EXERCICE
DOSSIER
Image fortement ancrée dans la profession, l’autonomie dont bénéficient les infirmières dans l’exercice de leur métier recule. Mais des ouvertures existent toujours.
Dominique Boquet a commencé sa carrière il y a une trentaine d’année dans un service de médecine à orientation cardiologique : « J’étais seule pour mes quarante malades. Ils ne voyaient que moi. C’était moi qui recevais les familles. S’il y avait un problème, c’était l’infirmière et personne d’autre. J’ai eu la chance d’avoir un chef de service qui m’a responsabilisée et fait confiance pour beaucoup de choses. Quand un patient arrivait, je faisais l’électrocardiogramme, je l’interprétais et j’appelais le médecin pour lui faire part de mes observations. Les internes me faisaient faire plein de choses. C’est pour cela que je suis restée longtemps dans ce service, j’étais un vrai pilier. » Cette description que fait l’infirmière de ses débuts relève presque d’un récit mythique restant une référence pour les IDE. Tous les ingrédients sont présents : gestion de l’emploi du temps, responsabilité, délégation d’actes avant l’heure et jugement clinique.
Pour Mathias Waelli, sociologue et maître de conférence à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), la recherche d’autonomie est particulièrement en vogue chez les jeunes diplômés, ce qui explique une attirance particulière pour le travail en psychiatrie ou en Ehpad. Pour ce dernier, le fait d’échapper au rythme de l’hôpital permet un aménagement personnalisé de l’emploi du temps. Pour Emmanuelle Mulot, IDE dans un Ehpad, l’autonomie se vit au quotidien : « Dans nos soins, nous ne sommes pas obligées de respecter un ordre particulier. Nous nous adaptons à la façon de vivre des résidents : si il y en a un qui a envie de se lever plus tard, ce n’est pas grave, le pansement je le ferai après, l’essentiel est qu’il soit fait. » Pour l’IDE, cette liberté dans l’établissement du planning se conjugue avec des choix à réaliser, les médecins n’étant pas présents en permanence sur les lieux : « En Ehpad, on gère et on évalue s’il y a urgence ou non. On appelle le médecin si on en a besoin. J’aime cette responsabilité, même si l’on se sent parfois très seul. »
La souplesse dans l’organisation du temps de travail est un élément souvent mis en avant pour les infirmières qui quittent les établissements hospitaliers. Le ras-le-bol d’une organisation trop pesante, la difficulté à faire entendre sa voix dans l’organisation des soins peuvent être un motif de souffrance et de départ d’un lieu auquel on est pourtant attaché. Marie-Christine Moret, formatrice à l’Ifsi d’Avignon, a travaillé sur les valeurs fondamentales partagées par les infirmières, toutes générations confondues. L’étude qu’elle a menée (lire p. 23) montre que l’attachement à l’autonomie reste une valeur phare : « Cela pose question, car dans les hôpitaux, elles ne sont pas si autonomes que ça. C’est très hiérarchisé, très organisé, protocolisé, le travail a quelque chose de routinier. Et pourtant, les IDE semblent s’y retrouver. Les temps de transmission sont réduits, le timing de plus en plus serré, mais pour eux, cela reste un métier où il y a une marge de manœuvre. Ils continuent à dire qu’ils ont une maîtrise de leur travail, qu’ils ont de l’autonomie. En tous cas, ils sont très attachés à cette notion. » Pour la formatrice, cette aspiration à l’autonomie devrait être mieux prise en compte par les équipes encadrantes.
Pour Florence Oblin, étudiante en troisième année, les protocoles hospitaliers sont aussi ce qu’en font les infirmières : « Certes, les initiatives sont plus difficiles à prendre dans le cadre des protocoles. On peut craindre, si l’on prend une initiative, qu’elle ne soit pas suivie. En même temps, si elle fait ses preuves, et que cela a du sens, elle sera suivie. Le protocole peut également être utilisé pour se cacher derrière. ». L’autonomie pourrait rester un choix, à la portée de chacune.