L'infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016

 

PARTENAIRES DE SOINS

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

MARIE-CAPUCINE DISS  

Depuis près d’un an, le métier d’aide-soignante fait l’objet d’une réingénierie. Le possible transfert de certains actes médicaux, jusqu’ici autorisés aux seules IDE, suscite de vifs débats au sein de la profession et pose la question d’une autonomie accrue des 390 000 AS.

Jocelyne Niaux « Nous revendiquons l’analyse réflexive de situations »

Pourquoi la réingénierie de la formation des aides-soignantes est-elle nécessaire ?

C’est un processus que nous attendons depuis plusieurs années. Nous avons effectué une enquête dans chaque région pour établir un bilan des activités des aides-soignantes dans tous les lieux d’exercice (hôpital, secteur médico-social, domicile). Nous avons demandé quelles étaient les activités les plus courantes et celles sortant du champ de compétence des AS. Nous avons ensuite classé les activités en trois catégories : celles ne posant pas de problème réglementaire, celles faisant partie des glissements de tâche courants, et celles qui nous ont été décrites comme rares et que nous avons classées dans les glissements de tâche impossibles à envisager, comme le montage d’un aspirateur et sa vérification.

Quelles activités réalisées fréquemment pourraient être intégrées au champ de compétences des AS ?

Il y a des actes ne posant aucun problème, comme la retranscription d’une oxymétrie : ce n’est pas invasif, c’est une lecture simple. En revanche, pour la mesure de la glycémie capillaire, nous nous trouvons dans le champ de compétence infirmier. On sait malheureusement qu’à domicile et dans le secteur médico-social, ce sont souvent des aides-soignantes - voire des ASH - qui le pratiquent. Intégrer cet acte au champ de compétences des AS nécessiterait une révision du code de la santé publique. Le ministère devrait se positionner sur ce type de question et cela demanderait un débat ouvert avec les représentants infirmiers. Mais nos revendications ne portent ni sur l’autonomie des AS, ni sur un déploiement de leurs activités.

Quels souhaits formulez-vous concernant la formation ?

Elle devra s’adapter aux futurs référentiels d’activités et de compétences. S’il y a des rajouts, la durée de la formation [10 mois actuellement, NDLR] sera-t-elle maintenue ? Un passage du diplôme du niveau 5 au niveau 4 nécessitera de revoir sélection et certification. Nous revendiquons la reconnaissance de l’enseignement de l’analyse de situation, en partenariat avec l’IDE, et le développement de compétences par rapport à cette posture réflexive. Cela a été initié lors de la réingénierie de 2005 et il serait opportun que cela soit maintenant clairement défini dans le référentiel de formation. Cela correspond à un besoin : que tous les professionnels intervenant auprès du patient aient un vocabulaire et une méthode d’analyse de situation communs. Il faudrait également prendre en compte tous les secteurs d’activité où IDE et AS sont amenées à intervenir, étant donné le développement de l’ambulatoire, de l’HAD et du maintien à domicile des personnes âgées et handicapées. Certes, des protocoles de coopération sont en train d’être mis en place avec la HAS, mais il faudrait avant tout que la formation initiale soit adaptée. Il serait par exemple nécessaire de disposer de plus de temps pour aborder les spécificités des pathologies liées au vieillissement et au handicap. Lors des travaux de cet été, nous serons aussi très attentifs à la reconnaissance du temps nécessaire aux entretiens individuels avec les élèves.

Christophe Roman « La réingénierie ne sert pas à légaliser les dérives »

Quels sont les enjeux de la réingénierie de la formation des aides-soignantes ?

Nous n’étions pas demandeurs de la réingénierie, nous avons été sollicités pour l’accompagner. Pour nous, l’enjeu, c’est surtout qu’il y ait une adéquation entre les besoins en santé de la population et ce que font les aides-soignantes. Lors des réunions de travail avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), il y a eu un consensus probant autour de la mesure de la saturation en oxygène dans le sang. C’est une chose qui ne se fait pas aujourd’hui, alors que l’appareil de mesure permet d’obtenir une donnée qui peut être exploitée ensuite. Cela nécessite certes une formation, mais cette mesure n’est pas invasive et ne soulève aucun problème particulier. Je pense également qu’il serait intéressant d’introduire dans le champ de compétence des AS et des auxiliares de puériculture des notions sur les nouvelles technologies de l’information, puisqu’on a de plus en plus de dossiers de soins informatisés.

Quelle est votre position sur les aspirations endo-trachéales ?

Il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet. Le consensus n’est pas allé jusqu’à son intégration au référentiel d’activité des AS. À titre personnel, je pense que cette réflexion n’est pas assez aboutie, mais que tôt ou tard, cette activité sera intégrée.

Et pour la glycémie capillaire ?

Nous y sommes opposés, car la technique utilisée aujourd’hui nécessite une effraction de la barrière cutanée ; un acte réservé, sur le plan législatif, aux seuls médecins et auxiliaires médicaux. Si la technique évolue, ce qui est le cas actuellement avec des appareils de mesure sans effraction de la barrière cutanée, nous n’aurons pas d’opposition du même ordre.

Mais au quotidien, les AS réalisent des actes qu’elles ne devraient pas réaliser…

La réingénierie du diplôme n’est pas une façon de légaliser des pratiques illégales. Ce n’est pas parce qu’on a aujourd’hui une organisation tendant à diminuer le nombre de personnels présents qu’il faudrait changer les choses pour qu’on puisse légaliser certaines dérives qui pourraient être solutionnées différemment. Nous jugeons nécessaire qu’il y ait une IDE la nuit dans les Ehpad. Ce sont aussi des lieux où l’on a le devoir d’avoir une personne réunissant ces compétences, même la nuit. C’était l’une de nos huit recommandations pour les actions afin de permettre une meilleure prise en charge de la fin de vie, notamment dans les structures accueillant des personnes âgées.

L’évolution du métier d’aide-soignante représente-t-elle une menace pour vous ?

Nous respectons les AS, nous ne remettons pas en cause leur fonction ou leurs capacités, quelles qu’elles soient. Le changement fait peur et il peut y avoir des réactions épidermiques. Le combat mené par d’autres n’est pas forcément celui que nous menons nous. Pour la glycémie capillaire, c’est uniquement une question de responsabilité juridique qui nous a motivés à manifester notre opposition. Pour ce qui est d’une nouvelle manière de concevoir le champ d’action ou de compétences des AS, pourquoi ne pas l’envisager ? Mais cela ne nous a pas été présenté comme étant dans les objectifs des travaux actuels.

JOCELYNE NIAUX

PRÉSIDENTE DU GERACFAS

→ 1978 : diplôme d’État infirmier

→ 2000 : directrice des soins au centre hospitalier du Tonnerre (Yonne) ; supervision de la direction de l’Institut de formation d’aides-soignants

→ 2014 : présidente du Groupement d’études, de recherches & d’actions pour la formation aide-soignante (Geracfas)

CHRISTOPHE ROMAN

VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES INFIRMIERS

→ 2004 : IDE au service de réanimation polyvalente de l’Hôpital Saint-Joseph, Marseille (Bouches-du-Rhône)

→ Novembre 2008 : élu conseiller national de l’ONI (collège privé)

→ Mai 2015 : membre du groupe de travail sur la réingénierie des métiers d’aidesoignante et d’auxiliaire de puériculture

POINTS CLÉS

→ Réingénierie. La DGOS a initié, en 2015, une réingénierie de la formation des AS. Les référentiels d’activités et de compétences terminés, les travaux portant sur la refonte de la formation devraient débuter cet été.

→ Dextro. Au cœur des débats, la mesure de la glycémie capillaire. Si cet acte ne relève pas du cadre légal de l’exercice des AS, dans les faits, il est pratiqué, notamment en Ehpad, où une présence infirmière en continu n’est pas assurée. Selon une enquête réalisée auprès de 31 658 IDE par le Syndicat national des professionnels infirmiers, 80 % des infirmières exerçant à domicile et 66 % des salariées en établissements y sont opposées. De son côté, Convergence infirmière a recensé 94 % d’opposition chez les Idel.

→ Diplôme. L’élargissement du champ de compétences des AS pose également la question d’un éventuel allongement de la formation et d’un changement de niveau. Le DE est actuellement reconnu de niveau 5, ce qui correspond à un BEP ou un CAP. Il pourrait passer au niveau 4, équivalent du baccalauréat professionnel.