L'infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016

 

GROUPEMENT HOSPITALIER DE TERRITOIRE

ACTUALITÉS

À LA UNE

HÉLÈNE COLAU  

Les groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui doivent être constitués au 1er juillet prochain, cristallisent les inquiétudes des soignants, qui craignent pour la survie des petits établissements publics.

Adieu les communautés hospitalières de territoire (CHT), place aux groupements hospitaliers de territoire (GHT) ! La principale nouveauté de l’entité créée par la loi de modernisation du système de santé, entrée en vigueur en décembre dernier ? Son caractère obligatoire : d’ici au 1er juillet 2016, tous les hôpitaux publics devront avoir rejoint un GHT, tandis que les établissements privés, de psychiatrie et médico-sociaux pourront en être « partenaires ». Une centaine de groupements devraient ainsi englober les plus de 1 200 établissements français afin de « mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité ». Avec, en arrière-plan, une logique d’économie : les GHT « assurent la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités entre établissements », précise le texte. Pour faciliter leur mise en place, la ministre de la Santé a promis mi-mars une enveloppe de 10 millions d’euros. Marisol Touraine a par ailleurs annoncé que « la formation des acteurs [serait] l’un des leviers clés pour accompagner l’évolution des métiers que suppose la mutualisation d’un certain nombre de fonctions ». La ministre soulève ainsi la question que se posent tous les hospitaliers : quel sera l’impact de cette réforme sur leur activité ? « C’est du délire complet, fustige Jacqueline Hubert, directrice du CHU de Grenoble et auteure d’un rapport sur la mise en place des GHT. Il n’y aura aucun impact sur le travail des soignants. Le seul souci est de créer des parcours patients cohérents, en mutualisant des fonctions support. »

200 hôpitaux ?

Néanmoins, les syndicats craignent pour la survie des petits établissements. Force ouvrière estime ainsi que les GHT préfigurent des fusions, ramenant le nombre d’hôpitaux de 1 000 à 200. « L’établissement support concentrera un maximum d’activités », dénonce le syndicat Sud santé-sociaux, qui craint de voir apparaître des « déserts sanitaires ruraux » d’une part, et des structures géantes d’autre part. Soit l’exact opposé du maillage territorial voulu par le ministère. « Si la taille de ces groupements dépasse celle d’un département, ils risquent d’être compliqués à gérer, pointe Éric Audouy, vice-président de la Coordination nationale infirmière (CNI). Sans parler des conflits entre établissements : en Paca, il y a par exemple de gros CHU à Marseille et à Nice. Dans le cas d’un GHT régional, qui en prendrait la tête ? » Même si le modèle départemental semble l’emporter, « la taille des GHT reste trop importante pour convenir au mode de fonctionnement des petits établissements, s’inquiète l’Association nationale des centres hospitaliers locaux. Ils risquent d’être noyés. Par ailleurs, la facturation des prestations du centre hospitalier pivot affectera les charges des CHL, ce qui aura une incidence, entre autres, sur le tarif de l’hébergement en Ehpad. »

Autre polémique : l’impossibilité, dans certains cas, de choisir le CHU auquel il faudra s’adosser. Le comité de vigilance de l’hôpital public de Brioude (Haute-Loire) dénonce ainsi l’injonction qui lui est faite de s’associer au centre hospitalier altiligérien du Puy-en-Velay, adossé au CHU de Saint-Étienne, quand il coopérait déjà avec succès avec le CH d’Issoire (Puy-de-Dôme), affilié au CHU de Clermont-Ferrand. « Le temps de transport pour aller au CHU passera d’une heure à deux heures, s’indigne le comité. Ce qui peut, d’une part, entraîner des complications médicales et, d’autre part, faire exploser les budgets transport. » L’ombre de cette « mobilité forcée » plane aussi bien sur les patients que sur les soignants. « Si une spécialité répartie actuellement sur quatre ou cinq établissements est regroupée dans un seul, les professionnels devront suivre, s’alarme Éric Audouy. Cela fragilise un peu plus les conditions de travail d’équipe. On risque de perdre encore des lits et du personnel, alors qu’on est déjà à flux tendu. »

Nouveaux métiers

S’il ne nie pas la recherche d’efficience sous-jacente à la réforme, Stéphane Michaud, président de l’Association française des directeurs des soins (AFDS), tempère : « La limitation du recours aux intérimaires semble porter davantage sur le personnel médical que paramédical, car certains établissements peinent à recruter, notamment des Iade ou des Ibode. Et à ce stade, on ne prévoit pas d’obligation pour le personnel soignant d’aller travailler ici ou là, en fonction des besoins ponctuels de chaque hôpital du GHT. En revanche, on pourrait envisager des équipes mobiles, par exemple en plaies et cicatrisation, en soins palliatifs… qui auraient une action transversale. » De nouvelles synergies, soit, mais qu’en sera-t-il des filières déjà actives, qui risquent de voir leurs spécificités disparaître ? La question de la psychiatrie a notamment beaucoup mobilisé les professionnels (lire encadré). Plus largement, le syndicat Sud craint que « certaines filières de soin (gériatrie, maternité…) soient exposées à des restructurations brutales. L’avenir des personnels de ces secteurs sera alors gravement menacé par cette mutualisation forcée ».

En réalité, il est encore un peu tôt pour connaître les effets concrets des GHT sur l’organisation des services : les modalités de mise en œuvre restent ouvertes et les établissements ont jusqu’au 1er juillet 2017 pour présenter un projet médical partagé finalisé. La dernière mouture du projet de décret prévoit aussi un projet de soins partagé, en articulation avec ce projet médical. Au fil des versions, le texte évolue en effet vers une meilleure prise en compte des soignants : il est désormais prévu que les présidents des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques prennent part à l’élaboration de la convention constitutive des GHT, aux côtés des directeurs et des présidents de commission médicale d’établissement (CME). « Nos activités dépendent les unes des autres, il faut donc qu’on travaille ensemble pour une meilleure prise en charge, approuve Stéphane Michaud. Cela permettra de définir les besoins de nouveaux métiers, de nouvelles organisations de services, au bénéfice du patient. » Pour lui, les craintes formulées par les associations et les syndicats sont prématurées, étant donné que les organisations pourront s’adapter aux besoins des populations de chaque territoire. « Deux hôpitaux qui prennent en charge les mêmes pathologies pourront mettre en place un projet de soin commun afin d’assurer la continuité pour des patients qui, aujourd’hui, doivent souvent changer d’hôpital. C’est plutôt très positif », estime-t-il. De même, les GHT pourraient présenter un intérêt en termes d’évolution de carrière : « Ils représentent une opportunité de créer de nouveaux métiers de coordination, y compris pour les infirmières, les cadres et les directeurs des soins. C’est également l’occasion de mener une réflexion sur les pratiques avancées. »

Et les Ifsi ?

S’il est une question qui reste dans le flou, c’est celle de la formation des paramédicaux. En effet, le texte prévoit que l’établissement support assure « la coordination des instituts et des écoles de formation paramédicale du groupement ». Les Ifsi pourront ainsi mutualiser les projets pédagogiques, les locaux et les politiques de stage. « Nous craignons la fermeture des petits Ifsi au profit de ceux des établissements support, redoute Éric Audouy. Or, quand on met 150 étudiants dans un amphi, la formation n’est pas aussi bonne que dans de petites structures… » « En effet, à terme, il y aura sans doute un Ifsi par établissement support, concède Jacqueline Hubert. Mais est-ce logique de garder deux Ifsi dans une même ville ? »

Concernant la formation continue, alors que la dernière version du projet de décret rend la maîtrise aux établissements, Stéphane Michaud est, lui, plutôt favorable au regroupement : « Actuellement, un établissement peut disposer d’une enveloppe pour la promotion dans un métier, mais avoir peu de candidats reçus. On peut imaginer de faire profiter de cette opportunité un soignant d’un autre établissement du GHT. De même pour les promotions : si un poste ouvre dans un établissement, ce pourrait être un soignant d’un autre hôpital qui en bénéficie… »

Rien n’est donc encore joué et jusque-là, le ministère de la Santé semble réceptif aux suggestions des soignants : plusieurs revendications ont été intégrées dans les nouvelles versions du projet de décret relatif aux GHT. Le dernier texte prévoit même l’intégration dans les conférences territoriales des représentants syndicaux de chaque établissement. Qui comptent surveiller de près la mise en place des groupements…

PSYCHIATRIE

Chronique d’une mort annoncée

Le secteur psychiatrique redoute particulièrement la création des GHT. En effet, depuis des décennies, il a mis en place ses propres filières, avec un lien ville-hôpital fort. Les professionnels craignent que le regroupement avec les hôpitaux généraux anéantisse leurs pratiques soignantes et que les patients ne bénéficient plus d’une écoute appropriée. « Le GHT condamne le secteur psychiatrique à une mort certaine. Il sera englouti, avalé par cette grosse machine hospitalière, annulant ainsi toute une période humaniste de la psychiatrie », craint Malika Kèchkèche, IDE en psychiatrie, sur son blog(1). Dans certaines régions, cet appel a été entendu. Ainsi, l’ARS d’Île-de-France a décidé de se doter de deux GHT exclusivement psychiatriques.

1 - https://blogs.mediapart.fr/malika-kechkeche/blog