L'infirmière Magazine n° 373 du 01/07/2016

 

CANCER DU SEIN

ACTUALITÉS

ADELINE FARGE  

Cancers de l’intervalle et surdiagnostics alimentant les débats, le dépistage organisé du cancer du sein n’emporte pas un franc succès. Chargé d’une concertation nationale sur ce dispositif, l’Inca a tiré au sort des citoyennes et des professionnels.

Virginie Kandja « Certaines femmes sont lâchées dans la nature »

Quel est l’intérêt pour les femmes de se tourner vers le programme de dépistage du cancer du sein ?

Bien trop souvent, les patientes arrivent en consultation lorsque leur maladie est déjà à un stade avancé. En se faisant détecter un cancer du sein précocement, les femmes ont l’opportunité d’éviter des traitements chimiothérapiques lourds, traumatisants, et d’en arriver à des situations dramatiques pour elles­mêmes, mais aussi pour leur entourage. Cependant, on constate un manque d’évaluation de l’efficience et du coût financier de ce programme de santé publique. Le taux de participation reste faible.

Comment améliorer ce chiffre ?

La priorité est de rendre les femmes actrices de leur santé. Pour les aider à prendre la décision de se faire dépister ou non, les professionnels doivent leur apporter des réponses pertinentes sur les bénéfices et les risques de ce programme : faux positifs, cancers de l’intervalle (1)...
Ces informations doivent être accessibles à toutes, quel que soit le contexte socio­économique. Trop de femmes issues des milieux défavorisés n’ont pas accès au dépistage (2). Il faut garantir une absence d’avance de frais pour l’échographie complémentaire.

Des experts préconisent de revoir à la baisse la borne d’âge du dépistage. Qu’en pensez­vous ?

Des études récentes révèlent que les cancers apparaissent de plus en plus avant 50 ans. Les modes de vie ont changé. Les femmes boivent, fument, mangent gras, prennent la pilule...
Des experts préconisent donc de dépister dès 40 ans. Mais l’intervalle des deux ans entre deux dépistages est à maintenir. Même si les radiations reçues lors d’une mammographie sont minimes, les femmes ne doivent pas être exposées de manière récurrente. De plus, il faut les inciter à respecter cet intervalle. Si l’examen précédent ne s’est pas bien déroulé, si elles ont été mal accueillies ou ont ressenti une appréhension avant l’annonce des résultats, elles ne renouvelleront pas l’expérience.

Les femmes reprochent aussi un manque d’humanisation lors du dépistage. Quelles pratiques doivent adopter les professionnels ?

La mammographie est souvent un moment douloureux et angoissant. Pour améliorer l’accueil et la prise en soins, la conférence des professionnels recommande de considérer la charge émotionnelle inhérente à cet acte, mais aussi de former et d’informer le personnel des structures spécialisées vers lesquelles orienter leurs patientes après la détection de cellules cancéreuses.
Certaines se retrouvent lâchées dans la nature. Il est indispensable de renforcer la cohésion entre les différents partenaires de santé (médecins traitants, oncologues, gynécologues, psychologues, infirmières) si l’on veut réduire les délais d’attente entre chaque étape du parcours de soins et proposer un accompagnement global. Offrir un suivi tenant compte tout autant du bien­être de la personne que de son environnement économique et social est primordial.
Faute de temps, les professionnels s’arrêtent parfois à l’acte technique de la prise en charge au détriment du soin relationnel.

Séverine Laporte « Le dépistage individuel est souvent perçu à tort comme plus efficace »


L’Inca a convié un panel de 27 femmes à donner leur avis sur le programme de dépistage du cancer du sein. Pourquoi avoir accepté cette invitation ?

La démocratie participative ! J’ai souhaité avant tout collaborer à une démarche citoyenne. Tenir compte de l’avis des femmes, premières concernées par ce dépistage, garantit la neutralité de cette politique de santé publique. Les parties prenantes ne doivent pas être les seules à se saisir du sujet. Ces dernières années, une polémique sur l’efficacité de ce dépistage a vu le jour. Comme dans la plupart des pays européens, les études chiffrées sur les bénéfices pour la santé et le coût pour la société sont peu nombreuses. Or, ce programme mériterait d’être réévalué régulièrement au regard des objectifs fixés.

Un manque de données publiques qui n’incite pas au dépistage...

La priorité ne doit pas être d’améliorer le taux de participation, mais de renforcer l’accès à l’information. Les risques associés à ce programme ne sont pas évoqués. Les faux positifs et les sur­diagnostics, qui affectent la qualité de vie, sont pourtant bien réels. Des données impartiales et complètes doivent être transmises aux femmes pour les aider à faire un choix éclairé. Ce taux pâtit aussi des inégalités géographiques et économiques sur le territoire. Il n’est pas toujours facile de poser une demi­journée de congé pour se rendre dans un centre de radiographie. Par crainte de découvrir qu’elles sont malades, des femmes renoncent aussi à se faire dépister.

Le déremboursement du dépistage individuel est proposé par la conférence professionnelle. Qu’en pensez­vous ?

Aujourd’hui, médecins traitants et gynécologues peuvent prescrire le dépistage individuel. Certaines femmes imaginent que plus elles se font dépister, mieux elles se porteront. Cela n’est pas démontré. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les examens radiologiques à répétition et réalisés trop tôt augmentent le risque de cancer. Seule la population à risque devrait bénéficier du dépistage individuel, souvent perçu à tort comme plus efficace. Pour réguler la prescription de cet examen et favoriser l’accès au dépistage de celles qui ne sont que peu suivies par un médecin, le dépistage organisé a été mis en place. Mais, la confusion reste grande entre ces deux systèmes.

Quelles sont les pistes d’amélioration proposées par les citoyennes ?

Les femmes reprochent souvent un manque d’humanité dans l’accueil et la prise en charge. La douleur et le stress générés par la mammographie sont sous­estimés. Les médecins traitants doivent reprendre toute leur place dans ce programme. Ils connaissent leurs patientes et peuvent adapter les recommandations à leur profil. Bien avant leurs 50 ans, les femmes doivent être informées des facteurs de risque du cancer et des bonnes pratiques en matière d’alimentation et d’hygiène de vie. La politique de lutte contre le cancer du sein est trop orientée autour du dépistage. Le volet prévention ne doit pas être écarté.

REGARDS CROISES

Virginie Kandja, membre de la conférence professionnelle

> 2008 : DE infirmière. Exerce en oncologie, réanimation et hémodialyse dans le secteur privé > 2013 : ouvre un cabinet libéral > 2015 : fondatrice dirigeante de Koori santé, société de services

Séverine Laporte, membre de la conférence citoyenne

> 2001 : diplôme de l’École nationale supérieure de chimie de Rennes (35) > 2002 : ingénieure chimiste dans la région Centre > Octobre 2015 : tirée au sort par l’Inca

POINTS CLÉS

Programme.

Alors que le cancer du sein provoque chaque année 11 900 décès, le programme de dépistage instauré en 2004 incite les femmes de 50 à 74 ans qui n’ont pas d’antécédents à réaliser une mammographie tous les deux ans. Un examen pris en charge à 100 %.

Résultat.

Si 17 000 cancers ont été détectés en 2014 (un tiers de ceux diagnostiqués dans l’année), le taux de participation reste de 52 %.

Bénéfices/Risques.

Le dépistage organisé permettrait de réduire de 15 à 21 % la mortalité par cancer du sein. Mais il est impossible de distinguer les cancers nocifs de ceux qui évolueront sans conséquences (10 à 20 %). Ce « surdiagnostic » engendre un « surtraitement ».

Concertation.

Le ministère de la Santé a chargé l’Inca d’organiser une concertation nationale sur le dispositif. Dès octobre 2015, citoyennes, professionnels, associations et institutions ont été invités à s’exprimer sur concertation­depistage.fr. Le 28 mai, citoyennes et professionnels ont présenté leurs recommandations. Un rapport final sera remis au ministère, qui rendra public unplan d’actions à l’automne.