MÉDECIN/INFIRMIÈRE
DOSSIER
La relation des infirmières avec les médecins est à la fois fusionnelle et conflictuelle. Pour sortir de ce lien, les IDE devraient accorder davantage d’importance à leur raisonnement clinique.
Dis-moi quelle relation tu entretiens avec les médecins, et je te dirai quelle infirmière tu es. La relation avec le corps médical, cruciale dans la constitution de l’identité infirmière, peut parfois s’apparenter à une faille. Dans l’étude qu’elle a effectuée (lire p. 23), Marie-Christine Moret, formatrice à l’Ifsi d’Avignon, a obtenu des réponses unanimes : les IDE se sentent reconnues des patients et de leurs pairs, mais pas des médecins. Un ressentiment qui semble frapper davantage les infirmières hospitalières que les libérales. En effet, comme se plaît à le rappeler Mélanie Poras, qui a rejoint un cabinet infirmier depuis deux ans : « Les médecins sont beaucoup plus reconnaissants envers nous en libéral. À l’hôpital, il m’arrivait de me faire rembarrer par les médecins alors que j’appelais pour un patient qui allait mal, parce qu’ils étaient overbookés. En libéral, des médecins nous remercient de les appeler au sujet de leurs patients. »
Alors, l’infirmière n’attend-elle pas trop du médecin ? Se recentrer sur ses compétences et un fonctionnement en complémentarité est un moyen d’échapper à cette quête de reconnaissance, ou du moins de se donner tous les moyens pour l’obtenir. Selon Arnaud Gautier, cadre de santé, la spécificité du raisonnement infirmier est trop peu valorisée par les IDE, et notamment par les plus jeunes. Dans le cadre des cours qu’il dispense en Ifsi, il insiste sur cette notion : « Le jugement et le raisonnement clinique, c’est le plus difficile à apprendre. Il s’agit de prendre une décision en fonction des indices qui sont laissés par le patient. C’est ça le plus important et le plus intéressant. La clinique infirmière, c’est la clinique du chevet. Certaines professionnelles refusent d’affirmer leur spécificité. L’infirmière est l’œil du médecin. Si elle reste collée à lui, si elle participe à tous les entretiens en n’apportant aucune plus-value par rapport à ce qui s’est dit, le médecin ne l’autorise plus à réfléchir, elle est là juste pour faire des actes. »
L’attachement au rôle propre infirmier est revendiqué par l’ensemble de la profession. Mais des obstacles hiérarchiques, financiers ou culturels semblent en limiter l’ampleur, au risque d’aboutir à l’autocensure.Valérie Floucaud, IDE en soins intensifs d’hématologie à l’Institut universitaire de cancérologie de Toulouse, défend la spécificité de la démarche infirmière, qu’elle dissocie clairement de la démarche médicale. Elle travaille à un projet de recherche infirmière tendant à montrer l’importance de l’accompagnement du patient en prenant en compte les valeurs fondamentales qui le constituent. « Notre profession est menacée par la croyance du tout science, du tout technique, du tout organique, du tout lobbying pharmaceutique. Je ne veux pas être qu’une technicienne qui exécute. Je suis une soignante avec une science infirmière merveilleusement riche. »
Les IDE ont le sentiment que leur raisonnement clinique, pourtant complémentaire de celui des médecins, ne suscite pas leur intérêt. Florence Oblin, étudiante en troisième année, résume assez bien la représentation que se fait la profession de ses observations : « Il y a des choses que nous écrivons qui ne sont jamais lues. Cela est dû en partie au fait qu’il y a un chevauchement avec les transmissions orales et que celles-ci priment. Or, il peut arriver que le médecin n’ait pas écouté ou retenu une chose importante qu’on a pu dire et qu’il nous reproche ensuite de ne pas lui avoir dit. Il faut savoir penser à la place du médecin, cerner ses attentes. Au quotidien, nous avons davantage de responsablilités que sur le papier. On ne nous laisse rien passer, pas la moindre inexactitude, dans le cadre d’une consultation infirmière, par exemple. Cela nous sera reproché. » Pour Arnaud Gautier, les infirmières sont en partie responsables du manque d’intérêt ou de crédibilité de leurs écrits : « La majorité des infirmières ne leur accordent pas assez d’importance. Elles ne pensent pas qu’ils vont être lus. Elles rédigent souvent leurs transmissions sur leur chariot, dans la chambre du patient, alors qu’elles sont très sollicitées. On peut imaginer que des transmissions peu soignées renforcent des a priori négatifs à notre encontre. » Un nouveau chantier qui pourrait s’avérer fructueux.
Dans son édition n° 369 du 1er mars 2016, L’Infirmière magazine a publié l’article de Mme Caroline Coq-Chodorge intitulé « Dérives thérapeutiques. Du charlatan au gourou », dans lequel le refus de transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah est assimilé à une dérive sectaire.
Contrairement à ce qui est indiqué, la loi française prévoit que tout patient peut choisir ses traitements médicaux (art L. 1111-4 du code de la santé publique). La Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs jugé que le refus des transfusions sanguines par les Témoins de Jéhovah est l’expression d’une liberté de choix thérapeutique. La plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État, a fait de même, qualifiant ce refus de liberté fondamentale.