En principe gratuits et libres d’accès, les cours en ligne ouverts à tous ouvrent des perspectives infinies en matière de formation des professionnels de santé. Au point de concurrencer les enseignements traditionnels ?
Le cours commence, le professeur présente son sujet : l’annonce du diagnostic. Il en déroule les différentes étapes, précisant le rôle de l’infirmière à chacune d’elles. Les apprenants, attentifs, prennent des notes dans leur cahier, soulignant les passages sur lesquels ils voudront revenir plus tard, pour approfondir le sujet ou demander des éclaircissements. Tout à coup, on sonne à la porte. L’étudiante met son cours sur pause, va ouvrir, discute quelques minutes puis reprend le fil de la leçon, dont elle n’a pas raté une seconde. Car elle fréquente un nouveau type d’université, dont les bancs sont la chaise de la cuisine ou le canapé du salon et dont les professeurs se trouvent parfois à des milliers de kilomètres, sur un autre continent. Bienvenue dans l’ère des Mooc, ou Massive Open Online Courses, en français « cours en ligne ouverts à tous ». Un type d’enseignement apparu au Canada en 2008, composé de modules de niveau universitaire diffusés via Internet, en principe gratuit et libre d’accès, qui n’exige aucun prérequis de la part des participants. En quelques années, ces Mooc se sont multipliés dans le monde et en France, couvrant peu à peu tous les domaines de la connaissance. Y compris la santé : aujourd’hui, certains s’adressent spécifiquement aux professionnels du secteur (lire encadré p. 26).
La raison de ce succès ? L’extrême simplicité de l’accès aux Mooc. Une fois que l’on a repéré un thème intéressant sur la plate-forme de son choix, il suffit de s’inscrire – dans les temps –, de visionner les cours, puis de se soumettre aux évaluations correspondantes. « Environ 80 % des Mooc se présentent sous forme de vidéos et de quiz, décrit Christine Vaufrey, directrice de Mooc & Cie. Mais ce n’est pas tout : l’ingénierie pédagogique qui leur est propre consiste à rendre l’apprenant actif. La vidéo peut éveiller son intérêt pour le sujet, mais il faut l’accompagner d’un texte pour approfondir et prévoir des activités pédagogiques. Ainsi, les Mooc permettent une production de savoir de qualité. La question est aujourd’hui de savoir s’ils vont remplacer l’université classique. » En effet, on peut se le demander, tant les Mooc cumulent les atouts : d’abord, on peut les suivre où que l’on soit, au rythme et aux horaires qui conviennent le mieux à chacun, et gratuitement. « Chez nous, il faut aller à Abidjan, à 400 kilomètres, pour se former, rapporte Estelle, infirmière ivoirienne qui a suivi un Mooc sur l’épidémiologie. Or le temps dédié à la formation ne nous permet pas de suivre un mois de cours à l’université ! Je n’aurais jamais pu bénéficier d’une telle formation en présentiel. » « Le rythme est tout de même assez intense, nuance Marie, cadre de santé, qui a suivi un Mooc sur l’initiation à la e-santé. La première semaine, je me suis demandé si j’allais aller au bout. Ce qui est très important, c’est la durée des vidéos. Quatre à cinq minutes, c’est bien ; plus d’un quart d’heure, ça ne va pas. J’ai trois enfants, je suis très occupée ! »
Les Mooc sont organisés par les enseignants – pour certains des pointures internationales dans leur domaine – sous forme de parcours très balisés. En outre, « pour les structures qui veulent proposer une formation à leur personnel, cela permet des économies d’échelle, car des milliers de personnes se forment en même temps », explique Christine Vaufrey. Les Mooc constituent ainsi une option intéressante pour les établissements de santé, d’autant qu’ils pourraient théoriquement s’inscrire dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), à condition d’être dispensés par un établissement habilité (lire aussi p. 26).
Malgré tous ses avantages, ce mode d’apprentissage n’est pas non plus la panacée. Si certains cours donnent droit à des ECTS, débouchent sur des certifications inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles (ce n’est pas encore vraiment le cas en santé), tous ne sont pas reconnus et il faut parfois payer pour obtenir une certification. Un phénomène trompeur : « La plupart des Mooc qui semblent en ligne sont en fait fermés, car la période d’inscription est passée et les étudiants se cassent les dents ! La majorité sont protégés par des mots de passe, ce qui va à l’encontre de l’esprit d’origine : il faudrait tout ouvrir ! » avertit Albert-Claude Benhamou, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, chargé de mission au ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Par ailleurs, le taux de décrochage est en général de 75 à 85 %, que ce soit par manque d’intérêt ou de temps de la part de l’apprenant. Comment, sachant cela, bien choisir son Mooc et maximiser ses chances d’aller jusqu’au bout ? « Il faut bien étudier la fiche de cours qui indique ce qu’on nous donnera à faire : certains sont plus sérieux que d’autres, conseille Christine Vaufrey. Ce n’est pas l’innovation technologique qui fait l’innovation pédagogique ! »
Quoi qu’il en soit, les Mooc sont pour l’instant plus perçus comme un complément à l’enseignement classique que comme un véritable rival. « Ils ne se suffisent pas à eux-mêmes, il viennent s’ajouter à l’université, aux simulateurs médicaux, aux applis, aux serious games, soutient Albert-Claude Benhamou. Les Mooc ont par exemple toute leur place dans la Cyber U qui comprend déjà un CHU virtuel de télémédecine, une école de la réalité virtuelle et de la simulation, des outils technologiques mutualisés… » C’est ainsi que le vivent pour l’instant la plupart des inscrits, qui suivent un Mooc plus pour approfondir un sujet qui les intéresse que dans un véritable objectif professionnel. Laurent Roupin, cadre formateur à l’IRFSS CRF Béthune, a ainsi suivi « Initiation à la e-santé », proposé par l’association Formatic santé : « Aujourd’hui, une infirmière qui suit un Mooc, c’est pour elle. Elle ne peut pas le valoriser dans son métier, assène-t-il, même si certains modules font directement écho à notre pratique. » Un avis que ne partage pas vraiement Mélanie Schorrer, infirmière en pédiatrie à Genève, qui a testé le Mooc « Au cœur de l’hypertension » : pour elle, ce cours a de véritables connexions avec son activité de tous les jours et lui permettra d’évoluer dans son métier (lire ci-contre). Certains Mooc peuvent même amorcer un véritable virage professionnel. Ainsi, « Numérique, recherche en santé et sciences du vivant », développé par le centre de santé publique franco-allemand Virchow-Villermé (CVV), est destiné à ouvrir la recherche aux soignantes. « Il aborde la collecte de données scientifiques, le traitement, le partage des résultats, énumère Célya Gruson-Daniel, ingénieure de recherche au CVV. Il a attiré de nombreuses infirmières. »
Apprendre seul face à son écran ne prive-t-il pas d’une composante primordiale des formations, à savoir l’échange entre étudiants ? Paradoxalement, les cours en ligne peuvent être davantage créateurs de lien que l’université. « Le contact humain interapprenants produit de la richesse et permet des explications pour ceux qui ne comprennent pas bien », confirme Albert-Claude Benhamou. Ces contacts se nouent via les forums proposés en marge des Mooc. Souvent, des communautés d’apprenants, qui se soutiennent mutuellement, y naissent avant même le début des cours et jouent un rôle important de lutte contre le décrochage. D’après une enquête réalisée par Formatic santé, 15 % des inscrits jugent ces forums indispensables, 32 % intéressants, mais n’y ont pas participé. Car ils ont leurs revers : « En un mois, j’ai reçu plus de 600 mails, j’ai été obligé d’abandonner », témoigne un ancien étudiant. « Il y a possibilité de désactiver le forum », reconnaît un autre.
Les cyberéchanges sont d’autant plus riches que les apprenants viennent d’horizons très différents. « Notre Mooc de promotion de la santé repose sur l’intersectorialité, assure Stéphanie Régat, responsable du cours « Promouvoir l’activité physique et limiter la sédentarité chez les jeunes » à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Nous voulions faire travailler ensemble un professionnel de santé, un éducateur physique, un membre de l’éducation nationale… Le Mooc permet de créer une communauté de pratique. À l’issue, les participants devaient être en mesure de mettre en place un projet de promotion de l’activité physique. » Un objectif très concret, contrairement à l’idée qu’on pourrait se faire de ces cours à distance. Pratique et interdisciplinaire, c’est aussi ainsi qu’a été souhaité le Mooc « Comprendre la santé publique et le système de santé », spécifiquement dédié aux étudiants de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). « L’objectif était d’apprendre à travailler entre différentes spécialités au sein de l’école », explique Philippe Marin, directeur des études. Ce cours destiné aux étudiants est plutôt une exception dans le jeune monde des Mooc. « Le public est plutôt âgé, déjà très formé (niveau master) », souligne Lisette Cazellet, responsable formation au sein de Formatic santé, responsable du Mooc « Initiation à la e-santé ». Des apprenants qui savent bien ce qu’ils veulent : selon une enquête menée à l’issue du Mooc, 79 % des répondants étaient prêts à s’impliquer dans des projets en e-santé et 95 % voulaient suivre d’autres Mooc.
Pour cela, il faudrait trouver un véritable modèle économique. « Pour faire vivre un Mooc, qui coûte 50 000 à 100 000 € pièce, il faut du personnel, un community manager… », explique Albert-Claude Benhamou. Or la gratuité est-elle compatible avec de telles exigences ? « Le modèle économique des plates-formes repose sur la vente de certifications et des données personnelles des utilisateurs
1- Le recueil des learning analytics (durée, heures de connexion, éléments consultés, exercices réalisés…) constituent la base du modèle financier des Mooc américains qui vendent des fichiers de « profils clients ». (source : Les Mooc : conception, usages et modèle économique, de Jean-Charles Pomerol, Yves Epelboin et Claire Thoury). En France, les règles concernant les données personnelles sont celles définies par la Cnil.
MÉLANIE SCHORRER INFIRMIÈRE EN PÉDIATRIE À L’HÔPITAL UNIVERSITAIRE DE GENÈVE
« J’ai testé le Mooc “Au cœur de l’hypertension”, lancé en février 2016 par la Haute école de santé de Genève (HEDS). Son principal avantage, c’est la gestion du temps : environ deux heures par semaine, ce qui est compatible avec mon travail. Le Mooc m’a semblé intéressant, car il touche à un vrai problème de santé publique, l’hypertension étant une question qui se pose fréquemment sur le terrain. En outre, la problématique est très en lien avec la pratique professionnelle, notamment le module sur l’entretien infirmier. Le seul reproche que je ferais est qu’on doit suivre tel cours, répondre à tel quiz dans la semaine. J’aurais aimé davantage de souplesse. Et comme c’est un Mooc interprofessionnel, certaines vidéos ne sont pas compréhensibles quand on n’est pas du métier. Enfin, si j’ai utilisé le forum au début, j’ai vite désactivé les mails, trop envahissants. Il m’a cependant aidée à trouver des réponses sur les points que je ne trouvais pas très clairs. À l’issue du cours, j’ai obtenu une certification que je peux indiquer sur mon CV. J’aimerais suivre d’autres Mooc, mais il faut être vigilant, car ils ne sont pas ouverts tout le temps ! »
www.hesge.ch/heds/formulaires/formulaire-dinscription-mooc-heds-2016
Les Mooc sur la santé ont le vent en poupe. Destinés aux soignants ou aux patients, les établissements se lancent dans la danse, tout comme les universités.
De nombreuses plates-formes de diffusion de Mooc sont accessibles depuis la France : France université numérique (FUN), Solerni, Openclassrooms, Coursera, Speachme, 360 Learning, Edx, Ionis, UNow, Iversity… Mais attention, certaines ne proposent que des cours en anglais. Parmi les plus intéressantes, la plate-forme FUN
Ambulatoire à l’AP-HP
Certains cours, initiés directement par les établissements, s’adressent plus particulièrement aux professionnels de santé. Ainsi, le Mooc « Chirurgie ambulatoire », lancé par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en août dernier, avait pour but « de faire progresser l’ambulatoire dans les hôpitaux parisiens, souligne Henri-Jean Philippe, responsable pédagogique. Cela intéresse les professionnels de santé et les patients ». Au programme, des modules très pratiques, par exemple sur les protocoles spécifiques à l’ambulatoire. Les universités et autres écoles supérieures s’intéressent aussi à ce mode de diffusion des connaissances, parallèlement à leurs cours classiques. Ainsi, l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) a créé « Tout ce que vous avez voulu savoir sur la maladie d’Alzheimer »
100 % IDE
Le Mooc « Au cœur de l’hypertension », lancé en février 2016 par la Haute école de santé de Genève (HEDS), a lui été conçu par des infirmières. « L’objectif est de soutenir les compétences du soignant dans l’accompagnement thérapeutique du patient hypertendu, explique Sylvie Fourcade, enseignante à l’HEDS. Le public comprend aussi bien les professionnels de santé que les étudiants ou les patients. Le patient est même au cœur du Mooc, via des modules “De l’annonce du diagnostic aux objectifs éducatifs”, “Du déni de la maladie à l’entretien individuel”… » Enfin, certains établissements ont décidé de se spécialiser dans la production de Mooc. C’est le cas du Centre Virchow-Villermé (CVV) avec sa Mooc Factory, qui a déjà produit 17 cours sur des thèmes aussi divers que « Changement climatique et santé » ou « Numérique et recherche en santé et sciences du vivant : nouvelles pratiques et enjeux ». Le CVV propose notamment des transcriptions des films, difficiles à regarder en cas de mauvaise connexion, comme ce peut être le cas en Afrique, ou encore des screencasts, des tutoriels en ligne et des infographies, plus parlants que les vidéos.
2- Voir les programmes de l’UPMC sur www.seformeralageriatrie.org