L'infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016

 

ROMAN

RENDEZ-VOUS

ZOOM

CATHERINE FAYE  

Dans une Hollande dure et corrompue, quatre musiciens amateurs se consolent en jouant ensemble. Plus encore, la musique devient acte de résistance. Mais une résistance bancale. Car comment lutter face à un monde où la musique n’a plus droit de cité ? Où culture et émotion sont bannies ? Où seuls le jeunisme, le lisse, le superficiel et le superfétatoire sont admis ? À la fois soudé et inégal, le quatuor joue pour échapper à ce monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus. « L’alto dérape. On reprend. Le deuxième violon est trop fort et couvre l’entrée du premier. Le violoncelle a des problèmes d’intonation qui privent les autres instruments de leur lustre. » Ce baume fragile et fugace leur fait oublier, un temps, leur condition. Anna Enquist, pianiste et psychanalyste, retisse dans ce neuvième roman l’écheveau des thèmes qui l’habitent : la musique classique, le temps qui passe, la perte d’un enfant. Une trame profonde où l’intrigue repose sur un hors-jeu - un hors « je » pourrait-on dire. Car le quatuor est pris dans des contradictions qui le malmènent. Caroline est médecin, Heleen, infirmière, tandis que Jochem, luthier, soigne des « instruments malades », et Hugo, directeur d’une salle de concert, « s’échine à maintenir le cap de ce navire à la dérive ». Tous soignent, réparent, secourent. Et inversement, tentent de se sauver, de se soustraire à une société où la culture est un luxe inutile et où les personnes malades, dépendantes, âgées, représentent un mal à écarter. « Le nouvel idéal, c’est la plasticité. Si vous ne savez pas vous adapter aux circonstances, vous coulez. » Et si c’était vrai… ?

Quatuor, Anna Enquist, Éd. Actes Sud, 21,90 €