Alain Giami Directeur de recherche à l’Inserm, et auteur de Infirmières et sexualité : entre soins et relation, Presses de l’EHESP, 2015
EXPRESSION LIBRE
La sexualité est partout : dans les médias, les conversations privées, les confidences, le cinéma, la littérature, l’éducation des jeunes, etc. Mais qu’en est-il dans le domaine du soin, et plus particulièrement dans celui du soin infirmier ? Peut-on penser que la sexualité, dans son acception la plus large, ne tient pas une place dans la pratique, les représentations et les émotions des infirmières, et dans la relation de soin qu’elles nouent avec les patients ? Dans les domaines de la médecine et de la santé, la sexualité occupe une place de plus en plus prépondérante, notamment avec le développement du concept de la « santé sexuelle » qui, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, associe la sexualité au bien-être physique, mental et social, et de la « médecine sexuelle », qui vise au traitement des dysfonctions et troubles sexuels. Se développent donc parallèlement deux façons de penser la sexualité avec, d’une part, la subjectivité, les émotions, les sentiments et les relations, et, de l’autre, l’accomplissement d’une fonction qui peut être altérée par les conséquences délétères de certaines pathologies et de leurs traitements, pouvant alors faire l’objet d’interventions médicalisées.
Si la sexualité est majoritairement pensée comme un besoin fondamental, un élément essentiel à la qualité de vie du patient, on oublie souvent que la relation entre l’IDE et les patients - qui est au cœur du soin - est parfois empreinte d’une certaine forme d’érotisation. Cette érotisation de la relation de soin peut faciliter la prise en charge de l’intime, l’écoute et le toucher, mais elle peut aussi être vécue par les soignantes comme une forme de harcèlement sexuel, quand elle est subie : propos insistants, contacts plus ou moins involontaires, allusions à peine masquées… Bien que la prise en compte de la sexualité en termes d’information et d’éducation est légitime et fait partie des obligations liées au rôle infirmier, paradoxalement, quasiment aucune formation sur cette thématique n’est proposée au cours de la formation initiale.
Or, quand elle relève de l’univers du soin, la sexualité apparaît comme ce qui pose problème, ce à quoi on ne sait pas répondre, ce qui déstabilise les soignantes, voire même suscite un certain malaise. Face à cette situation, certaines infirmières se retrouvent à « bricoler » des propositions en mobilisant des ressources liées à leur histoire et leur identité propres, autant que dans leur expérience professionnelle. Elles en arrivent ainsi à élaborer de véritables compétences informelles qui, tout en essayant de répondre aux demandes des patients dans le cadre de la relation construite avec chacun d’eux, s’articulent avec leurs dispositions personnelles par rapport à la sexualité : l’aisance, les connaissances, les conversations informelles, etc.
On peut donc légitimement se poser la question : toutes les infirmières doivent-elles aborder la sexualité, et ce, malgré des réticences personnelles propres aux unes et aux autres ? Ou faudrait-il une spécialisation dès lors que certaines font preuve d’aisance dans l’abord de ces questions ?