L'infirmière Magazine n° 373 du 01/07/2016

 

AUTISME

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Laetitia di Stefano  

Un cirque pas comme les autres… Un lieu épique et atypique. Sous ses chapiteaux, l’association Turbulences ! accueille des adultes autistes et les forme à différents métiers, artistiques ou non.

D’une sériosité je suis »,« Je m’observe dans ma tête »… Autant de perles glanées au fil des conversations quotidiennes entre les apprentis et l’équipe de Turbulences !(1), et placardées aux portes des cabanons. Coincé entre de hauts immeubles et le périphérique parisien, le lieu rappelle un certain village d’irréductibles. « Nous avons ouvert les chapiteaux en janvier 2007 », indique Philippe Duban, fondateur et directeur de cette structure unique dédiée à la formation et l’insertion professionnelle d’adultes souffrant d’autisme ou de troubles apparentés, les « turbulents », comme il les appelle. « J’ai rencontré, il y a 24 ans, Howard Buten, fondateur de l’institut médico-éducatif Adam Shelton (Saint-Denis). Sensibilisé à la question de l’autisme par le travail de ce psychologue, je me suis lancé dans l’animation d’ateliers à l’hôpital Santos Dumont (Paris 15e) », rappelle l’homme de théâtre. Aujourd’hui, les 29 salariés et les 12 apprentis, tous « turbulents », travaillent, chaque jour, sur les différents pôles des chapiteaux : cuisine, régie, multimédia/communication… Àgés de 18 à 50 ans, les turbulents vivent auprès de leur famille ou dans un foyer. Certains ont intégré celui de l’association, inauguré en janvier 2015. « C’était un pas de plus vers l’autonomie, qui reste l’objectif majeur de notre association : être un adulte, travailler, avoir son logement », explique Anne Hervin, psychologue. Deux jours et demi par semaine, elle est présente, en soutien. « Le soin n’est pas la vocation première de Turbulences !, mais j’essaie de faire des ponts avec les projets professionnels et les équipes soignantes extérieures. Il arrive que je suive l’un des turbulents, pour qui l’accès à l’extérieur est difficile, faute d’un cadre approprié », souligne la psychologue.

J’y suis, j’y reste

Aux chapiteaux, on y reste… longtemps ! « De fait, il y a peu de turn-over », relève Fabienne Lavanchy, coordinatrice artistique. Au quotidien, les turbulents travaillent de 9 heures à 16 heures, avec un planning pour les ateliers, établi pour l’année : musique, batucada, danse urbaine, écriture, trapèze, chant polyphonique…, conduits par des professionnels. Guénolé Lebrun, l’un des quatre éducateurs de la structure, anime aussi des ateliers clowns, masque et conte. « Comme chacun a son éducateur référent, les turbulents sont toujours accompagnés. Ils sont tous impliqués dans la création artistique, que ce soit sur scène, en régie, au service », insiste Fabienne Lavanchy. Ce sont souvent des ateliers qui débouchent sur un spectacle, comme ce fut le cas pour Nous, pièce chorégraphiée par Anatoli Vlassov où les turbulents, seuls en scène, se mêlent aux spectateurs, installés au milieu du chapiteau… Ou pour le spectacle de danse et trapèze Éclats de vie, créé par Laëtitia Rancelli. Pour Pampa, dernière création en date, la troupe a traversé l’Atlantique, et retrouvé des amis : le théâtre communautaire argentin Catalinas Sur. D’un spectacle à l’autre, les turbulents évoluent comme s’épanouissent les enfants. Protégés mais autonomes. « Pour le carnaval, je me déguiserai en personne normale. » Une perle de plus.

1- Créée en 1992 Turbulences ! s’est dotée en 2007 d’un espace artistique et culturel, « Les chapiteaux turbulents ! » qui intègre un établissement et service d’aide par le travail (Esat) et une section d’adaptation spécialisée (SAS).

TÉMOIGNAGE

« Une autre image de l’autisme »

DAVID SIMON 34 ANS, TURBULENT DEPUIS 9 ANS ET RÉSIDENT DU FOYER DE L’ASSOCIATION

« J’occupe deux postes, l’un en restauration, l’autre en tant qu’artiste. On s’occupe de la nourriture pour les encadrants et les travailleurs. Une cuisine simple, mais de qualité. J’aide aussi les plus jeunes, je les rassure parfois. En ce moment, avec la troupe, on fait des masques et un travail de clown. Moi, je présente aussi les spectacles, comme M. Loyal. Je n’ai plus le trac, car maintenant, j’ai l’habitude. Ici, ça me plaît : on nous guide, mais on ne fait jamais à notre place. On veut donner une autre image de l’autisme : dire que c’est possible de faire de belles choses même si on a des difficultés. »