Le débat sur l’usage de la contention et de l’isolement en psychiatrie resurgit à l’aune des pratiques révélées par un récent rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. La loi de santé va-t-elle permettre de limiter les dérives ?
Traitement inhumain et dégradant », « violations graves des droits fondamentaux des patients » : la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, n’a pas mâché ses mots dans ses recommandations en urgence, émises le 8 février après une visite au centre psychothérapique de l’Ain (Bourg-en-Bresse). En cause, entre autres, le recours à la contention et à l’isolement « dans des proportions jamais observées jusqu’alors et non conforme aux règles communément appliquées ». Les contrôleurs ont relevé qu’en moyenne 35 des 46 chambres d’isolement de l’établissement étaient occupées chaque jour, avec, dans certains cas, des « prescriptions d’isolement […] faites pour sept jours et sans que le patient soit systématiquement examiné ». Le cas d’une patiente « isolée, attachée, depuis une date indéterminée » est signalé. Dans la foulée de ce compte-rendu alarmant, Adeline Hazan a épinglé ce type de pratiques lors de la présentation, mi-mars, de son rapport annuel d’activités, rappelant que la sécurité ne devait « en aucun cas » primer sur les soins ; la CGLPL a annoncé la publication, fin mai, d’un rapport thématique
Ces révélations ont suscité l’indignation, notamment du Collectif 39. Ce mouvement réunissant des professionnels en psychiatrie – né en réaction au discours de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy liant insécurité et psychiatrie – a dénoncé un « scandale » traduisant « une destruction lente et progressive des soins en psychiatrie ». De son côté, le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) a reconnu que « l’usage de ces pratiques constitue un sujet de préoccupation », tout en rappelant qu’elles « sont bien des prescriptions possibles ». « L’isolement peut intégrer au sein d’une collectivité de patients hospitalisés dans un même service le programme thérapeutique individuel d’une personne sans contrôle sur ses troubles, pour son apaisement et sa protection », a détaillé le syndicat.
Les interrogations autour de ces mesures ne sont pas nouvelles ; elles ont déjà été soulevées dans de précédents rapports du CGLPL. En 2014, le député PS du Loir-et-Cher, Denys Robiliard, dénonçait lui aussi, dans un rapport d’information, un « recours problématique à la contention et à l’isolement » et avançait des propositions. Sur le terrain, une majorité de soignants semble confirmer la tendance au retour de la contention, qui avait quasiment disparu depuis les années 80, et à l’augmentation du placement en isolement. « Aucun soignant n’aime recourir à la contention, justifie Nathalie Pawlowski, infirmière de secteur psychiatrique (ISP) au CH de Martigues (13) et référente du collectif psychiatrie pour la Coordination nationale infirmière (CNI). Quant à la mise en isolement, elle répond, chez nous, à un protocole. Ce sont des actes réfléchis, même s’il peut effectivement y avoir des dérives. »
En tête des raisons avancées pour expliquer le recours croissant à ces pratiques, le manque de soignants. « En psychiatrie, nous avons besoin de l’humain, souligne Nathalie Pawlowski. La contention pallie le manque de personnel. Que peut faire une infirmière seule aux urgences psychiatriques devant un patient très agité ? ». Autres facteurs cités, la disparition de la spécialisation infirmière en 1992, le manque d’expérience et le turn-over important des équipes. « Les jeunes diplômés ne sont pas “armés” face à la violence de patients psychotiques, poursuit la référente du CNI. Ils découvrent le milieu psychiatrique avec appréhension. Pour gérer la peur, il faut savoir dialoguer, avoir une connaissance approfondie des pathologies et bénéficier d’une transmission des savoirs par les anciens. Le soin relationnel, cela s’apprend avec le temps. Si le turn-over était moins important, et la formation initiale plus solide, cela irait beaucoup mieux. » Le CNI milite ainsi pour la création d’une spécialisation infirmière au niveau master. « Il faut également former des infirmiers cliniciens et chercheurs, ajoute Dominique Friard, infirmier superviseur, vice-président de l’association Serpsy (Soin étude et recherche en psychiatrie). Une telle offre universitaire peut renforcer l’attractivité de la psychiatrie et limiter le turn-over. »
Dans ce contexte, la loi de santé, promulguée en janvier dernier, peut-elle inverser la tendance ? « Nous assistons à un changement de paradigme, analyse Dominique Friard. L’article 72 affirme désormais que ces mesures sont de dernier recours. » Le législateur impose la tenue d’un registre où doivent être reportées les mesures de contention et d’isolement. « C’est une avancée, estime le Dr Roland Bouet, pédo-psychiatre au CH Henri Laborit de Poitiers (86). Il permettra de faire sortir ces situations de l’obscurité où elles sont parfois. » Pour Nathalie Pawlowski, ce traçage est positif, à condition qu’il ne soit ni « un flicage », ni chronophage pour les soignants. Encore faut-il qu’il soit mis en place dans les établissements, la CGLPL ayant constaté que « cette loi n’est pas en application ». La législation n’est pas le seul ressort. De nouveaux outils de prévention sont en cours de constitution par la Haute Autorité de santé (HAS). « Il s’agit d’améliorer la préparation des équipes à la prise en charge des actes de violence, explique le Dr Roland Bouet, chargé de projet au sein d’un des deux groupes de travail planchant pour la HAS
1- Le rapport n’était pas disponible à l’heure où nous rédigions ces lignes. À suivre sur Espaceinfirmier.fr.
2- Travaux en cours de la HAS intitulés « Mieux prévenir et prendre en charge les moments de violence dans l’évolution clinique des patients adultes lors des hospitalisations en services de psychiatrie ».
Constatez-vous un retour de la contention et de la mise à l’isolement ?
Je pense en effet qu’il y a une légère augmentation de ces pratiques. Cela s’explique d’abord par l’évolution de la formation des soignants. Les IDE ont moins d’enseignement de psychiatrie, mais aussi moins de pratique. La formation des psychiatres a, elle aussi, changé, trop axée sur la neurobiologie parfois au détriment de l’approche relationnelle. Par ailleurs, les moyens ont été réduits : moins d’IDE, quasiment plus de psychiatres, moins de lits… La pression sécuritaire croissante pour éviter les sorties sans autorisation (ou « fugue du patient ») est un autre facteur.
Comment prévenir ces pratiques ?
Outre une réforme de la formation, il faut mettre en place des réunions cliniques et d’éthique afin que les soignants puissent réfléchir ensemble à leurs pratiques. La communication entre psychiatres et infirmiers, à cet égard, est importante. Par ailleurs, dans les cas où la contention ou l’isolement sont nécessaires, il faut faire en sorte de faire vivre le soin, d’être bienfaisant, en allant voir régulièrement le patient, en faisant preuve de sollicitude à son égard, en le faisant se sentir humain.
La loi de santé peut-elle faire évoluer ces usages ?
La loi induit des changements dans les pratiques. Elle affirme que ces mesures ne peuvent pas être prises sur la seule initiative infirmière, qu’elles impliquent une décision d’un psychiatre après discussion en équipe, une réévaluation régulière et qu’elles ne peuvent pas être mises en place pour prévenir une sortie sans autorisation, permettant ainsi de sortir de la pression sécuritaire. Enfin, la tenue d’un registre peut faire prendre conscience aux soignants que ces mesures ne sont pas anodines.
PROPOS RECUEILLIS PAR C. B.
1- Co-auteur de « Usage de la contention en psychiatrie : vécu soignant et perspectives éthiques », L’Encéphale, 2013, vol. 39, issue 4.