À court de trésorerie, la première « clinique sans médecin » du Québec devra fortement réduire la voilure si le gouvernement ne met pas la main à la poche pour soutenir cette initiative infirmière qui prend en soin 1 500 patients.
Nous sommes face à un paradoxe. Alors que le système de santé québécois est incapable d’assurer l’accès aux soins des personnes les plus démunies et vulnérables, une initiative portée par des infirmières - et qui chaque jour prouve son efficacité - n’est absolument pas soutenue par le ministère de la Santé puisque le gouvernement est totalement médico-centré », tempête Bernard Roy, professeur titulaire à la faculté des Sciences infirmières de l’université de Laval. Objet de sa colère, la situation de la clinique infirmière Sabsa, dont l’activité est menacée.
Créé en 2011 à l’initiative d’une poignée d’infirmières bénévoles, le projet Sabsa (Service à bas seuil d'accessibilité) s’est transformé au printemps 2014 en une coopérative de solidarité à but non lucratif. Objectifs : accueillir et soigner gratuitement des usagers défavorisés et vulnérables, particulièrement ceux atteints du virus de l’hépatite C. C’est grâce à une dotation de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et à un mécénat que « la clinique sans médecin », implantée entre les quartiers défavorisés de Saint-Sauveur et de Saint-Roch, a ouvert il y a deux ans à Québec. Une première dans la province. « Les fonds ont permis de structurer le projet, d’étendre nos jours d’ouverture et de salarier l’équivalent de trois infirmières à temps plein », détaille Isabelle Têtu, infirmière praticienne spécialisée (IPS) à l’origine de l’initiative.
Pour prouver son efficience, Sabsa s’est également adossée à des universitaires de l’Équipe de soins primaires intégrés (Espi). « Ces études ont démontré que 95 % des adultes pris en charge par les infirmières n’avaient pas besoin d’être référés à un médecin », relève Bernard Roy. « En deux ans, la file active s’est élargie ; aujourd’hui, 50 % des usagers viennent pour des soins de première ligne de toute nature car nous offrons un accès facile et de proximité », précise Emmanuelle Lapointe, coordinatrice de Sabsa.
Mais voilà, la FIQ n’a pas reconduit son aide en 2016 et le gouvernement fait la sourde oreille. Pour l’heure, la seule proposition concrète est que l’activité de la clinique soit intégrée à un groupe de médecine de famille (GMF) ou un centre de santé et de services sociaux (CLSC). « Mais ces structures ne sont pas mesure de répondre aux besoins de notre fil active », explique Emmanuelle Lapointe. Pour Lucie Tramblay, présidente de l’ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ), « Sabsa est une opportunité pour mieux servir la population. Il faut s’inspirer de ces modèles et les développer plus largement, comme cela se fait d’ailleurs dans d’autres provinces depuis des années ».
Soutenue par les médias, la clinique infirmière bénéficie d’un élan de sympathie de la population. Une pétition en ligne pour sa sauvegarde a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures et une plateforme de dons a récolté environ 27 300 euros. Bien qu’elle se dise « confiante », Isabelle Têtu s’inquiète pour les 1 500 adultes et enfants pris en charge par Sabsa : « Si nous fermons, que deviendront-ils ? »
→ Titulaire d’une maîtrise en sciences infirmières, d’un diplôme d’études supérieures spécialisées et d’une certification de l’OIIQ, les ISP doivent posséder une solide expérience dans un domaine clinique : la néonatalogie, la cardiologie, la néphrologie ou les soins de première ligne.
→ Depuis 2006, elles dispensent des soins infirmiers et médicaux dans leur champ de spécialité : prescription d'examens (radiographie des poumons, analyses biologiques) ; utilisation de techniques diagnostiques invasives (ponctions lombaires en néonatalogie) ; prescriptions (antibiotiques, solutions intraveineuses, alimentation parentérale…) ; pratique de traitements médicaux invasifs (insertion et retrait d’un drain thoracique en néonatalogie, ponction pleurale en cardiologie).
→ Selon une étude de l’Institut économique de Montréal, une IPS coûte près de trois fois moins cher qu’un médecin de famille par an (64 000 € contre 180 000 €).
→ Le gouvernement a promis début 2014, de former 2 000 infirmières praticiennes spécialisées en 10 ans. En butte à la hiérarchie médicale, seules 310 ISP exercent en première ligne actuellement et 71 en soins spécialisés.