Les infirmières représentent un tiers des quelque 800 gestionnaires de cas déployés en France auprès des personnes âgées en perte d’autonomie. Une fonction qui offre un nouveau débouché à celles qui veulent s’orienter vers plus de relationnel.
L’année dernière, j’avais une dame qui conduisait sans permis : elle avait perdu tous ses points à cause de problèmes de mémoire qui faisaient qu’elle oubliait sa ceinture ou d’autres choses quand elle était au volant, se souvient Maryse Fillion. J’ai tenté de sensibiliser son fils pour qu’il lui confisque ses clefs ou qu’il cache le véhicule, alerté les gendarmes pour qu’ils lui retirent sa voiture, rien n’y a fait. Finalement, elle a été institutionnalisée parce que sa santé psychique se dégradait considérablement. » Maryse Fillion, infirmière depuis 1984, est devenue gestionnaire de cas en 2011 en Bretagne, à Pontivy (56). Son quotidien n’est pas toujours aussi insolite, même si elle avoue ne jamais s’ennuyer. Son rôle : évaluer les besoins d’une personne âgée en perte d’autonomie afin de planifier et de coordonner la mise en place des services répondant à ses besoins globaux de santé. « Nous faisons en sorte que le maintien à domicile se passe au mieux, mais pas à tout prix », nuance Christine Queudot, gestionnaire de cas à Montauban (32).
La méthode a été adaptée de ce qui existe depuis les années 50 auprès de patients en santé mentale, de personnes âgées ou de communautés isolées aux États-Unis et au Québec. C’est là qu’Élodie Lys, actuelle présidente de l’Association française des gestionnaires de cas, y a découvert la fonction, au milieu des années 2000. Elle a en effet occupé un poste de gestionnaire de cas auprès des populations inuit dans le Grand Nord du Québec, sur le territoire de Nunavik. Elle a regagné la France quand les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer - les Maia
La fonction se déploie en France depuis 2008 grâce à la mise en œuvre des Maia, structures créées à l’origine pour simplifier le parcours médico-social des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, aussi longtemps qu’elles vivent à domicile. Sous l’égide d’un « pilote » (lire encadré p. 66), les gestionnaires de cas mettent en œuvre une démarche de concertation et d’intégration de tous les acteurs de la prise en charge (médecin, service de soins à domicile, travailleur social, infirmière libérale, aide à domicile, tuteur, etc.) pour proposer des réponses complètes et adaptées aux besoins de chaque individu. Aujourd’hui, le champ d’action des Maia est étendu à l’ensemble des personnes âgées en situation complexe. Depuis 2015, des critères d’inclusion plus précis ont été définis : peut bénéficier du dispositif toute personne de plus de 60 ans en perte d’autonomie fonctionnelle et décisionnelle, présentant un problème ?d’ordre médical, ainsi qu’une carence en aide ou en soin, et ne disposant pas dans son entourage proche d’une personne à même de mettre en place et coordonner les ressources nécessaires. Les postes de gestionnaires de cas sont accessibles à différentes professions : travailleurs sociaux, psychologues, professionnels paramédicaux. Un tiers des 800 gestionnaires de cas actuellement en poste en France sont des infirmières. Pour être recrutés, les futurs gestionnaires de cas doivent s’engager à suivre le DIU « coordonnateur de soins en gérontologie » (lire ci-contre). Une expérience en gériatrie, en soins à domicile ou en réseau de soin est un plus.
Leur quotidien se partage entre les visites à domicile, les réunions de synthèse avec les différents acteurs de la prise en charge, l’élaboration du plan de services individualisé de chaque bénéficiaire, les nombreux coups de fil pour trouver des solutions d’aide, dialoguer avec les familles, les rendez-vous auprès des acteurs sanitaires et sociaux du territoire pour se faire connaître, voire la participation à certaines réunions de concertation pour faire remonter les problèmes organisationnels du terrain vers les décideurs. « Même si, malheureusement, je trouve que l’ascenseur ne redescend pas souvent vers nous, s’inquiète Maryse Fillion, et que les carences que nous observons sur notre territoire, par exemple en matière d’accueil de jour, d’unités d’hébergement renforcé ou de lits en soins palliatifs, ne sont toujours pas résorbées. »
Si les gestionnaires de cas travaillent dans l’interdisciplinarité, ils sont maîtres de leur organisation, et généralement seuls quand ils se rendent au domicile, quand ils doivent prendre une décision de signalement (qu’il s’agisse d’une situation de maltraitance ou d’une éventuelle mise sous tutelle) ou s’ils doivent réunir les différents professionnels intervenant auprès d’une personne pour une réunion de synthèse. « Il faut savoir être autonome, dans sa tête et dans son organisation », résume Armelle Bertrand, pilote de la Maia Paris Nord-Ouest. « Quand on a une hésitation, ou besoin du conseil d’un collègue qui connaît mieux que nous l’aspect social ou psychologique, on peut évidemment en discuter avec lui, complète Christine Queudot. Mais chacun est responsable du suivi de ses situations. »
Les compétences relationnelles sont évidemment très utiles. « Et il ne faut surtout pas imaginer qu’il est plus facile de travailler à domicile, ajoute Armelle Bertrand. Pour des IDE qui viennent de l’hôpital, le positionnement est très différent (lire le portrait d’Émilie Régnier, p. 67). Et il ne faut pas craindre de prendre des responsabilités apparemment hors de votre compétence, si cela peut permettre d’éviter la mise en danger de la personne. » En effet, il n’existe pas de cadre juridique et donc de limites précises pour l’intervention du gestionnaire de cas. « J’essaye autant que possible d’accompagner la personne, par exemple lorsqu’elle a besoin de retirer de l’argent. Mais ce matin, j’ai dû y aller seule pour une des personnes que je suis et qui était hospitalisée. » Les limites de l’intervention sont donc définies par chaque équipe. « Ainsi, nous avons décidé que même si nous disposons des clefs du domicile, nous ne nous y rendons jamais seul, ce qu’une personne peut nous demander lorsqu’elle est hospitalisée et qu’elle a besoin de ses effets personnels », poursuit Audrey Chateaux, gestionnaire de cas à Metz-Thionville (57).
Petit plus pour les infirmières : leur capacité à dialoguer avec les acteurs du soin. « Dans les échanges avec les médecins, le dialogue est plus facile », observe Christine Queudot. Le rapport au corps vieillissant leur est également plus familier qu’à leurs collègues travailleurs sociaux. Pourtant, progressivement, les infirmières s’éloigneront de leur formation initiale pour devenir uniquement des gestionnaires de cas. « La formation aide beaucoup, observe Élodie Lys. Elle nous donne des clefs, puis l’expérience nous apprend à devenir autre chose. » Plus de soin à réaliser, davantage d’écoute, de conseil, de travail pluridisciplinaire, de coordination éloignent chaque jour un peu plus de la perspective de retourner dans une fonction soignante, même si cela reste théoriquement possible.
Enfin, pour s’engager dans un tel poste, il faut avoir envie de quitter le soin technique. Et être prêt à basculer dans une temporalité très différente. « Au début, j’avais du mal à ne pas être dans l’action, dans le faire, dans la mise en place d’aides qui répondent plus à l’attente du professionnel que de la personne, se souvient Élodie Lys. Mais il faut d’abord installer la confiance, écouter la personne et son souhait. » Au passage, il faudra donc se caler sur son rythme, ses habitudes, ses besoins, même si ceux-ci ne cadrent pas nécessairement avec les règles d’hygiène de base. « On voit beaucoup d’insectes, des appartements insalubres, des syndromes de Diogène », énumère Aline Sbranna, gestionnaire de cas à la Maia Paris Sud.… « On ne peut pas bousculer tout cela du jour au lendemain, admet Élodie Lys. C’est vraiment un métier d’accompagnement afin de pouvoir faire entendre la personne dans ses choix, ses désirs, de manière raisonnable bien entendu. » Et ce, tout au long de son suivi au long cours, qui s’achève, le plus souvent par une entrée en Ehpad, voire par un décès.
Un vrai métier, certes, mais avec de fortes disparités selon les postes. Les statuts des gestionnaires de cas varient en fonction du porteur de la Maia dans laquelle ils sont recrutés. Celle-ci peut en effet relever d’un établissement de santé (13 %), d’un centre local d’information et de coordination gérontologique (13 %), d’un conseil départemental (37 %), d’une association (11 %), d’un réseau de santé (10 %), d’un Ehpad, d’une maison départementale des personnes handicapées, d’un service de soins infirmiers à domicile, d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale… En conséquence, le gestionnaire de cas pourra relever de la fonction publique hospitalière, de la fonction publique territoriale, de la convention Fehap, du droit du travail, etc. En CDD ou en CDI, il bénéficiera d’un statut cadre ou non, de jours de congés et de primes différentes. Son ancienneté pourra être prise en considération ou non. Surtout, la principale source d’inégalité réside dans les rémunérations accordées : « Cela va de 1 300 € à 2 800 € net », observe Élodie Lys. Chaque Maia dispose pourtant de la même dotation financière. « Mais le porteur gère l’enveloppe comme il le souhaite et doit également veiller à une certaine équité entre les différents employés de sa structure », explique Nzhate Boungzate, pilote de la Maia Paris Sud. « On peut même observer des situations où la Maia est cogérée par deux porteurs qui accordent des statuts différents aux salariés mis à disposition, souligne Élodie Lys. Nous allons devoir travailler pour que la fonction soit reconnue comme un métier. » Le seul point commun en termes de conditions de travail réside dans les horaires de jour pratiqués. Plus d’astreinte, de garde, ni de permanence pour les gestionnaires de cas, qui ne sont pas censés répondre aux urgences. « Mais dans les faits, si une situation se dégrade pendant nos heures de travail nous intervenons toujours », observe Audrey Châteaux.
Les gestionnaires de cas partagent aussi certaines réalités du métier qui peuvent être éprouvantes. Les relations avec les aidants ou la famille sont parfois complexes. « Sur notre Maia, au moins la moitié des personnes suivies sont très isolées, signale Audrey Châteaux. Et quand il y a de la famille, les relations sont souvent très mauvaises. » De l’autre côté de l’Hexagone, en Bretagne, Maryse Fillion constate, elle aussi, des conflits familiaux, des spoliations, voire des maltraitances. « Et quand les aidants font de leur mieux pour être présents, ils sont bien souvent épuisés », ajoute Aline Sbranna. Des situations propices à faire ressortir les vieilles histoires de familles, que la professionnelle doit aussi écouter, avant de rechercher des solutions de répit.
« Pour nous aussi, la fonction peut être usante, estime Audrey Châteaux. Nous sommes confrontés à beaucoup de détresse, plus qu’à l’hôpital. » Il y a ces personnes âgées qui refusent l’aide, que le gestionnaire de cas parvient enfin à convaincre, puis qu’un évènement de santé vient faire basculer à nouveau. « Moi, j’ai l’impression de ne jamais avoir bien fait le travail parce qu’on peut toujours faire plus et donc mieux », poursuit-elle. Il faut cependant accepter de ne pouvoir régler toutes les situations. « Ne pas se croire plus important qu’on ne l’est et admettre que parfois on n’y arrive pas », constate Aline Sbranna. Depuis peu, tous les gestionnaires de cas des Maia parisiennes bénéficient d’ailleurs d’une supervision psychologique, qui leur permet d’aborder en analyse des pratiques les situations qu’elles vivent le plus difficilement. « Et puis, nous avons aussi nos petites victoires, comme cette dame que j’ai réussi à faire admettre dans un Ehpad à proximité de chez sa fille, sourit Aline Sbranna. J’ai des nouvelles de temps en temps, elles se voient tous les jours, même si la vieille dame pense encore qu’elle est à Paris et que sa fille fait le trajet quotidiennement en train… Je sais qu’elle est heureuse. »
1- En 2016, la loi d’adaptation de la société au vieillissement a transformé l’acronyme Maia en « méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champs de l’autonomie ».
→ Le DIU coordonnateur de soins en gérontologie, dispensé dans la plupart des grandes universités, est un passage obligé. Les gestionnaires de cas doivent tous le valider après leur prise de poste. Le cursus est financé par l’employeur et comprend cinq semaines d’enseignement théorique consacré aux pathologies de la personne âgée, la gestion du parcours patient et ses outils, l’introduction au concept Maia, les aspects juridiques de la prise en charge, la connaissance des aides au maintien à domicile, le travail en interdisciplinarité… Deux travaux écrits et un oral valident le cursus, également complété par 70 heures de stage dans une Maia autre que celle qui emploie l’étudiant.
→ La formation continue spécifique aux gestionnaires de cas semble encore peu développée. « Mais toutes les formations concernant la prise en charge de la personne âgée peuvent être utiles, observe Armelle Bertrand, pilote de la Maia Paris Nord-Ouest. Comme ce qui concerne la réflexion éthique, les aides logistiques, le partage d’information… » On peut y ajouter la connaissance des pathologies psychiques, des pathologies de la personne âgée, ou une formation à la prise de parole en public. Car les gestionnaires de cas ont également pour mission de faire remonter, via leur pilote ou en participant directement aux réunions de concertation, les dysfonctionnement du terrain afin que les décideurs puissent améliorer l’organisation globale des systèmes de prise en charge. Enfin, une formation à la gestion des conflits aiderait à mieux gérer des situations délicates avec les familles et les tiers présents, qui parfois ne pas voient pas d’un bon œil la présence des gestionnaires.
→ Les pilotes des Maia sont globalement issus des mêmes formations initiales que les gestionnaires de cas. Un master du secteur sanitaire ou médico-social est exigé ou, à défaut, un diplôme de cadre de santé. Des gestionnaires de cas ont déjà évolué vers un poste de pilote. « Mais les compétences diffèrent », précise Armelle Bertrand, pilote de la Maia Paris Nord-Ouest. Certes, outre l’encadrement de l’équipe, ils ont la responsabilité de la concertation avec l’ensemble des acteurs d’un territoire, de l’élaboration d’un diagnostic des ressources territoriales, du développement des partenariats locaux et de l’intégration des services, bref de la mise en œuvre de la méthode Maia. Les compétences requises résident donc dans l’expérience de la conduite de projet et du management d’équipe, l’aptitude à la communication institutionnelle et à la négociation, la connaissance du tissu sanitaire et médico-social…
→ À leur prise de poste, ils suivent généralement une formation spécifique (6 jours) en animation territoriale et parcours mise en œuvre par l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Au 1er février 2015, selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, quelques 348 pilotes avaient été formés. Il y a généralement un pilote pour trois gestionnaires de cas, mais certaines grandes Maia peuvent être dotées de plusieurs pilotes. Ainsi, à Marseille, une seule Maia couvre l’ensemble de la ville, avec 9 gestionnaires de cas et 2 pilotes, dont l’une est centrée sur l’encadrement des gestionnaires de cas.
→ La plate-forme des gestionnaires de cas d’Île-de-France (https://gdcidf.wordpress.com/?ref=spelling).
→ « La gestion de cas en gérontologie : nouveau métier, nouvelles questions », Aline Corvol, Grégoire Moutel, Dominique Somme, Gérontologie et société, 2012, n° 142, pp. 195-204.
→ Arrêté du 8 novembre 2012 fixant les référentiels d’activités et de compétences pour exercer le rôle et les missions du gestionnaire de cas dans les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer.