Les personnes atteintes de cancer qui disposent, en traitement de support, de programmes d’activité physique adaptée restent une minorité. Leurs bénéfices sont pourtant reconnus. Aux IDE d’informer et de convaincre les patients de les suivre…
Plusieurs mécanismes biologiques sont impliqués dans l’action de l’activité physique (AP) sur le cancer. Pour les comprendre, il convient de connaître les processus pathologiques contre lesquelles l’AP agit.
→ La trilogie cytokines, graisse, sarcopénie : au cours de la maladie cancéreuse, les cellules tumorales et les cellules inflammatoires périphériques sécrètent de façon précoce de multiples cytokines – facteurs d’inflammation chronique diffuse
→ Mécanismes généraux de l’AP : dans ce contexte, l’activité physique présente l’intérêt de diminuer la sécrétion des cytokines, de favoriser la pénétration du glucose dans les tissus et, par conséquent, de supprimer le processus d’insulinorésistance.
Elle favorise également la sécrétion d’adiponectine (molécule pro-apoptotique), diminue la sécrétion de leptine et réduit la sécrétion des œstrogènes (facteur de croissance tumorale), en particulier chez la femme post-ménopausique
→ Action spécifique sur la fatigue : en atteignant le cerveau, les cytokines issues des cellules cancéreuses et de la graisse abdominale induisent la fatigue ressentie par 80 % des patients avant même le diagnostic. Associée à la sarcopénie, la fatigue incite le patient à rentrer dans le cercle vicieux de l’inactivité qui favorise en retour l’inflammation, la sécrétion de cytokines, la production d’insuline, la prolifération des cellules cancéreuses qui sécrètent encore plus de cytokines et alimentent la spirale du cancer et de la fatigue. « D’où l’intérêt de pratiquer une activité physique adaptée (APA) précocement et de la poursuivre tout au long de la prise en charge, car c’est la seule thérapeutique en dehors de la correction de l’anémie, qui agit favorablement sur la fatigue liée à la maladie et aux traitements », indique le Dr Caroline Cuvier, oncologue au Centre des maladies du sein (hôpital Saint-Louis, AP-HP). Pratiquée d’emblée, dès le diagnostic, « l’APA permet en effet de réduire l’asthénie de 20 à 30 % pendant le traitement et de 40 % après le traitement », confirme le Dr Bouillet.
Au-delà de la fatigue, l’AP agit également en prévention primaire des cancers et à tous les stades de la prise en charge.
→ Prévention primaire : au sein de la population générale, l’AP est associée à une diminution moyenne de 25 % du risque de développer un cancer
→ Avant les traitements : l’activité physique permet de préparer le corps, de lutter contre la fatigue et de limiter les complications post-opératoires grâce à une meilleure condition physique.
→ Pendant les traitements : l’APA améliore la qualité de vie en diminuant la fatigue, l’anxiété, le repli sur soi, les épisodes dépressifs et en optimisant le sommeil et l’image du corps. Elle permet de contrôler la prise de poids régulièrement observée au cours des chimiothérapies, accroît les capacités cardiorespiratoires et réduit le risque de sarcopénie permettant ainsi d’atténuer la toxicité des traitements (les effets chimio-induits sont proportionnels à la sarcopénie). « Ces effets réduisent le risque de survenue de comorbidités métaboliques, cardiovasculaires et ostéoarticulaires, et facilitent la faisabilité et les suites opératoires de chirurgie abdominale ou thoracique éventuelles dans le cadre d’une évolution métastatique, commente le Dr Bouillet. À titre d’exemple, le maintien d’une bonne masse musculaire chez un patient opéré d’un cancer du côlon, divise par 4 le taux de complications. » L’APA modifie aussi les effets iatrogènes (douleurs et raideurs articulaires dans le cancer du sein, incontinence urinaire après prostatectomie, etc.) et facilite ainsi l’adhésion aux soins.
→ Après les traitements : « Une association est établie entre la pratique d’une AP en situation de rémission, la réduction des récidives et l’augmentation de la survie pour au moins trois des cancers ayant les plus fortes incidences : sein, côlon, prostate », indique le Dr Cuvier. Ainsi, quel que soit le niveau d’AP initial de la patiente, une pratique régulière d’APA post-traitements réduit de près de 50 % le risque de décès par cancer du sein
Enfin, généralement pratiquée en groupe, l’APA renforce les liens sociaux et intergénérationnels, réduit l’isolement et facilite le retour à la vie sociale, familiale et/ou professionnelle.
Pour être bénéfique, l’APA doit répondre à des critères précis et être réalisée dans le cadre de programmes conçus et dispensés par des professionnels spécifiquement formés. C’est ce que proposent des organismes tels que la Cami, Siel bleu ou La Ligue contre le cancer, via le service Apeseo (voir Savoir +, p. 63).
→ Fréquence : partant du principe que l’activité physique baisse la sécrétion de cytokines et d’insuline durant 72 h, elle doit être reproduite au minimum toutes les 72 h, donc trois fois par semaine, pour ne pas laisser de périodes durant lesquelles la production de cytokines et d’insuline, non contrôlée par l’AP, va stimuler les cellules cancéreuses.
→ Durée : les séances doivent durer de 10 à 20 mn minimum et jusqu’à 1 heure, et s’étaler sur au moins 3 à 6 mois pour avoir un impact significatif sur le rapport graisse/muscle. > Intensité : elle doit être suffisamment soutenue pour être efficace, mais justement dosée en fonction des capacités de chaque patient pour ne pas les exténuer. « En pratique, indique le Dr Bouillet, il faut atteindre une dépense énergétique de 9 METs/h par semaine dans les cancers du sein et de 18 METs/h par semaine pour les cancers du côlon et de la prostate pour obtenir un bénéfice tangible. Cela signifie qu’il faut vraiment structurer l’APA en toute connaissance de la pathologie et des patients pour adapter les exercices aérobies et anaérobies (résistance), au cas par cas, de manière à ce qu’ils soient suffisamment intenses et parfaitement sécurisés. »
→ Même pratiquée collectivement, l’APA doit être individualisée en fonction des critères propres à chaque patient : type de cancer, stade de la maladie, âge, difficultés, fragilités particulières, niveau de déconditionnement physique, comorbidités préexistantes ou intercurrentes, contre-indications médicales spécifiques au cancer, traitements prévus ou en cours, préférences et envies des patients. Dans ce contexte, des compétences spécifiques sont requises : les professionnels doivent être capables de réaliser une évaluation biomécanique et psychologique précise, de concevoir et mettre en œuvre collectivement des programmes de reconditionnement ou de réadaptation physique individualisés, tout en sachant détecter et gérer les situations à risque (lire encadré ci-contre) et en associant plaisir et sécurité pour tous.
→ Cela suppose une formation permettant de maîtriser de multiples connaissances : techniques sportives, physiologie générale et de l’exercice, anatomie, biologie, physiopathologie, spécificités propres aux différents cancers, à leurs traitements et aux soins associés. Il existe aujourd’hui différentes formations universitaires qualifiantes, ainsi que des référentiels sur lesquels les IDE peuvent s’appuyer (voir Savoir +, p. 63) pour expliquer aux patients l’intérêt de ce soin de support et les conditions dans lesquelles l’APA doit être pratiquée pour en optimiser les bénéfices.
Bien qu’ils s’adressent à des populations parfois très différentes du fait de la diversité des cancers, mais aussi du stade et de l’évolution de la maladie, les programmes d’APA, conçus et appliqués par les professionnels médico-sportifs, reposent sur les mêmes principes généraux. Par contre, les modalités de mise en œuvre diffèrent selon que les patients sont pris en charge en ambulatoire ou en chambre.
Les programmes d’APA sont établis selon des critères précis.
→ Être courts : l’APA est proposée durant la prise en charge médicale dans le but d’inscrire le patient dans une dynamique qui l’incitera, à distance, à poursuivre la pratique de l’AP en condition ordinaire, soit individuellement, soit en rejoignant les structures associatives sportives ou de loisirs.
→ Être mis en œuvre sous contrôle médical : les patients doivent présenter un certificat de non contre-indication générale précisant, le cas échéant, les éléments médicaux et les fragilités spécifiques à prendre en compte (comorbidités, handicaps, présence de métastases…).
→ Ne pas être contraingnants : le patient peut à tout moment intégrer la démarche sachant que plus il le fait tôt dans le parcours de soin, plus il en tirera profit. Les infirmières doivent donc préconiser l’APA dès le diagnostic.
→ Être personnalisés : qu’ils soient proposés sous forme de séances collectives, en salle ou en extérieur, pour les patients ambulatoires, ou en chambre pour les malades d’hématologie (leucémie aiguë, greffe de moelle), les programmes d’APA proposent un travail individualisé à partir d’un bilan initial de l’aptitude et des attentes de chacun. Si le patient ne pratique aucune activité physique, il pourra, le cas échéant, bénéficier préalablement – et/ou parallèlement – d’une rééducation dans le cadre d’un programme plus orienté vers le reconditionnement ou l’entraînement à l’effort selon les cas.
→ Être progressifs, réguliers et durables : pour que l’AP se passe bien, qu’elle devienne facile à faire, qu’elle soit efficace et qu’elle s’inscrive dans un continuum vertueux, il est important d’adapter la progressivité des exercices. Les séances peuvent aller de 10 mn pour une personne très déconditionnée à 1 h pour une personne déjà physiquement active ; elles doivent être renouvelées au minimum deux fois par semaine. « Deux séances par semaine sur au moins 3 mois sont indispensables pour obtenir une réponse chronique à l’AP profitable au patient, explique Jean-Marc Descotes, directeur de la Cami. Ensuite, on augmentera la fréquence en passant de deux à trois séances par semaine, puis la durée de l’exercice et, enfin, l’intensité afin d’actionner l’ensemble des grands groupes musculaires. » Cette progressivité favorise l’adhésion à l’AP, car le patient en ressent très vite les bénéfices, ce qui entretient sa motivation et lui permet d’augmenter la dose d’exercice.
1- Interleukine 1, Interleukine 2, TNFα.
2- « Activité physique et cancer », référentiel Afsos, décembre 2012.
3- Berthouze-Aranda S., Robert B. « Bénéfices de l’activité physique en cancérologie : enjeux pour la prise en charge de l’activité physique », XVIe Journées d’études francophones en activités physiques adaptées, Orsay, mars 2012.
4- « Activité physique, contextes et effets sur la santé. Expertise collective. Synthèse et recommandations », Inserm, mars 2008.
5- Irwin ML et al., « Influence of pre- and postdiagnosis physical activity on mortality in breast cancer survivors: the health, eating, activity, and lifestyle study », J Clin Oncol 2008;26:3958-64.
Ainsi qu’en témoignent tous les spécialistes, un grand nombre de patients réduisent spontanément leur niveau d’activité physique (AP) quotidienne dès l’annonce du cancer et tout au long de la prise en charge. « De fait, confirme Jean-Marc Descotes, directeur de la Cami sport et cancer
1- Créée en 2000, la fédération nationale Cami sport et cancer est, en France, à l’origine de la conception et de la mise en place de programmes d’AP dédiés aux personnes en traitement ou en rémission d’un cancer, en ville ou à l’hôpital (www.sportetcancer.com).
2- J.-M. Descotes, « Mieux comprendre les enjeux pour mieux intégrer l’activité physique et sportive dans l’offre de soin : enquête nationale sport et cancer 2015 », onKo+, avril 2015, vol. 7, n° 52.
3- V. Gremeaux et col., « Comment optimiser l’alliance thérapeutique autour de l’activité physique et sportive ? », onKo+, mai 2014, vol. 6, n° 45.
→ Chez un patient cancéreux, certaines douleurs, comme le mal au cou, peuvent être en lien avec des métastases osseuses. « Il faut donc que l’éducateur médico-sportif (EMS) sache évaluer ce que le patient peut faire sans le mettre en danger pour aménager sa pratique et le soustraire à tout risque de fracture en lui permettant de pratiquer une activité physique adaptée (APA) doublement sécurisée, limitant dans ce cas les contraintes exercées sur le squelette », explique le Dr Bouillet, cancérologue à l’hôpital Avicenne, à Bobigny (93), et président de la Cami.
→ L’EMS doit tenir compte de la présence d’un port-à-cath et s’assurer que certains effets des traitements – syndrome pied-main sous 5-FU ou capécitabine (Xeloda®), troubles neurologiques associés à l’Eloxatine® et aux taxanes, troubles cardio-vasculaires liés à la prise d’anthracyclines… – n’altèrent pas les capacités physiques des patients, justifiant alors une approche encore plus personnalisée de l’APA. D’où l’importance, pour les professionnels de l’APA, d’acquérir des compétences spécifiques en oncologie au travers d’une formation telle que le DU sport et cancer (université Paris 13).