Dans une Hollande dure et corrompue, quatre musiciens amateurs se consolent en jouant ensemble. Plus encore, la musique devient acte de résistance. Mais une résistance bancale. Car comment lutter face à un monde où la musique n’a plus droit de cité ? Où culture et émotion sont bannies ? Où seuls le jeunisme, le lisse, le superficiel et le superfétatoire sont admis ? À la fois soudé et inégal, le quatuor joue pour échapper à ce monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus. « L’alto dérape. On reprend. Le deuxième violon est trop fort et couvre l’entrée du premier. Le violoncelle a des problèmes d’intonation qui privent les autres instruments de leur lustre. » Ce baume fragile et fugace leur fait oublier, un temps, leur condition. Anna Enquist, pianiste et psychanalyste, retisse dans ce neuvième roman l’écheveau des thèmes qui l’habitent : la musique classique, le temps qui passe, la perte d’un enfant. Une trame profonde où l’intrigue repose sur un hors-jeu - un hors « je » pourrait-on dire. Car le quatuor est pris dans des contradictions qui le malmènent. Caroline est médecin, Heleen, infirmière, tandis que Jochem, luthier, soigne des « instruments malades », et Hugo, directeur d’une salle de concert, « s’échine à maintenir le cap de ce navire à la dérive ». Tous soignent, réparent, secourent. Et inversement, tentent de se sauver, de se soustraire à une société où la culture est un luxe inutile et où les personnes malades, dépendantes, âgées, représentent un mal à écarter. « Le nouvel idéal, c’est la plasticité. Si vous ne savez pas vous adapter aux circonstances, vous coulez. » Et si c’était vrai… ?
Quatuor, Anna Enquist, Éd. Actes Sud, 21,90 €