L'infirmière Magazine n° 373 du 01/07/2016

 

INTERVIEW : Maryse Saliou-Legeas cadre de santé formatrice à l’IFSI de Brest

DOSSIER

Dans le cadre d’un mémoire de master de recherche effectué en 2011-2012, Maryse Saliou-Legeas s’est penchée sur l’influence du genre dans la profession infirmière. Son travail révèle des perceptions genrées de la fonction qui tendent à s’effacer avec l’expérience.

L’INFIRMI"RE MAGAZINE : Pourquoi avez-vous eu envie de travailler sur cette thématique ?

MARYSE SALIOU-LEGEAS : En licence, j’avais déjà travaillé sur le genre. Et j’avais perçu qu’en équipe, l’homme avait un statut à part, davantage valorisé par les médecins et les patients. Dans les services, j’entendais même souvent : « Ça fait du bien d’avoir un homme dans l’équipe, ça change l’ambiance. » Je me demandais pourquoi. Avaient-ils une approche différente du soin ? Je m’étais également aperçue que mes collègues cadres masculins accédaient plus rapidement à des postes à responsabilité. Et que les quelques infirmiers s’orientaient davantage vers le libéral, le bloc et les urgences. J’ai donc voulu m’engager dans une démarche compréhensive, faire un travail qualitatif plutôt que quantitatif pour tenter de comprendre.

L’I. M. : Quels ont été vos résultats ?

M. S.-L. : De nombreux infirmiers et infirmières m’ont affirmé que la relation était différente avec les patients. Par exemple, dans l’approche des soins intimes, la relation spontanée des hommes serait plus franche, mais la relation professionnalisée, en termes de relation d’aide, relèverait d’une approche plus féminine. Dans la gestion des moments de tension, ce serait spécifiquement les hommes que l’on enverrait en première ligne. Et même dans les pratiques de gestion, on considère qu’ils seraient plus à l’aise avec l’informatique… Les étudiants m’ont aussi confié qu’un encadrant homme était très différent d’une femme. Et puis, en interrogeant celles et ceux qui avaient davantage d’expérience professionnelle, je me suis aperçue que ces distinctions étaient surtout ressenties en début de carrière. Ensuite, hommes et femmes s’inspirent mutuellement(1). Ainsi, avec l’expérience, les hommes disent qu’eux aussi sont touchés par les situations, que gérer une contention n’est pas simple pour eux… J’ai également observé une plus grande motivation des hommes pour le cure que pour le care ; ce qui expliquerait qu’ils sont plus nombreux à se diriger vers les services de réanimation, d’urgence ou le bloc. Le désir d’autonomie est également plus fortement exprimé par les hommes, d’où leur appétence pour le secteur libéral. Enfin, en ce qui concerne leur ascension dans la hiérarchie, cela semble lié à leur volonté de prendre des postes à responsabilité, à leur envie de reconnaissance.

L’I. M. : Le genre a-t-il une influence dans l’organisation du travail des équipes ?

M. S.-L. : En psychiatrie, il m’a clairement été rapporté qu’il existait des modalités d’intervention (une alarme) intimant aux infirmiers de quitter leur poste de travail pour aller aider un/e collègue en situation d’urgence. Mais à part cela, dans les équipes, chacun trouve sa place. Même s’il est possible qu’au moment du recrutement, des préférences s’exercent. En tout cas, au niveau du concours d’entrée en Ifsi, il n’existe aucune consigne visant à favoriser les hommes.

L’I. M. : Faites-vous les mêmes observations aujourd’hui ?

M. S.-L. : Oui, je vois des étudiants parfois en difficulté pour entrer dans le care. De retour de stage, les garçons évoquent souvent l’influence de leur genre. Ils vont s’interroger sur un refus de toilette par une patiente, demander si c’est normal et comment ils doivent y répondre. Tout en étant conscient de la difficulté, par exemple pour une femme âgée ou pratiquante, de se montrer nue devant un homme. Il existe une culture du genre socialement construite qui les entraverait. Or, ce n’est pas parce qu’on entre en Ifsi qu’on abandonne tout ce qui fait notre culture. Il y a aussi toute l’histoire de la fonction soignante, longtemps assurée uniquement par des femmes. Pourtant, j’entends maintenant des infirmières parler de ces « nouveaux infirmiers » qui revendiqueraient leur sensibilité, leurs émotions, etc. Les plus jeunes auraient un rapport nouveau au travail, sans pour autant se sentir remis en question dans leur masculinité.

L’I. M. : Ces différences de genre et leur influence sur le soin sont-elles abordées pendant la formation ?

M. S.-L. : En termes de facteurs de risque, elles sont abordées pendant le cursus initial. Mais peut-être fait-on un peu fi de la dimension sexuée du patient pour ce qui concerne la prise en charge.

1- C’est une illustration de la théorie du genre qui observe une logique de rapprochement par emprunts mutuels et par révélation, que Marie-Laure Déroff développe dans son ouvrage Homme/femme : la part de la sexualité. Une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, publié aux Presses universitaires en 2007.

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