SANTÉ AU TRAVAIL
DOSSIER
Faire progresser l’égalité entre les sexes par l’amélioration de l’organisation du travail, tel est l’enjeu de l’examen des problématiques de santé au travail sous l’angle du genre.
Les chiffres interpellent… « Alors qu’on constate une baisse globale des accidents du travail entre 2001 et 2011, on observe une augmentation de ceux qui touchent les femmes », affirme Florence Chappert, responsable de projet sur les conditions de travail des femmes et des hommes au sein de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Et de préciser : « Si les accidents du travail concernent toujours majoritairement les hommes, ils sont en baisse de 18,6 % pour ces derniers mais en hausse de 21,8 % chez les femmes. À ce jour, nous avons peu d’éléments pour expliquer cela. »
En France, une analyse genrée de la santé au travail se développe depuis quelques années et produit des données dispersées. La faute probablement au maquis des registres statistiques et aux difficultés pour effectuer des rapprochements entre des bases trop diverses. « Ainsi, la situation comparée pourra donner des résultats très contrastés selon les catégories mobilisées (mortalité, pathologies reconnues dans le système AT/MP, troubles infra-pathologiques, symptômes, etc.) », précise Anne-Marie Nicot, chargée de mission à l’Anact, dans un rapport consacré aux facteurs de risques psychosociaux au travail
Néanmoins, la recherche progresse et on découvre qu’en plus de ne pas réagir de la même manière aux risques que les hommes, les femmes sont en plus exposées à des risques spécifiques. Ainsi, elles sont plus nombreuses à subir des accidents de trajets (+ 28,5 %), alors que le nombre d’hommes concernés stagne (- 0,15 %). « Là, des hypothèses sont avancées, par exemple sur le fait qu’elles sont plus nombreuses à devoir concilier activité professionnelle et vie privée, ce qui les amène à se presser et multiplier les déplacements pour passer de l’un à l’autre, ou qu’elles effectuent davantage de trajets à pied et en transports en commun », explique Florence Chappert.
Les femmes se disent par ailleurs davantage exposées au stress sur leur lieu de travail : une sur trois contre un homme sur cinq. Des indicateurs révèlent globalement une souffrance mentale imputable au travail plus importante pour les femmes que pour les hommes, dans des proportions variables : 5,2 % contre 2,5 % dans l’enquête Samotrace sur la santé mentale au travail, dont les résultats ont été publiés en 2009, mais 1,8 % contre 1,3 % selon le programme MCP (basé sur le diagnostic de médecine du travail).
Sur le plan des maladies professionnelles, qui sont en hausse régulière (+ 127,3 % entre 2001 et 2011, selon la Cnamts), l’augmentation concerne encore davantage les femmes (+ 178,5 %) que les hommes (+ 91,9 %). « Probablement parce que les femmes ont investi des champs du travail où les risques sont peu évalués et les politiques de prévention quasi inexistantes », poursuit l’experte. Depuis 2010, le nombre de maladies professionnelles chez les femmes a même dépassé celui des hommes.
Mais pour les professionnels de la santé au travail, l’évolution des connaissances tarde à se traduire dans la pratique. « C’est une approche encore très récente », admet Véronique Bacle, infirmière en santé au travail et secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Virginie Le Coguic, présidente du Groupement des infirmiers du travail (GIT), fait, elle, remarquer que l’approche ne figure pas dans l’actuel plan de santé au travail (2016-2020) concocté par les organisations patronales et les organisations syndicales : « Celui-ci met l’accent sur d’autres priorités, comme la prévention des risques psychosociaux ou le risque d’exposition chimique, explique-t-elle. Du coup, l’approche genrée est davantage travaillée par les services des ressources humaines des entreprises que par la santé au travail. »
Florence Chappert le reconnaît : « Le code du travail a longtemps nié les différences hommes/femmes, et à juste titre, car on craignait de générer des stigmatisations, en bref que cela conduise à moins embaucher les femmes sur certains postes. Mais cela va changer puisque la loi pour une égalité réelle entre les hommes et les femmes, votée en août 2014, oblige les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place des indicateurs de santé et sécurité au travail selon le sexe au même titre que ceux concernant la carrière ou la rémunération. » En souhaitant que les différents textes et politiques en faveur de l’égalité professionnelle remisent désormais les craintes de discrimination au placard.
Les infirmières de santé au travail (IST), qui suivent des cours sur l’approche genrée dans le cadre de leurs nouvelles obligations de formation
En attendant que les professionnels de santé au travail puissent affiner leurs approches et modes d’intervention, l’Anact et les Aract (associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail) poursuivent la démarche engagée depuis 2008. Sur la question du genre, elles interviennent à la demande des entreprises alertées par des problèmes de santé au travail concernant les femmes ou sur des questions de mise en conformité avec les textes sur l’égalité professionnelle. « Pour cela, nous avons besoin de statistiques sexuées, mais aussi d’une observation fine des postes occupés et des évolutions de carrière, ainsi que l’articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale – ce que nous appelons le travail et le hors travail », résume Florence Chappert. Car tous ces éléments expliquent que les mêmes expositions n’auront pas les mêmes effets sur les hommes et sur les femmes.
Et de citer l’exemple de cette imprimerie, où l’Aract de Basse-Normandie est intervenue pour comprendre les raisons d’une recrudescence de plaintes pour douleurs parmi les employés. L’employeur avait particulièrement constaté une augmentation de l’absentéisme féminin. L’analyse révélera que dans une même équipe, les femmes ne subissaient pas les mêmes douleurs que les hommes, qu’elles n’étaient pas affectées exactement aux mêmes postes et que ceux-ci généraient 100 % des maladies professionnelles reconnues dans l’entreprise. Au-delà, alors que l’employeur avait tenté d’améliorer la mixité de ses équipes, on découvrit même que les hommes étaient davantage mobiles et quittaient rapidement les postes qui ne leur convenaient pas pour évoluer dans l’entreprise ou ailleurs, quand les femmes y demeuraient, aggravant l’impact sur leur santé, parfois jusqu’à l’inaptitude professionnelle.
Ces travaux ont finalement amené l’entreprise à repenser son équipement pour que les femmes puissent accéder à tous les postes, y compris ceux ouvrant la porte à des évolutions de carrière, à rendre plus ergonomiques ceux qui généraient des maladies professionnelles. « Il faut mailler santé au travail et égalité professionnelle pour améliorer les conditions de travail de tous », conclut Florence Chappert.
1- Anne-Marie Nicot, « Les facteurs psychosociaux de risques au travail et la santé : une approche par genre des données statistiques nationales », Anact 2014.
2- Le décret du 30 janvier 2012 impose une formation supplémentaire, de type DIUST ou licence, aux infirmières de santé au travail.
→ « Comment prendre en compte le genre dans les démarches d’amélioration des conditions de travail », une présentation multimédia de l’Anact (http://bit.ly/1ZKFK2N).
→ Le collectif interassociatif Femmes et VIH (www.femmesetvih.org)
→ L’institut Émilie du Chatelet pour le développement et la recherche sur les femmes, le sexe et le genre (http://bit.ly/1tlW6UQ).
En termes de maladies professionnelles, les femmes sont davantage touchées par les troubles musculosquelettiques (TMS) que les hommes, eux, davantage concernés par les cancers. Les plus vulnérables à ces troubles sont les ouvrières, qui sont particulièrement concentrées dans les activités les plus à risque : 17 % d’entre elles travaillent dans les activités où le taux de fréquence des TMS est le plus élevé (supérieur à 30), contre 6 % des ouvriers. « Ce risque accru provient aussi du fait que le travail des femmes est plus répétitif, et qu’elles disposent d’une latitude décisionnelle plus faible pour le mener à bien », analyse Anne-Marie Nicot dans son rapport. Selon l’enquête européenne Presst Next, qui s’est déroulé entre 2004 et 2006 au sein de dix pays, les TMS représentent le principal problème de santé déclaré par le personnel soignant et la première cause de maladie professionnelle indemnisable dans la fonction publique hospitalière.