Delphine aime les mappemondes, la mythologie et les garçons. Sa fascination pour l’élément liquide enveloppe ses nuits et ses jours d’une aura particulière. Mais elle ne sait pas encore que prend forme, à son insu, une ligne de flottaison imaginaire et hasardeuse. Une frontière entre deux mondes qu’elle expérimentera à la suite d’un grave accident. Plongée dans la partie immergée de sa sensorialité, la jeune géographe, clouée sur un lit d’hôpital, vogue au gré des soins, des sons, des allers et venues. « C’est là que je suis. Comme sur les cartes médiévales, je suis de l’autre côté de l’espace gardé par les hydres à deux têtes et les dragons à antennes de homard. » Elle découvre l’envers du vaste monde qui l’exaltait jusque-là, un enfermement radical, dans son corps et dans ses pensées. L’auteure ne cesse d’affûter son sens du détail, de chercher l’angle, la combinaison exacte, sans perdre de vue la perception du spectateur. à travers son personnage, elle fouille ce hors-monde dans lequel plonge l’immobilisation dans une chambre d’hôpital, décortique chaque interstice de cet espace, quantifie la douleur physique, note le va-et-vient des soignants, vogue sur les divagations que provoque la morphine comme sur un océan intérieur. L’expérience sensorielle dans laquelle nous emporte ce roman, entre veille et sommeil, gestes heureux ou malheureux de soignants, est une immersion en territoire étranger et familier à la fois. Une performance artistique surgie d’une parenthèse désenchantée : « La non-douleur, la paralysie, la tétanie, l’insensation : tout un monde s’ouvre derrière ce zéro. C’est le monde insensible. »
Le monde sensible, Nathalie Gendrot, Éd. de l’Olivier, 16 €