu, assis sur sa chaise, les bras posés sur le bureau dont les inscriptions creusées dans le bois par des générations de patients révèlent une partie de l’histoire de l’HP. Seul objet sur ce bureau : une lame de rasoir. Affûtée.
Le pas lourd de Marc qui me rejoint fait penser à celui d’un diplodocus. Il observe la scène un instant : « Jacques, enfilez un T-shirt et rejoignez-nous en salle de pause… TOUT DE SUITE. »
Intimidé, Jacques hésite à entrer. « Haha, c’est vrai qu’en journée, c’est un lieu sacré, mais la nuit, c’est le royaume des noctambules. Alors, tisane ou café ? » Il tergiverse, puis prend la tisane que Marc lui sert, accompagnée d’une madeleine. « Alors comme ça, c’est le grand soir ! Des mois que vous êtes hospitalisé, et c’est sur nos nuits que vous décidez d’en finir… » Le patient revient alors en détail sur la médiocrité de sa vie, sa solitude : ni appel, ni visite, ni échange. « Je suis déjà mort… et depuis longtemps. »
Plein d’empathie, Marc écoute et reformule. Puis il questionne le patient, pointe avec nuance ses contradictions et lui rend une partie de la responsabilité. C’est bien amené, tout en délicatesse. Quand, apaisé, le patient regagne sa chambre, il s’est mis d’accord avec Marc. Jusqu’à samedi, chaque jour,il provoquera un entretien avec un soignant ou un patient. Puis il fera le point avec Marc. Je m’aperçois que le xanax « si besoin » est toujours dans ma main. « Suzie, on n’est pas des distributeurs de médoc, ni des robots. Nous sommes l’anxiolytique dont le patient a besoin. Toi Suzie, IDE, tu es un anxiolytique, tu vois l’angoisse et tu la détruis. Anxiolytic-woman, point barre. Si ça ne suffit pas, tu peux toujours gaver ton patient de chimie, mais bien souvent, l’écoute est suffisante. » Je respire à nouveau et puis… « La lame ! Elle est restée sur son bureau ! »
Suite et fin sur le blog de Suzie Q.