Un an déjà que leur aventure a commencé : d’abord en Guyane, puis au Brésil pendant plus de six mois. À bord de leur van, Florence et Yohan – elle est manipulatrice radio, lui, infirmier – s’improvisent reporters et photographes en captant les différentes pratiques soignantes aux quatre coins du monde.
Juin 2015. Après un an de travaux divers sur notre van, nous le chargeons enfin à bord d’un navire, au port de Saint-Nazaire (44), direction l’Amérique du Sud. Ce jour-là, le temps est plutôt morose dans la banlieue nantaise, mais rien ne peut ternir notre joie ! Nous avons encore du mal à réaliser que cette aventure - une idée née en 2012 pendant nos études à l’Ifsi de Touars (79) pour l’un et l’Institut de formation de manipulateurs d’électroradiologie médicale (Ifmem) du CHU de Poitiers (86) pour l’autre – allait enfin démarrer ! Un rêve d’abord fou – parcourir le monde pour y découvrir les diverses pratiques soignantes et les partager avec nos confrères français, tout en conjuguant notre passion pour les voyages et la photographie –, motivé par l’envie d’autre chose… Nous ne voulions pas d’une vie, d’un parcours tout tracé, ou de cette impression de stagnation pendant que défileraient les années. Au contraire, nous rêvions de découvrir le monde… Et pour ce voyage, en plus de nos diplômes en poche, il était indispensable de s’équiper correctement : matériel vidéo, cordes, bâches, réchaud à gaz, lampes frontales, lingettes à usage unique, couteau suisse et plusieurs cartons de pansements offerts par un laboratoire. Les portes du conteneur se referment sur le van, nous prenons enfin le large…
Notre première escale se fait en Guyane française. Quatre mois pendant lesquels nous intégrons un service hospitalier : Florence au service de radiologie d’une clinique de Cayenne, et Yohan, le centre hospitalier de l’Ouest guyanais Franck Joly (CHOG), à Saint-Laurent-du-Maroni, la deuxième plus grande ville de Guyane après Cayenne. Cet établissement public de santé compte 183 lits, dont 83 en MCO, 6 places d’hôpital de jour en médecine, et 19 places d’hôpital de jour en pédiatre/soins intensifs/néonatalogie. Je suis affecté au service infirmier de compensation et de suppléance (SICS), un pool qui assure des remplacements dans tous les services de l’hôpital. Cette prise de poste ne se fait pas sans crainte, car il s’agit de ma première affectation en tant qu’IDE… d’autant que le SICS requiert des connaissances pointues dans plusieurs spécialités. Autant dire que les premiers jours, je suis à la fois nerveux et fébrile !
Le CHOG est situé sur les berges du Maroni, ce fleuve frontière qui sépare le Suriname de la Guyane. Plus qu’un hôpital, il est le premier employeur de la ville avec 588 employés en 2015. Ici, 69 % de la population a moins de 29 ans (Insee, 2012) et le taux de natalité est deux fois plus important qu’en métropole, avec 4 enfants par femme (Insee, 2015). Une bonne part des 80 entrées quotidiennes concerne d’ailleurs les enfants en bas âge tant en pédiatrie que dans les autres services : en chirurgie pour des brûlures importantes, fractures ou abcès, ou aux urgences, pour des malnutritions, des déshydratations ou des morsures de serpent…
Mais l’hôpital manque de place et n’a pas les moyens – tant humain que structurel – pour accueillir autant de patients : la plupart des chambres sont doubles et exiguës, la climatisation est absente malgré des températures moyennes de 35 °C, un taux d’humidité avoisinant les 80 à 90 % toute l’année, la peinture défraîchie… Difficile, dans ces conditions, de garantir des soins confidentiels ou de simplement passer outre les difficultés en matière d’hygiène, de sécurité et de confort. Devant l’impossibilité de réhabiliter les bâtiments actuels, classés monument historique, la construction d’un nouvel hôpital a été décidé
Au fil des jours, au sein du service de médecine, je me familiarise avec les pathologies récurrentes et parfois typiques à un tel climat tropical : drépanocytose
Au bout de quelques jours, j’ai droit à mes premières gardes aux urgences. Certains patients, soupçonnés d’avoir ingéré des « boulettes » de stupéfiants, sont amenés par les gendarmes ou les douaniers de la PAF (police aux frontières) pour une radio de contrôle. Face au nombre élevé de ces « mules » – la Guyane et le Suriname sont tristement connus comme étant d’importantes plaques tournantes du trafic de drogue –, l’hôpital a mis en place un protocole de soins spécifique : surveillance des constantes en raison du risque important d’overdose en cas d’explosion d’une boulette dans le tube digestif ; et administration de laxatifs oraux. Après une première consultation médicale, nous devons garder le patient menotté et à jeun durant le temps de sa garde de vue, soit 48 heures. Passé ce délai, s’il n’a pas évacué ses boulettes, il est relâché mais immédiatement pris en charge par des gendarmes. Le procureur de la République peut alors décider de le remettre en garde à vue pendant 48 heures et de relancer le processus : hospitalisation jusqu’à l’évacuation complète des boulettes.
Aux urgences, vu la précarité et le chômage qui sévissent à Saint-Laurent-du-Maroni, les situations sont souvent complexes : des femmes surinamaises choisissent de traverser le fleuve pour accoucher en terre française ; certaines mères déposent leur enfant aux urgences dans un état critique et reviennent au bout de 48 heures après avoir fait les courses ; l’absence de couverture sociale pour beaucoup (n’ayant pas de papiers) ; le nombre de patients hospitalisés bénéficiant de la CMU ou de l’AME
La sage-femme que Florence a consultée n’émettant aucune contre-indication à la poursuite de notre voyage, nous reprenons la route, direction le Brésil. Au sud de la Guyane, le fleuve Oyapock fait office de frontière avec le pays de la samba. Un pont, construit en 2011, relie les deux pays… mais il n’a pas encore été officiellement inauguré. Pour traverser le fleuve et passer la frontière avec notre véhicule, nous n’avons d’autre choix que de marchander pour prendre une « barque ». Après une heure de négociation et 20 minutes de traversée, nous posons enfin nos quatre roues motrices sur le sol brésilien. 120 km de piste en pleine forêt amazonienne nous séparent de Macapa, la prochaine grande ville. Les ennuis mécaniques nous tombent rapidement dessus, mais nous découvrons l’exceptionnelle solidarité et bienveillance de la population.
Nous avons rendez-vous à São Luìs avec João, un anthropologiste médical qui forme à l’université des étudiants en soins infirmiers et en médecine. Direction le sud pour traverser le fleuve Amazone : plus de 24 heures à bord du ferry pour atteindre l’autre côté du fleuve dans la ville de Belém. Professeur engagé, João connaît bien le système de santé brésilien et a une opinion assez tranchée sur la politique menée dans son pays. Il nous parle de la crise politique sans précédent que connaît le pays – une procédure de destitution pour corruption a été lancée contre Dilma Roussef, l’actuelle présidente de la République
Le « sistema unico de saude » (SUS), service de santé unique, permet un accès gratuit et universel aux services publics de santé qui regroupent médecins généralistes et spécialistes, et aussi en cas d’hospitalisation. Ainsi, les cotisations prélevées à la source sur le salaire des Brésiliens sont collectées par le gouvernement, puis redistribuées aux états et, enfin, aux municipalités. Dans les structures privées, les soins sont payants ; ils ne sont pas pris en charge par le SUS, mais peuvent l’être par le biais de polices d’assurance, souvent à un coût exorbitant. Le suivi de grossesse de Florence devra être fait tout au long de notre périple au Brésil : l’occasion d’étudier de près ce système de santé. Une infection urinaire la conduit d’ailleurs aux urgences de São Luìs. Le médecin urgentiste lui prescrit un bilan sanguin et un examen cytobactériologique des urines que nous réalisons dans l’enceinte de l’hôpital. À notre grande surprise, nous n’avons rien à payer : João nous explique que les soins sont gratuits dans ces structures publiques, y compris pour les étrangers. Nous allons ensuite récupérer les antibiotiques en ville, dans une pharmacie ; mais cette fois, on avance son pécule. Notre guide en profite pour signaler que depuis quelques années, les pharmacies sont un peu plus contrôlées : auparavant, il suffisait de présenter quelques réals – la monnaie locale – pour repartir avec le médicament de son choix, sans ordonnance ou contrôle.
Au Brésil, l’activité libérale n’existe pas : l’ensemble des professionnels de santé sont regroupés en centres de soins : médecin généraliste, infirmière, gynécologue, pédiatre, etc. Si, sur le papier, ce système semble plutôt performant, dans la pratique, c’est tout autre ! Parfois, comme il n’y a aucun médecin aux urgences, il faut revenir plus tard ou se rendre à un autre centre. Il arrive aussi que l’hôpital n’ait pas les traitements prescrits par le médecin, ou le matériel nécessaire pour un examen. Les résultats des examens sanguins de Florence ne seront disponibles qu’au bout d’un mois, et l’échographie est faite dans un cabinet privé ; le centre de soin public ne disposant pas d’échographe.
Nous terminons notre séjour à São Luìs, le temps de remercier João et sa famille pour leur accueil. Prochaine étape, la grande ville de Fortaleza où nous serons hébergés chez Lucilia, une obstetric nurse (sage-femme), enseignante à l’université. Sur place, nous rencontrons Angel, étudiante infirmière en 3e année, qui fait partie d’un programme « d’humanisation des soins » : une approche qui considère l’humain dans sa globalité pour offrir une approche holistique, sans se limiter aux soins techniques. Ce week-end, elle revêtira son costume de clown à l’hôpital des enfants de Fortaleza pour l’ONG Risonhos. Nous lui proposons de photographier les enfants et de leur offrir des clichés en souvenir. Construit sur deux étages, l’hôpital des enfants de Fortaleza est un établissement vétuste, comme en témoignent les murs du rez-de-chaussée. L’air chaud est difficilement respirable et de larges ventilateurs tournent à plein régime pour essayer de rafraîchir les jeunes patients et leurs parents. Nous rejoignons la troupe de l’ONG qui a sorti les trousses de maquillage et les déguisements colorés. Une fois les tenues enfilées, nous assistons à un curieux rituel : la troupe se met en cercle et le responsable prononce un discours incantatoire sur le programme du jour, suivi d’une minute de silence qui sert à se concentrer et à s’imprégner de son personnage. Les nez rouges sont enfilés : désormais, il faut les appeler par leur nom de scène ! En bons reporters, nous les suivons caméra au poing. Très vite, la magie opère : des sourires irradient le visage des enfants. Raphaël, 5 ans, nous suit à la trace, si bien qu’on finit par lui confier notre caméra pour qu’il apprenne à filmer. D’abord craintifs, les enfants hospitalisés finissent par se prêter au jeu.
Pirénopolis sera notre dernière étape avant le retour en France. À quelques encablures de la capitale, nous nous rendons à Aldeia Da Paz pour rencontrer Sœur Maria, une religieuse canadienne responsable de l’établissement. Cet institut, tenu par une dizaine de religieuses, accueille des enfants des rues des quartiers alentour et des femmes âgées abandonnées, désorientées et sans papier. Personne ne les recherche ni ne les attend, cet institut est donc leur dernier refuge.
Sœur Maria nous propose de participer à un atelier de danse thérapie animé bénévolement par Pio Campo, un chorégraphe italien. Le lendemain, nous le retrouvons dans la pièce principale avec les résidentes. L’iPod branché à une enceinte, il lance une musique latine assez rythmée. Dès les premières notes, les corps recroquevillés s’ouvrent progressivement. Cette séance est remplie d’une énergie positive que nous tentons d’immortaliser en photos. Les tensions présentes au début s’effacent et le corps se délie, les préoccupations sont plus légères. Nous profitons de ce moment pour réaliser des portraits que nous leur offrons… Leur sourire illuminera la fin de cette aventure brésilienne.
1- Un établissement plus spacieux verra le jour en 2017.
2- Cette maladie héréditaire affecte les globules rouges, et se manifeste par une anémie, des crises douloureuses et un risque accru d’infections.
3- Causée par des piqûres d’insectes (les phlébotomes), elle provoque des affections cutanées ou viscérales et peut être mortelle.
4- L’aide médicale de l’État (AME) vise à garantir l’accès à la santé pour les personnes en situation irrégulière. Pour en bénéficier, il faut justifier d’une présence de 3 mois ou plus sur le territoire français, ou faire une demande de soins urgents.
5- Le 12 mai 2016, la présidente brésilienne a été destituée par le Senat et sera jugée pour maquillage des comptes publics.
Entre Yohan et Florence, c’est l’histoire d’une passion… ou de plusieurs ! S’ils décident de démarrer leur carrière ailleurs qu’en France, c’est en baskets et à bord de leur van qu’ils vont à la rencontre des peuples, des modes de vie, des pratiques soignantes des quatre coins du monde. Leurs passions ? La photographie, les voyages… Un projet à deux (à trois même depuis mai 2016) que les créateurs de l’association « Care conception through the world » partagent sur leur blog www.floetyo.com.
Brésil
→ Superficie : 8 511 965 km2.
→ Capitale : Brasilia.
→ Nombre d’habitants : 204 259 812 (2015).
→ Frontières : France (département de la Guyane), Suriname, Guyana, Venezuela, Colombie, Paraguay, Bolivie, Pérou, Uruguay et Argentine.
→ Dépenses de santé par habitant (2013) : 3 881 real (1 euro = 4 real).
→ Nombre de médecins par 1 000 habitants (2013) : 1,90.
→ Prévalence de lobésité (2013) : 16,2 %
→ Espérance de vie à la naissance (2013) : 73,53 ans.
Guyane
→ Superficie : 83 533 km2.
→ Chef-lieu : Cayenne.
→ Nombre d’habitants : 206 000 (2006).
→ Infrastructures publiques : CH doté d’un service psychiatrique à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni, un centre médico-chirurgical à Kourou, une antenne de l’Institut Pasteur à Cayenne, trois cliniques privées et un centre de santé dans chaque commune.
→ Vaccinations : fièvre jaune, paludisme.
→ Couverture sociale : sécurité sociale et allocations familiales comme en France.
Il faut compter cinq d’études pour devenir infirmièreau Brésil : un cursus universitaire, soit dans une université publique (entièrement gratuite, mais uniquement accessible sur concours) ou dans une université payante (accessible sans concours).
Les assistantes infirmières, elles, suivent deux ans d’études et ont plus ou moins les mêmes prérogatives que les aides-soignantes françaises, à la différence qu’elles peuvent également réaliser des soins techniques : prises de sang, glycémies capillaires, injections d’insuline, etc.
L’IDE brésilienne a davantage un rôle d’encadrement, au même titre qu’une cadre de santé en France. Sept ans d’études sont nécessaires pour devenir sage-femme comme Lucilia : d’abord le cursus d’infirmière, puis une spécialisation de deux ans.